Des paniers frais et plein de projets
Il est 8h30, à Lons-le-Saunier (Jura). Emmanuel Chamouton, 32 ans, regarde avec bienveillance les bénévoles qui s’activent autour de l’unique table de son restaurant table d’hôtes. Fernand, Vera, Nathan et Christine Comas, animatrice salariée du Secours Catholique, répartissent des denrées dans des sacs en papier portant le nom de leur destinataire.
Fromages au lait de brebis, yaourt et viande de bœuf viennent rejoindre le miel et de belles bottes de carottes, dont les fanes coiffent élégamment le tout. Les sacs seront placés dans des glacières, qui conserveront les produits au frais durant le trajet de livraison.
« Quand on m’a sollicité, j’ai dit oui tout de suite, explique le chef cuisinier. Le projet est en phase avec ce que je promeus ici : une alimentation de qualité, de saison, issue de l’agriculture locale. » Tous les quinze jours, il réserve donc un peu d’espace dans sa chambre froide pour les produits que les bénévoles lui apportent, et qu’il stocke jusqu’à leur tournée du jeudi.
déclencheur
« Depuis 2016, l’accès digne à l’alimentation fait l’objet d’une attention croissante au sein du Secours Catholique. Et la crise sanitaire a été un déclencheur », analyse Marie Drique, en charge de ce pôle : 33 projets de paniers frais solidaires ont ainsi été lancés depuis mars.
Financés à hauteur de 4 000 euros chacun, ils varient fortement selon les publics visés (demandeurs d’asile, étudiants, personnes âgées), les partenaires engagés (des maraîchers, un groupement d’agricultrices, le réseau des Jardins de cocagne) et le périmètre d’action (de 5 à 40 foyers accompagnés).
Dans le Jura, Cécile Jacques, 22 ans, en a été l’une des instigatrices : « Je suis devenue bénévole pendant le confinement », explique cette conseillère en économie domestique fraîchement diplômée.
« Je voulais aider et j’avais du temps. Nous avons perçu deux besoins pouvant se répondre : d’un côté, des familles avaient du mal à s’approvisionner en produits frais, du fait de la fermeture des marchés et de la faible quantité de produits frais proposés par l’aide alimentaire ; de l’autre, les agriculteurs locaux écoulaient difficilement leurs produits », en raison de la fermeture des marchés et de la restauration collective.
maraîcher, fromagers, apiculteur...
Sept producteurs du Groupement d’agriculteurs biologiques (Gab) du Jura ont répondu avec enthousiasme : un maraîcher, deux producteurs de viande bovine, deux fromagers, un apiculteur, un paysan boulanger. En face, six personnes seules et une famille, tous accompagnés par le Secours Catholique, dans un rayon de 40 km.
Pour chaque panier, d’une valeur de 40 euros, ils ne déboursent que 4 euros, le reste étant complété par le Secours Catholique.
Véra et Christine, qui conduisent l’une des deux voitures de livraison, s’arrêtent d’abord à Cousance, à 25 minutes de Lons-le-Saunier. Laurie, 33 ans, divorcée, vit ici avec ses trois fils de 7 à 13 ans.
Reconnue travailleur handicapé et sans emploi, Laurie ne chôme pas : « Entre les coups de main à droite et à gauche, la maison, l’école… les journées sont bien remplies ! »
Ces paniers lui donnent la joie de faire plaisir à ses enfants : « Ce sont des gourmands ! D’habitude, je me contente des premiers prix. Alors la semaine dernière, quand ils ont vu arriver les faux-filets, avec les pommes de terre et la salade ! »
Cinq minutes suffisent pour se rendre chez Nicole, 70 ans, qui accueille chaleureusement les bénévoles dans sa maison ouverte à l’air frais du matin. « Vous nous avez encore gâtés ! » s’exclame-t-elle en découvrant un lot de merguez.
Au-delà de l’aide alimentaire, Nicole met en valeur le lien social créé par ces paniers. D’ailleurs, cette mère de six enfants regrette ce jour-là l’absence des trois bénévoles d’une vingtaine d’années qui assurent d’ordinaire la tournée : « Je les attends sur le balcon ! Quand ils arrivent, ils klaxonnent ! La première fois, on s’est assis autour d’un café. Et ils ont pris le temps de discuter, d’écouter ce que j’avais à dire. »
partage de recettes et rencontres
Pour pérenniser l’action, l’équipe espère aller plus loin dans cette direction : « Nous avons mis en place un partage de recettes, précise Cécile Jacques. Nous avons aussi un projet d’atelier de fabrication de cosmétiques et de produits ménagers, un projet de rencontre des producteurs, et plusieurs ont exprimé l’envie tout simplement de se rencontrer autour d’un pique-nique. »
Enfin, ces paniers ont créé un lien de solidarité symbolique. Patricia, la soixantaine, qui a à cœur de « donner en retour », trouve dans ce projet une manière d’être actrice et de témoigner son « soutien » aux agriculteurs locaux. Car là se situe le paradoxe, comme le souligne Claire Moreau, 32 ans, productrice de fromages de brebis :
« Certes, le prix de nos produits est élevé, inaccessible pour des personnes aux revenus modestes. Cependant, nous ne parvenons pas à en tirer un revenu suffisant, et nous restons assujettis au RSA. »