Débat : doit-on construire de nouvelles places de prison ?
Mais la construction de nouvelles prisons est-elle réellement la solution ? Débat croisé entre Jean Caël, chargé des questions Prison - Justice au Secours Catholique, et Raphaël Gauvain, député LREM, membre de la commission des lois.
Jean Caël : Au Secours Catholique, nous nous interrogeons sur le parti pris des gouvernements français successifs depuis la fin des années 1980 de construire toujours plus de prisons. La surpopulation en milieu carcéral a continué à croître, alors que le taux de criminalité est globalement stable. Le taux de récidive, lui, aurait doublé ces vingt dernières années, ce qui pose la question de l’effet dissuasif de la prison.
On enferme des personnes pour des périodes courtes, avec souvent rien à leur faire faire, et sans avoir le temps de travailler avec elles pour leur réinsertion. Et on espère qu’elles vont en sortir meilleures, alors même qu’elles ont rompu les quelques attaches qu’elles pouvaient avoir en termes d’insertion.
Normalement, la prison est un mode d’exécution rationnel d’une sanction pénale qui a pour objectif la réhabilitation de la personne condamnée pour elle, pour les victimes et pour la société. Dans les faits, elle semble plutôt être devenue un mode de gestion des populations marginales. La plupart des personnes incarcérées n’ont pas commis de faits graves. La durée moyenne des peines prononcées est inférieure à un an. Si on continue à construire, on va accroître cette exclusion. C’est pour toutes ces raisons qu’au Secours Catholique, nous défendons les alternatives à l’incarcération.
Raphaël Gauvain : Nous ne sommes pas fondamentalement en désaccord. Mais l’urgence que nous devons gérer aujourd’hui est la surpopulation carcérale et surtout l’état sanitaire des prisons. En maison d’arrêt, les personnes sont trois par cellule de 9 m2 et dorment par terre sur des matelas en mousse pleins de mites. Il faut bien répondre à cela. Donc d’abord, il faut construire. Mais pas d’énormes établissements comme Fleury-Mérogis, il faut une réponse ciblée qui s’adapte à chaque situation.
Le problème, en maison d’arrêt, c’est qu’on y trouve à la fois des personnes qui exécutent des petites peines pour des faits peu graves, et d’autres qui attendent leur jugement pour des faits criminels, parfois très graves, et qui nécessitent un système disciplinaire et de sécurité extrêmement fort.
J.C. : Et on augmente le système de sécurité pour tout le monde, alors que la plupart des personnes ne sont pas dangereuses.
R.G. : Exactement. Et on n’arrive pas à travailler à la réinsertion avec ceux qui sont là pour moins d’un an. Les sorties sèches, sans aucune préparation, sont dramatiques en termes de récidive. Il faut donc travailler sur les petites peines et sur les fins de peine. C’est en ce sens qu’ont été imaginées les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS). Il s’agirait d’établissements plus petits et plus proches des centres-ville, afin de faciliter la mobilité des personnes et de leur permettre de sortir travailler la journée et de rentrer le soir.
L’objectif est d’y développer le taux d’activité des personnes dans et hors les murs. Avec ce dispositif, je crois qu’on répond à votre impératif. De même, pour les très courtes peines, nous encourageons les alternatives, notamment les travaux d’intérêt général (TIG).
construire coûte cher
J.C. : Les très courtes peines, de moins d’un mois, ne représentent que quelques centaines de personnes, ce n’est pas significatif. Dans le même temps, vous supprimez les possibilités d’aménagement de peine pour les personnes condamnées à un an ou plus de prison ferme, contre deux ans auparavant. Dans les intentions de la loi, Mme Belloubet disait vouloir réduire de 8 000 personnes le nombre de personnes détenues. Avec cette mesure, vous allez l’augmenter.
Enfin, concernant les SAS, l’intention est bonne, mais lorsqu’on regarde le projet de loi de finances, on constate que la tendance va surtout être de continuer à construire de grands ensembles, des usines à traitement de flux carcéral, car c’est moins cher. Construire en centre-ville coûte cher, vu le prix du foncier. Comment va-t-on trouver les fonds ? Et puis, la ministre a annoncé la création de seulement 2 000 places en SAS... pour 71 000 personnes détenues.
