En Haute-Loire, un garage solidaire pour retrouver l'autonomie
Au creux des monts du Velay, les portes blanches du garage Solidarauto sont levées et le vent s’engouffre dans les travées. Au chaud, Géraldine, de la plateforme Formation Insertion Travail (FIT), enchaîne des rendez-vous téléphoniques avec les potentiels clients du garage, adressés par des assistantes sociales. « La voiture est souvent indispensable en zone rurale et reste perçue comme un aboutissement personnel », explique-t-elle. Pour être éligible, il faut faire valoir un quotient familial inférieur à 750 euros mensuels. Gilles Collange, président de Solidarauto, sélectionne les dossiers selon les capacités du garage. « Actuellement, nous avons dix voitures à la location et trois à la vente », explique le gérant, nous prenons en priorité des personnes déjà en emploi, ayant un projet professionnel ou bien des parents solo ». Dans un territoire où les transports publics sont rares, se déplacer en voiture est vital.
« J’étais empêchée »
« J’ai tellement hâte, je n’arrive pas à y croire », s’extasie Irène, 32 ans. La jeune femme est accompagnée de son fils et de sa belle-mère. Elle vient récupérer une voiture qu’elle louera pour trois mois et trois euros par jour, assurance comprise. Résidente du Puy-en-Velay, elle n’a plus d’automobile depuis que celle-ci est tombée en panne : « Elle est bloquée sur un parking depuis six mois », confie Irène. Sa belle-mère joue les taxis pour faire les courses et mener les trois enfants à l’école. « Je suis extrêmement reconnaissante envers elle, peu de gens me rendraient ce service mais j’en ai marre d’être assistée, j’étais comme "empêchée" », analyse Irène. Sans voiture, elle a renoncé à un CDD dans le commerce. « Même si c’est temporaire, je vais pouvoir me projeter, récupérer un travail et mon indépendance. » À la fenêtre, elle scrute les voitures garées en bataille. La sienne sera grise avec quatre places. « Alors, elle te plaît ? », demande Irène à son fils, en pointant la petite Peugeot. Sourire aux lèvres, elle inspecte la voiture et s’installe au volant. Irène ne pourra pas rouler plus de 600 kms par mois ni sortir du département. « C’est largement suffisant, je vais d’abord me réhabituer à conduire ! », dit-elle, partagée entre l’excitation et l’anxiété.
Chaque client est accompagné selon son profil. « Il faut voir si la voiture répond vraiment à leurs besoins car ils n’ont pas toujours conscience des frais d’une voiture, parfois cela peut les mettre dans le rouge », explique Gilles Collange. Lucille, 47 ans, vit à Cayres, une commune rurale à cinquantaine de kilomètres du restaurant où elle travaille. Elle loue une voiture depuis trois mois et témoigne.
Un pas vers la transition
François, directeur technique et mécanicien, tourne autour de la voiture de Laurence, qui roule des yeux inquiets. La quadragénaire se rend tous les deux mois au garage pour faire contrôler sa berline. Aujourd’hui, elle vient pour un voyant moteur qui s’allume. « Quand ce n’est pas ta voiture, c’est du stress supplémentaire », explique cette mère de trois enfants. La famille vit dans le centre du Puy. « J’ai besoin d’une voiture pour aller au supermarché et pour emmener mon fils, qui a un handicap, suivre ses soins à une quarantaine de kilomètres de chez nous », relate-t-elle. Après un premier contrat de location à courte durée avec « une voiture qui craquait de partout », Laurence est passée en location à durée adaptée, qui lui revient à 160 euros par mois, assurance comprise. Ce dispositif permet à Laurence de louer une voiture familiale pour une durée plus longue, jusqu’à trois ans. Contrairement à la formule classique, elle est autorisée à sortir du département. « Dès que je l’ai eue cet été, je suis partie en vacances dans l’Aveyron avec les enfants, c’était une respiration qu’on attendait tous », reconnaît-elle. À ses côtés, sa fille de quinze ans hoche timidement la tête. « À Noël, on reprendra l’autoroute », promet Laurence. « Où ça ? » demande la jeune fille. « C’est une surprise ! », promet sa mère.
