Accueil des réfugiés : « Ce qui est beau, c'est la dynamique créée »
De la Syrie au Luberon
Sur leur boîte aux lettres, François et Muriel Maurel ont pris soin d'ajouter une étiquette en dessous de leur patronyme, depuis qu'ils hébergent de nouveaux locataires : cinq frères et sœurs originaires de Syrie.
C'est dans le gîte jouxtant leur maison à tuiles romaines, dans un quartier calme de Pertuis, que le couple les a installés.
En ce mercredi après-midi, Nour*, la benjamine de 15 ans, est de retour du collège. Elle s'apprête à repartir pour sa leçon de dessin, avec Muriel qui fait volontiers le taxi.
Pendant ce temps, le reste de la fratrie n'aura pas le temps de s'ennuyer. Pour Ahmed* et Anissa* 19 et 18 ans, rentrés de leur matinée de cours au lycée, et pour Ali* et Mohammed*, les aînés de 25 et 23 ans, un cours de français de deux heures est prévu. Caroline et Elisabeth, deux habitantes volontaires, animent les séances.
« Autour de nous, les gens sont très bons, témoigne, en arabe, Ali, regard doux, discrète barbiche noire et bonnet sur la tête. On nous aide beaucoup, on répond à toutes nos demandes. Tout est fait pour que l'on soit bien. »
Le jeune homme accepte d'esquisser le parcours de la fratrie jusqu'aux portes du Luberon. À ses côtés, Beya, interprète bénévole, traduit.
Avec ses frères et sœurs, Ali est arrivé à Pertuis le 25 novembre dernier, aussitôt après avoir atterri à Paris via l'opération dite "couloirs humanitaires". Depuis 2012, la fratrie, originaire de Kobané, au Kurdistan syrien, vivait dans la banlieue de Beyrouth, au Liban, où elle s'était réfugiée avec son père.
Mais au décès de celui-ci, en 2016, les cinq jeunes Kurdes se sont retrouvés seuls et dans une situation administrative précaire. « Quand on a appris qu'on allait pouvoir venir en France, on était content, déclare Ali. On aspire désormais à une vie meilleure, dans un endroit sûr ».
À Pertuis, commune de 20 000 habitants, un collectif de personnes favorables à l'accueil des personnes migrantes, "Fraternité Pertuis", s'était formé au printemps.
À l'origine de l'aventure, une poignée de Pertuisiens, dont Marie-Claire Falcone, responsable de l'équipe locale du Secours Catholique. « On était quelques uns à ne pas vouloir rester inerte face à la crise de l'accueil des migrants et au climat ambiant de fermeture, explique la bénévole, ex juriste de métier. On cherchait à se rendre utile. »
« Paroissien lambda », comme il se définit, François a quant à lui été « sensible aux appels répétés du Pape à offrir l'hospitalité aux migrants » et trouvait « dommage que rien ne soit fait à Pertuis ».
« associer le plus de monde possible »
L'initiative "couloirs humanitaires" leur a offert une opportunité et un cadre pour se lancer. Le Secours Catholique et la paroisse ont immédiatement soutenu la démarche. Mais Marie-Claire, François et les autres membres ont voulu convaincre au delà. «On souhaitait associer le plus de monde possible, des croyants et des non croyants, des gens de tous bords, pour former un collectif multiple et ouvert. »
Des appels à rejoindre et/ou soutenir l'action sont lancés lors des messes dominicales et dans la presse locale. «Au début, c'est parti doucement, se souvient Patrice Cartier, bénévole au Secours Catholique et vice-président du collectif Agir en pays d'Aix et pays d'Aigues. On se demandait si on obtiendrait assez de soutiens. »
Dans un département où le vote FN prospère, et dans une petite ville qui abrite des populations en situation de précarité économique, le projet n'a pas franchement l'aval de la mairie. Qu'importe, les appels sont renouvelés. Et entendus. Au total, une soixantaine de personnes se manifestent, donateurs et/ou volontaires.
« La démarche a doucement fait son chemin dans le cœur des gens, relève Alain Fournier, diacre et membre du collectif. Ce qui est beau, c'est la dynamique créée. »
« C'est pas juste un petit truc, renchérit Patrice. Il y a nous, Secours Catholique, puis la paroisse, puis des médecins, des enseignants... Et ça continue ! Il y a un vrai élan ! Les gens sont sensibles au faire, beaucoup plus qu'aux discours théoriques ! »
Et justement, la liste des choses à faire est longue : trouver un logement pour accueillir la fratrie, l'accompagner dans ses démarches juridiques et favoriser son intégration via l'apprentissage du français, l'école et l'emploi.
