Fin de prise en charge à l’hôtel : « Avec mes enfants, nous sommes en sursis ! »

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En avril et mai dernier, des centaines de personnes hébergées à l’hôtel par le 115 des Hauts de Seine se sont vues notifier la fin de leur prise en charge, sans solution d’hébergement.
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Le SIAO 92 (système intégré d’accueil et d’orientation dans les Hauts de Seine, qui gère le 115) justifie cette décision par la mise en place de nouveaux critères de priorisation (femme enceinte, enfant de moins de 3 ans, en situation de handicap…) à la suite d’une restriction budgétaire.

Le Secours Catholique et plusieurs associations partenaires se sont indignées, faisant revoir sa position au SIAO. Certaines familles ont ainsi pu rester un mois de plus, mais le Secours Catholique craint que les remises à la rue reprennent fin juin, à la fin de la période scolaire.

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Témoignage de Fatou
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Témoignage : Fatou*,

mère de trois enfants de 11, 8 et 5 ans, vit dans l'angoisse depuis mi-mai

«  Je vis dans une chambre d’hôtel à Courbevoie depuis 3 ans. À l’époque, je m’étais séparée de mon mari, et je me retrouvais sans rien et sans papiers, car je n’avais plus le statut d’étudiante, obtenu à mon arrivée du  Sénégal en France.

Le 17 mai dernier, comme tous les mois, j’ai appelé le 115 pour renouveler ma prise en charge. Pour moi, c’était la routine. J’avais eu des échos comme quoi plusieurs familles étaient expulsées, mais je n’étais pas inquiète, je pensais que je serais épargnée.

Je venais en effet de recevoir un titre de séjour, mes enfants sont scolarisés et je suis reconnue prioritaire DAHO (droit à l’hébergement opposable) depuis 2016.

Je suis tombée des nues. J’ai réalisé que je n’avais nulle part où aller.


La dame du 115 m’a posé des questions du genre : « Êtes-vous enceinte ? Vos enfants sont-ils malades ? » Elle a conclu l’entretien en disant qu’on avait 14 jours pour partir. Je lui ai demandé : « Et je fais comment avec mes trois enfants ? Je ne peux même pas payer une nuit d’hôtel ! » Elle m’a dit de voir avec mon assistante sociale.

Celle-ci a écrit au SIAO qui a répondu qu’il ne pouvait rien faire. Je suis tombée des nues. J’ai réalisé que je n’avais nulle part où aller. En 3 ans, on a accumulé des affaires avec les enfants dans notre chambre d’hôtel : qu’est-ce qu’on en fera ? Et je ne peux pas vivre chez des amis, c’est trop petit et qui sait combien de temps ça va durer.

Grâce à l’intervention du Secours Catholique et aussi de l’école de mes enfants, j’ai reçu un coup de fil le 30 mai, me disant que je pouvais rester un mois de plus. Depuis, je vis en sursis. Je suis très inquiète et je ne comprends pas.

Je suis prioritaire DAHO et on ne me trouve même pas de places d’hébergement.


C’est absurde que je reçoive mes papiers, et que dans le même temps on nous mette à la rue ! L’assistante sociale et les centres d’hébergement se renvoient la balle. Je suis prioritaire DAHO et on ne me trouve même pas de places d’hébergement.

Je ne sais pas comment le dire à mes enfants. Qu’il ait 2 ans ou 5 ans, un enfant, c’est fragile. Le dernier me demande toujours : « Quand est-ce qu’on aura un appartement ? » Je suis confuse car je lui avais promis que lorsque j’aurais des papiers et un travail, on aurait un appartement.

course contre la montre

Du coup, je me démène pour trouver un emploi. Je fais quelques ménages mais ça ne suffit pas. J’aimerais être assistante de vie scolaire (AVS) dans une école. J’ai quand même un DEA (niveau bac+5). Je veux un travail valorisant, pas toucher le RSA.

Actuellement, je vis une course contre la montre. Est-ce qu’on aura un hébergement avant fin juin ? J’ai même pensé à appeler l’ASE, l’aide sociale à l’enfance, mais c’est un déchirement, j’ai la crainte qu’on me confisque mes enfants.

J’ai peur car l’été, les associations et l’école seront moins présentes pour nous aider. Or, à part elles, on est seuls. C’est lourd, très lourd… Je suis éprouvée, je subis. Pourtant, je veux m’en sortir et avoir une vie normale, comme tout le monde.

Je ne comprends pas que l’État ne fasse rien pour les familles, et les mette à la rue.


Je veux que mes enfants aient une chambre où dormir. Ils cachent leurs émotions pour ne pas me faire de peine, mais je vois que c’est dur.

Ils font leurs devoirs par terre dans la chambre d’hôtel, on dort à trois dans deux lits et le quatrième sur un lit pliant. Et les frigos collectifs sont sales, j’ai toujours peur quand les enfants mangent des yaourts pas frais.

Je ne comprends pas que l’État ne fasse rien pour les familles, et les mette à la rue. Il faudrait plutôt les aider à s’en sortir. Moi je veux me poser et me reconstruire. »

*le prénom a été modifié
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Chez Fatou
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Notre positionnement : pour des alternatives à l'hôtel durables

La fin de prise en charge par le 115 de nombreuses familles, dès lors que leur dernier enfant a plus de 3 ans, sans aucune autre proposition d’hébergement, signifie une mise à la rue. Cette décision est inhumaine et inadmissible.

Les textes de loi stipulent pourtant que « toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir (…) y demeurer (…) jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée ».

« Remettre ou mettre ces familles avec enfants à la rue va provoquer une rupture dans la prise en charge. C’est catastrophique car cela détruit tout ce qui avait été construit en termes d’accompagnement, c’est-à-dire la demande de titre de séjour, le dossier DALO, la scolarisation des enfants, etc. » commente Fanny Plançon, du département "De la rue au logement", au Secours Catholique.

non sens économique

L’association reconnaît que le budget des nuitées hôtelières augmente et que cela n’est pas tenable. Car au-delà du non sens économique (avec les coûts sanitaires et sociaux, l’hôtel coûte plus cher à long terme qu’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale), l’hôtel est aussi un hébergement indigne pour les personnes (promiscuité, insalubrité, éloignement etc.).

C’est pourquoi le Secours Catholique préconise, en accord avec la philosophie du "logement d'abord", la mise en place d’alternatives durables permettant l'accès plus direct à un logement pour les personnes. Mais en aucun cas on ne peut supprimer l’hôtel sans aucune solution d’hébergement. Aucune personne ne doit être mise à la rue !

Crédits
Nom(s)
Cécile Leclerc-Laurent
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