En 2021, « se recentrer plus que jamais sur la fraternité »
Craintes devant la vague de pauvreté qui s'annonce, notamment pour les jeunes, mais espoir que les propositions lancées par le monde associatif pour l'endiguer soient entendues et mises en oeuvre. Espoir aussi que la fraternité et la convivialité, au coeur des actions du Secours Catholique avec les plus fragiles, puissent à nouveau vivre pleinement.
ENTRETIEN AVEC VÉRONIQUE Fayet, présidente du Secours Catholique.
Secours Catholique : Que retenir de l'année 2020 ?
Véronique Fayet : Il y a eu beaucoup de sidération par rapport à ce virus qui a touché la planète entière. Beaucoup de peur, d’inquiétude pour soi et ses proches. Le confinement a été particulièrement dur pour les plus fragiles qui ont perdu leur emploi et/ou ont dû faire face à des difficultés financières très graves. Ils ont sans doute vécu une angoisse plus grande que les autres, liée aussi à la solitude, à la difficulté d’être enfermé avec ses enfants dans une chambre d'hôtel ou un petit logement.
Comme toujours en temps de crise, de belles choses sont nées. Il y a eu un souci de la part de nos bénévoles de garder, même virtuellement, un lien fraternel très réel entre eux et avec les personnes qu'ils accompagnent. Cela a été très précieux pour les plus fragiles. Parmi les initiatives remarquables, il y a eu ce rapprochement entre des agriculteurs du Jura et des familles qui n’avaient pas ou plus de quoi se nourrir correctement. Chacun a été gagnant. Ces paniers solidaires nés à cause de la crise vont certainement durer.
Cette crise, très soudaine, a révélé l’agilité de notre réseau et notre capacité d’adaptation. En revanche, elle a généré beaucoup de fatigue.
Au niveau international, certains de nos partenaires ont été très éprouvés matériellement, particulièrement dans les pays sans système de protection sociale où l'arrêt de l'activité économique a eu des effets catastrophiques. Par ailleurs, nous sommes inquiets pour les défenseurs des droits. Certains gouvernements autoritaires ont en effet pris des mesures soi-disant pour lutter contre la pandémie, mais surtout pour restreindre les libertés et maltraiter leurs opposants. Et cela, dans l'indifférence de la communauté internationale.
S.C. : Quels espoirs nourrissez-vous pour 2021 ?
V.F. : J’espère que nous allons revenir à un peu plus de sérénité avec l’arrivée du vaccin. Que nous allons également pouvoir revenir à des relations sociales normales, fraternelles et conviviales, le coeur de notre action. Ces moments autour d'un café ou d'un repas sont tellement importants pour les personnes fragiles.
On a également vraiment espoir que le gouvernement entendra nos propositions pour limiter et réparer les dégâts humains provoqués par cette crise. Le pire n’est jamais sûr, mais il faut quand même s’attendre à une grande vague de pauvreté, notamment chez les jeunes. Nous, acteurs associatifs, seront plus présents que jamais, mais cela ne suffira sans doute pas. Il faut que nos gouvernants prennent des mesures pour permettre aux jeunes de se sentir en sécurité, que ces derniers puissent bénéficier d’un accompagnement bienveillant et efficace et d'une allocation pour pouvoir se nourrir et se loger.
On espère enfin pouvoir mobiliser de nouveaux bénévoles et donateurs autour de notre action.
S.C. : Quelles seront les priorités du Secours Catholique ?
V.F. : La première sera de se recentrer plus que jamais sur la fraternité, retrouver ce lien avec les plus fragiles. La deuxième sera de continuer à mener de front l’action de terrain, qui permet de soulager des situations de pauvreté, et le plaidoyer qui a pour but d’agir sur les causes profondes de cette pauvreté.
Notre proximité avec les plus fragiles nous donne un peu un rôle de vigie. Nous avons un pouvoir d’alerte auprès des gouvernants et la capacité de construire avec eux des solutions s’ils veulent bien nous écouter.
Aujourd'hui, plus que jamais, il faut partir de l’expérience des personnes qui vivent la pauvreté, de leur parole, de leurs idées.
Notre troisième priorité sera de porter l'innovation sociale au niveau local : des projets sur le thème du lien social, de l'alimentation digne - comme celui des paniers solidaires dans le Jura -, ou encore de l'emploi comme les Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD). C'est d'ailleurs la bonne nouvelle de 2020 : l'extension de l'expérimentation TZCLD à 60 nouveaux territoires.