Solidarauto est le seul garage solidaire à proposer ce genre de locations à durée adaptée, selon le parcours et le projet professionnel du client. « On rachète à des concessionnaires des modèles de moins de dix ans et maximum 120 000 kms », explique Gilles Collange. L’expérimentation, financée par le Secours catholique, a débuté en juin 2023. « C’est un tout premier pas vers la transition écologique car ces voitures polluent moins que les autres véhicules que nous récupérons et qui ont en moyenne 17 ans de service. » Les modèles bénéficient en effet de la vignette « Crit’Air 2 ». Et les automobiles électriques ? « Hors de prix pour l’instant, nuance le gérant bénévole, peut-être dans quinze ans ! »
Jusqu’à présent, le garage compte sur les dons de particuliers, le parc est donc ancien. Cet après-midi, Marie-Paule est venue donner sa voiture. Une petite C3 en panne après vingt ans de service. C’est le troisième véhicule que la famille offre à Solidarauto. « Je suis un peu la fournisseuse agréée », plaisante la retraitée. Avec sa boîte automatique défectueuse, la voiture aurait fini à la casse. « Celle-ci, on ne pourra pas la réparer mais je sais déjà comment utiliser les pièces ! », se réjouit François en la remorquant. En échange, Marie-Paule bénéficiera d’une réduction d’impôts de 66 % du montant estimé de la voiture.
De retour dans la travée centrale du hangar, François inspecte cette fois l’automobile de Crystal. Les problèmes s’accumulent sur son véhicule, tout comme les frais. « Je suis déjà venue trois fois pour cette voiture depuis 2020, j’en ai besoin pour mon travail d’aide-ménagère », soupire Crystal. Dans l’immédiat, les mécaniciens ne peuvent pas évaluer le montant des réparations. Solidarauto pratique en moyenne des prix 40 % moins élevés que les garages conventionnels. François alterne entre les clés, les tournevis et le téléphone. Ce dernier ne le quitte jamais. Coincé entre l’oreille et l’épaule, il sonne inlassablement tout au long de la journée.
L’achat d’un véhicule reste l’objectif de nombreux clients du garage. A l’instar de Matthieu, 35 ans, qui vient d’acquérir une voiture à 3 000 euros pour remplacer la sienne. Ce pisciniste roule 120 kms par jour pour se rendre à son travail. « Ma voiture actuelle marche encore, mais j’anticipe la panne car la marque n’existe plus et les frais de réparation seraient plus élevés qu’un achat », explique-t-il. En plus, il peut régler en quatre mensualités, une facilité qui soulage son budget de père de famille.
« Il n’y a pas de transport en commun proche de mon lieu de travail… Et je finis souvent à 22 heures », explique de son côté Mélissa, 22 ans. Originaire de la Drôme, cette serveuse en restauration rapide s’est rapprochée du Puy pour sa fille. Grâce à Solidarauto, elle a acheté une voiture 1 800 euros, carte grise et contrôle technique compris. « J’ai monté le dossier et j’ai eu la voiture en deux mois à peine, c’était très rapide », reconnaît la jeune femme. « Pensez-bien à l’entretien, tous les deux mois ! », lui lance Gilles tandis qu'elle démarre. « C’est bien de savoir mettre de l’argent de côté pour acheter une voiture, mais on insiste auprès des clients sur l’importance de l’entretien, car c’est cela qui va leur permettre de garder leur véhicule le plus longtemps possible », renchérit François. Pour autant, le garage n’encourage pas le tout-voiture : le gérant espère pouvoir mettre en route prochainement un projet d’autopartage solidaire.