R.G. : Nous travaillons avec des contraintes budgétaires extrêmement fortes, on ne va pas se le cacher. Mais un effort budgétaire est fait pour réhabiliter, construire des prisons, et répondre à cet impératif de salubrité et de respect des droits.
J.C. : Construire de nouveaux établissements est un choix très coûteux au regard du prix de revient. Le coût du placement en extérieur est bien moindre et, avec la contribution de la société civile (associations, aumôneries), il pourrait s’avérer plus efficace contre la récidive ou l’exclusion sociale des personnes. J’ai lu dans le rapport Raimbourg, publié en 2014, que la construction, en partenariat public-privé, d’un encellulement individuel revenait à 310 000 euros. Imaginez ce que l’on pourrait faire si l’on investissait les mêmes montants dans l’accompagnement social !
En France, le budget consacré à la justice est insuffisant. Et s’il est absorbé par la construction de nouvelles prisons, on ne pourra pas mettre en place des aménagements de peine dans de bonnes conditions. Nous sommes d’accord, il faut trouver une solution à la surpopulation et au mauvais état des prisons. Mais celle que vous avancez sous-entend que la sanction naturelle d’un délit serait l’exécution d’une peine de prison ferme. Nous ne partageons pas ce point de vue.
R.G. : C’est peut-être un parti pris politique, mais il est assumé. Bien sûr qu’il faut travailler sur la réinsertion, mais il faut aussi travailler sur la sanction. À partir du moment où un débat contradictoire a eu lieu dans un cadre judiciaire, en audience publique, où il y a eu une peine de prison ferme prononcée au regard des faits, de la faute commise, de l’atteinte portée aux parties civiles, il faut que cette décision soit respectée, et non pas détricotée ensuite par un juge de l’application des peines. Sinon les victimes et le corps social ne comprennent pas. Pour respecter les magistrats, le corps social et l’ordre républicain, il faut rétablir ce principe d’exécution de la peine.
appel d'air
J.C. : C’est un principe, justement. Mais quelle est la conséquence pratique de l’application de ce principe ? Beaucoup de magistrats, par crainte, préfèrent prononcer l’incarcération, même pour de courtes durées, plutôt qu’une peine aménagée. Un directeur interrégional de l’administration pénitentiaire m’a dit : « Le système de précaution, ce n’est même plus un parapluie chez nous, c’est un parasol, tellement tout le monde se crispe et a peur que la faute arrive par lui. La solution est donc de prononcer du ferme. »
Dans ce contexte, la construction de nouveaux établissements risque de créer un appel d’air. Un représentant du parquet a dit récemment à un bénévole du Secours Catholique : « L’annonce de la construction de nouvelles places, c’est la bonne aubaine pour les magistrats qui avaient encore quelques scrupules à envoyer en détention pour une courte peine. »
Si on faisait vraiment quelque chose en détention pour la réinsertion, nous serions moins critiques par rapport à l’incarcération. Mais le système pénitentiaire actuel, à cause du manque de moyens, ne favorise pas la responsabilisation, la reprise en main, tout ce qui va aller dans le sens de la “désistance”, de la volonté de se réinsérer. Comment faire en sorte que la peine soit un temps de remobilisation et redevienne utile ?
R.G. : Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut préparer la sortie, qu’il faut être dans la réinsertion et que la personne condamnée à un an et demi de prison ferme devrait pouvoir aller travailler, garder des liens avec sa famille… On peut en débattre à l’Assemblée nationale, mais le problème, c’est la mise en œuvre sur le terrain, lorsque le préfet va devoir réunir les élus locaux et leur annoncer : « Ici, nous allons installer un SAS ou un centre de semi-liberté. » Vous faites alors face à des pétitions, au maire et au conseiller départemental qui montent au créneau. C’est comme pour les éoliennes, tout le monde est d’accord, mais pas chez soi.
J.C. : Il faudrait que l’opinion publique, au lieu d’identifier dans les personnes détenues des boucs émissaires, prenne conscience que c’est aussi notre responsabilité citoyenne que de faire une place dans la société à ces personnes, notamment sous forme d’aménagements de peines.
Au Secours Catholique, nous travaillons beaucoup au changement de regard. Nous essayons de bâtir une société de la confiance. À l’inverse, construire des places de prison, c’est alimenter l’idée d’une société de la méfiance.