« Il ne fallait pas que l'on soit seul, raconte Marie-Claire. On s'est demandé sur qui on pouvait compter : le collectif Agir, qui fait un travail admirable, les Restos du cœur… Mais aussi le centre communal d'action sociale, le centre médico-social, Pôle emploi... Il y a eu une écoute attentive de la part de ces différents services. »
« être nombreux pour se relayer »
Fort de sa vingtaine de bénévoles actifs, et des dons récoltés via le Secours Catholique pour couvrir le budget nécessaire à l'accompagnement des cinq frères et sœurs pendant un an, le collectif se structure en pôles : scolarité, enseignement du français, santé, juridique, accompagnement (transports etc.).
« On a désigné des référents. L'organisation tient la route », se félicite Marie-Claire. « Ils ont des traumatismes, ils s'ennuient également pas mal, ils attendent beaucoup de nous, constate Patrice. C'est donc important d'être nombreux autour d'eux pour se relayer. »
Chacun a apporté sa pierre à l'édifice. Pour le logement, la solution est venue de François et Muriel qui louent à la fratrie, par l’intermédiaire du Secours Catholique, leur gîte saisonnier. Du fait de cette proximité, le couple joue un rôle important auprès de la fratrie, quasi parental parfois.
Pour les dépenses du quotidien, Marie-Claire apporte aux jeunes une enveloppe, chaque semaine, en même temps qu'elle prend de leurs nouvelles. Et pour remplir le frigo, les deux aînés se rendent tous les jeudis matins aux Restos du cœur.
Stars du lycée
L’autre urgence était la scolarisation des plus jeunes. Professeure d’histoire géographie au lycée public de Pertuis, Pascale Gaudemard a pris sous son aile Ahmed et Anissa. Elle a sollicité son établissement pour que le frère et la soeur y soient accueillis, malgré leur passé scolaire chaotique.
« La proviseure a été super, raconte-t-elle. L’idée, cette année, est qu’ils socialisent avec des jeunes de leur âge, s’intègrent localement et apprennent le français. »
Les deux adolescents ont rejoint les classes de seconde et de terminale L où enseigne Pascale, avec un emploi du temps aménagé. « Ahmed est un peu la star du lycée, tout le monde veut lui parler, s'amuse la professeure d'histoire géographie. Et en classe, il s’intéresse. Sa soeur est plus timide, c'est plus dur pour elle, mais elle est sérieuse dans son travail. »
Thomas, Armand, Noémie, Candice, Blandine et Victor, camarades de classe d'Ahmed, lui ont réservé un très bon accueil. Ils parlent avec lui en "franglais". « Sa présence nous apporte une autre culture, une ouverture et cela fait du bien de se rendre utile », confie Victor.
La bande d’amis a invité le jeune Syrien, très sociable, à une première soirée. « Il a tout de suite été très à l’aise. Il a dansé et ri avec nous. »
S’il peine encore à se plier aux horaires et se fait régulièrement "recadrer" par Pascale et Muriel, Ahmed mesure la chance qui leur est donnée, à ses soeurs et lui.
« Les professeurs ont envie qu'on progresse, ils nous aident beaucoup, souligne-t-il. Cette année, je n’ai pas trop de pression. Je dois seulement apprendre le français. Mais l’an prochain, si je continue, il faudra travailler dur. »
Au collège aussi, l’accueil de Nour, la benjamine, a été une évidence. Grâce à l’unité pour élèves allophones présente dans l’établissement, elle y bénéficie notamment de cours de français langue étrangère (FLE), en compagnie de ses frère et soeur lycéens.
« La fratrie est arrivée sans rien, alors nous avons fait comme pour toute autre famille dans le besoin, explique Frédéric Dumont, le principal. Nous leur avons acheté des fournitures de base, prêté un ordinateur portable pour qu’ils puissent travailler le français chez eux et nous prenons en charge la cantine ».
dessin, gym et boxe
La communauté éducative de Pertuis n’est pas seule à avoir répondu présent. L’association Art-Filigrane a décidé d'accueillir Nour gratuitement dans son atelier de dessin.