EN IMAGES : LES MOMENTS FORTS DE 2020
À travers 18 photographies et moments forts, retour sur l'année 2020 vécue sur le terrain par le Secours Catholique et ses partenaires.
Rénover les « passoires » thermiques.
Réseau Éco Habitat, membre de Caritas France, accompagne chaque année des ménages modestes dans la rénovation de leur habitation, mal-isolée et mal-chauffée. Des bénévoles du Secours Catholique sont parties prenantes de ces chantiers : ils épaulent les foyers tout au long des démarches et des travaux. Ainsi, en janvier 2020, c’est « une nouvelle vie qui commence » pour Carole et son fils, dans l’Oise, après réception des travaux de leur maison.
La démocratie fragilisée au Brésil.
Engagé au sein du collectif « Coalition solidarité Brésil », le Secours Catholique dénonce l'aggravation des violations des droits humains à l’encontre des populations les plus vulnérables depuis l’arrivée au pouvoir du président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Avec 16 autres organisations de solidarité internationale françaises, l'association publie un baromètre intitulé « le Brésil résiste, lutter n’est pas un crime ! ».
Le Secours Catholique se mobilise pour faire entendre la voix des plus pauvres au cœur de la campagne des élections municipales programmées en France les 15 et 22 mars. L’association interpelle les candidats au scrutin au moyen d’une campagne d’affichage jouant avec le vocabulaire électoral. Il s’agit d’exprimer avec force une conviction : les personnes vivant des situations de pauvreté ont une voix à faire entendre, et cette dernière doit peser sur les choix politiques. Sur le terrain, les équipes et les groupes qui font vivre au quotidien le Secours Catholique sont invités à se rencontrer pour discuter de leurs sujets de préoccupation (logement, alimentation, mobilité...), afin d’interpeller les candidats et/ou les nouveaux élus.
Confinement.
Le 17 mars, un confinement national est imposé afin de contrer l’épidémie de Covid-19 qui a démarré quelques semaines plus tôt. Le Secours Catholique réagit, d’une part en s’organisant afin de continuer, malgré le contexte sanitaire, à venir en aide aux personnes démunies, d’autre part pour que les pouvoirs publics n’oublient pas les plus précaires dans cette crise inédite.
Dans une lettre à Emmanuel Macron, la présidente Véronique Fayet enjoint le gouvernement à répondre à l’urgence sociale et fait des propositions : accès inconditionnel aux services essentiels pour tous, extension des droits sociaux et administratifs, soutien financier pour les familles les plus modestes…
L’association débloque 2,5 millions d’euros de chèques-services pour permettre à ces familles de faire face à leurs besoins alimentaires.
En actions.
Sur le terrain, le Secours Catholique adapte son action. À Avignon par exemple, l’accueil de jour permet aux personnes sans-abri de se doucher et leur fournit boisson chaude et sacs repas. Des équipes se constituent pour réaliser des tournées de rue, dans le centre-ville confiné, afin d’aller au-devant des personnes isolées et sans ressources.
Printemps de l’engagement.
La crise sanitaire et ses conséquences pour les plus fragiles font naître un élan de solidarité. Prenant le relais de bénévoles âgés appelés à se préserver, de nouveaux volontaires et notamment des jeunes et des actifs sont venus prêter main forte. C’est le cas de Léa, étudiante, qui fait du porte-à-porte dans les quartiers pour prendre des nouvelles des habitants, ou encore de Baptiste (Ci-contre), jeune infirmier psy qui va à la rencontre de sans-abri dans les rues d’Avignon.
Nouvelles initiatives.
Alors que le déconfinement amorce un retour à la normale, de nouveaux modes d’action, nés de la crise et de l’inventivité dont ont fait preuve les bénévoles, se déploient. C’est en particulier le cas autour de la problématique alimentaire. Le Secours Catholique impulse des initiatives de paniers frais solidaires à destination des familles en précarité (ici dans le Jura), en partenariat avec des agriculteurs et producteurs locaux parfois eux-mêmes en difficulté économique.
Choc planétaire.