« Elle a un sacré coup de crayon, remarque Inès Sers, la professeure, tandis que la jeune fille entame sa séance, très concentrée. On a encore un peu de mal à communiquer ensemble mais elle progresse de semaine en semaine. »
« En allant voir les différents clubs de la ville pour solliciter une inscription gratuite pour la fratrie, on ne savait pas quelles réactions on récolterait, confie Muriel. On pensait aux peurs liées au terrorisme, à l’image des migrants renvoyée par les médias et à la crainte de comment pourraient réagir les parents des autres élèves.
Au contraire, «cela nous a paru évident de les accueillir », assure Isabelle Neveux, la présidente du Club sportif pertuisien de gymnastique, qui a proposé aux cinq frères et sœurs de tester la discipline. « Cela fait partie des valeurs du sport, lequel est un outil d’intégration, poursuit la présidente. D'ailleurs, si le bureau ne m'avait pas suivie dans cette démarche, j'aurais démissionné ! »
La benjamine a choisi de poursuivre la gym, tandis que ses frères se sont tournés vers la boxe - qu'ils pratiquaient déjà au Liban - et la musculation.
Épaulés par l'Église évangélique durant leur séjour à Beyrouth, les jeunes Syriens se sont par ailleurs rapprochés de l'église évangélique locale. Le curé de Pertuis prévoit de prendre contact avec le pasteur pour que sa communauté fasse jouer ses propres réseaux de solidarité.
Les cinq frères et soeurs, surtout les deux aînés qui ne sont pas scolarisés, regrettent la barrière de la langue qui fait pour l'instant obstacle à l'approfondissement des liens qu'ils tissent avec les membres du collectif. « J'aimerais pouvoir échanger davantage avec les uns et les autres », confie Ali.
Le jeune homme sait que la maîtrise du français sera aussi la condition sine qua non de son autonomisation. « Mon souhait est de pouvoir travailler et ne pas être dépendant de la société. »
Une fois que la fratrie aura officiellement obtenu le statut de réfugié, l'accompagnement ne sera pas terminé, loin de là. Car financièrement, la famille ne pourra alors plus compter que sur le RSA qu'Ali devrait toucher, étant donné ses 25 ans.
Ce dernier doit aussi apprendre à conforter son rôle de chef de famille et à imposer un cadre à ses frères et soeurs encore adolescents. De nouveaux enjeux auxquels le collectif se prépare.
« Au delà de l'élan initial, il va falloir tenir dans le temps, qu'on soit persévérant, souligne François. Car l'objectif, c'est bien l'intégration de ces jeunes : qu'ils trouvent un travail dès qu'ils en auront la possibilité et un logement définitif. » Et d'ajouter : « J'ai le fol espoir que la petite dernière puisse suivre une scolarité normale. Ce serait un bonheur extraordinaire. »
« Nous sommes optimistes, assure Marie-Claire. Mais aussi conscients des obstacles à franchir pour que chacun d'entre eux puisse trouver sa voie en France. »
En attendant, une « joie d'agir », palpable, anime le collectif. « Nos satisfactions aujourd'hui, ce sont les sourires des jeunes et leur sentiment d'être en sécurité », dit François.
Envie d'agir à votre tour ?
La fratrie accueillie à Pertuis a bénéficié du projet d'accueil solidaire des réfugiés en provenance du Liban, dit projet "couloirs humanitaires". Il a été lancé en mars dernier par plusieurs associations caritatives chrétiennes : la communauté italienne Sant’Egidio, la Fédération d’entraide protestante, la Fédération protestante de France, la Conférence des évêques de France et le Secours Catholique.
Cette initiative, fruit de négociations avec le gouvernement français, permet à des réfugiés au Liban, quelle que soit leur confession et repérés comme particulièrement vulnérables, de rejoindre la France par une voie légale et sûre. Elle permet ainsi de les protéger des risques que présentent aujourd’hui les parcours d’exil.
Chaque mois, des personnes sont ainsi accueillies aux quatre coins de l'Hexagone, par des paroisses et des citoyens qui s'engagent à les héberger et à les accompagner dans leur intégration.
Vous voulez agir à votre tour ? Le Secours Catholique se propose de guider ceux qui souhaitent monter un collectif d'accueil dans le cadre de cette initiative et, plus largement, les volontaires qui mènent des actions d'hébergement et d'accompagnement de personnes exilées en France.