La crise économique, née de la pandémie, est planétaire. Ses conséquences sociales frappent particulièrement les populations les plus pauvres. En juin, la Banque mondiale a annoncé que 71 à 100 millions de personnes allaient basculer dans l’extrême pauvreté avec moins de 1,90 dollar par jour. Les travailleurs du secteur informel, en Asie et en Afrique notamment, souffrent particulièrement, dépourvus de toute protection sociale. Les partenaires du Secours Catholique à travers le monde adaptent leurs programmes à l’urgence, parant aux besoins en alimentation et en produits d’hygiène, et sensibilisant les populations aux gestes barrières.
Vacances.
Le Secours Catholique et l'UCPA (L'union nationale des centres sportifs de plein air) s’allient afin de permettre à de nombreux enfants de partir en vacances, malgré les difficultés financières de leurs parents - souvent aggravées par le confinement - et les conditions sanitaires. Des enfants issus de familles accompagnées par le Secours Catholique rejoignent des centres UCPA accueillant des enfants de tous horizons sociaux et culturels. L'occasion pour tous de découvrir des activités sportives variées, de changer d'air, et de partager des moments de détente. C’est le cas à Marseille, où des enfants des quartiers Nord pratiquent pour la première fois l’optimiste et le kayak.
Emploi.
Le 15 septembre, la loi Inclusion, qui porte de 10 à 60 territoires l’expérimentation « Territoire zéro chômeur longue durée » promue par l’association du même nom dont le Secours Catholique est membre et fondateur, entre en débat à l’Assemblée nationale. Elle sera définitivement adoptée le 30 novembre. Son principe : créer localement de l'activité économique pour fournir du travail à ceux qui n'en ont pas.
Le 16 septembre, douze associations dont le Secours Catholique saisissent le tribunal administratif de Lille, après l’annonce d’un arrêté interdisant à certaines d’entre elles de faire des distributions alimentaires à Calais, auprès de migrants qui survivent dans des campements de fortune et dans des conditions très difficiles, aggravées encore par la crise sanitaire. Cet arrêté bafoue le principe constitutionnel de fraternité s'émeut la présidente du Secours Catholique dans une lettre adressée au président Macron.
Tournons la page saisit la CPI.
Alors que l’élection présidentielle est prévue le 18 octobre en Guinée, le collectif « Tournons la page » soutenu par le Secours Catholique dénonce des meurtres caractérisant un crime contre l’humanité dans un rapport intitulé « Un troisième mandat d’Alpha Condé, à quel prix ? ». L'ONG saisit la Cour pénale internationale (CPI). La réélection contestée d’Alpha Condé, officiellement entérinée en novembre, fait craindre le pire pour la démocratie et la répression de l’opposition.
Amazonie en danger.
Du 12 au 15 novembre se tient de manière virtuelle le Forum social panamazonien (Fospa), qui réunit les sociétés civiles - dont les partenaires du Secours Catholique - des neuf pays du bassin amazonien. L’occasion pour ces acteurs de réfléchir aux moyens de protéger et de défendre l’Amazonie. Car la survie du poumon de la planète - qui représente 40 % de la superficie en Amérique du Sud - est menacée par la déforestation massive perpétrée par les industries extractivistes, et les droits des peuples autochtones sont bafoués.
Le 12 novembre, le Secours Catholique publie son rapport annuel « L’État de la pauvreté en France », à partir des données statistiques récoltées auprès des 1,4 million de personnes accompagnées en 2019. Le rapport pointe, sur dix ans, la dégradation des ressources des ménages les plus pauvres, et met en lumière, à travers une analyse détaillée de leurs budgets, l’importance des dépenses contraintes pesant sur ces derniers, en particulier celles liées au logement. Le rapport souligne ainsi le faible niveau du « reste à vivre » des ménages pour couvrir les autres besoins essentiels, à commencer par l’alimentation et l’habillement.
Joyeux FraterNoël !
Le contexte sanitaire ne permettant pas d’organiser les traditionnels réveillons collectifs et solidaires, le Secours Catholique se mobilise différemment cette année, avec l’opération FraterNoël, les 24 et 25 décembre. Partout sur le territoire, des milliers de bénévoles vont à la rencontre des familles, personnes isolées ou à la rue qu’elles accompagnent toute l’année, et leur remettent, lors d’un temps d’échange et de partage, un sac garni de petites victuailles (parfois confectionnées par des restaurateurs locaux) et d’objets et présents (photophore, contes à lire…). Autant d’ingrédients qui leur permettront de passer une belle veillée de Noël.