Maria, victime d'un réseau de prostitution : « Ça gâché ma vie. »

Chapô
Maria, 42 ans, vit à Fort-de-France, en Martinique, depuis 14 ans. Elle est Dominicaine. À l’âge de 16 ans et pendant plusieurs années, elle a été victime d’un réseau de prostitution.
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Texte
Maria, victime d'un réseau de prostitution.

«  Une dame de Saint-Domingue cherchait des jeunes filles. Elle m'a dit que c'était pour aller travailler à l'usine au Venezuela. Je ne vivais pas dans la misère, je ne mourrais pas de faim, mais j'avais 16 ans et l’envie de découvrir le monde. Nous étions un groupe de neuf jeunes filles. En fait, nous avons atterri au Suriname et avons été conduites dans une boîte de nuit pour y être prostituées. Les trois premiers jours, après que nous nous sommes rendues compte qu'on nous avait trompées, nous avons refusé de descendre dans le night club. Pour nous convaincre, ils ont frappé des filles.

Nous étions bloquées ici. On nous avait pris nos passeports. Et nous devions rembourser nos billets d'avion. Après chaque passe, avant même que l’on ait le temps de se relever, ils frappaient à la porte pour récupérer l'argent auprès du client. Quand, deux jours par semaine, ils nous laissaient sortir pour acheter du linge ou des produits pour le corps, ils nous suivaient. Rien n'était gratuit, nous payions notre repas au restaurant du night club. Au bout de trois mois, j'ai raconté mon histoire à un client militaire hollandais. Il nous a aidées à nous évader, trois copines et moi, avec le soutien d'un de ses amis. Nous nous sommes cachées dans la capitale pendant trois jours.

J'ai toujours en moi cette honte de ne pas avoir porté plainte.

 

Ils nous ont cherchées, nous risquions de nous faire tuer. Nous avons rencontré un Dominicain qui nous a aidées à passer en Guyane française, en pirogue. Je suis arrivée à Cayenne sans papiers, comme « clandestine ». Rentrer sans rien dans mon pays, après avoir été abusée sexuellement pendant trois mois, c'était impossible, j'avais trop honte. À Cayenne, je vivais à Chicago, dans le quartier des trafics. Un soir, j'ai été violée par l'ami d'une amie qui devait m'emmener la rejoindre à une soirée. Ce viol m'a traumatisée. Mon amie voulait que je porte plainte, mais je n'ai pas osé, car j'étais sans papiers. J'ai gardé le silence.

J'ai toujours en moi cette honte de ne pas avoir porté plainte. Pendant trois ans, je me suis prostituée. Je me suis faite agresser plusieurs fois avec un pistolet par des hommes qui voulaient mon argent. Puis j'ai rencontré le père de mon premier enfant. Il m'a trouvé du travail comme femme de ménage. J'ai obtenu un titre de séjour d'un an. Ma vie a commencé à devenir normale. Grâce à mon travail et à mon enfant, j'ai ensuite reçu une carte de séjour pour 10 ans. C'était beaucoup moins difficile à obtenir que maintenant. Depuis j'ai eu trois enfants et mon titre de séjour est renouvelé. Au bout de sept ans, j'ai pu retourner à Saint-Domingue voir mes parents. Et depuis, j'y retourne régulièrement. C'est pour cela que je me suis installée en Martinique : c'est plus près et plus simple pour faire les allers-retours.

Quand j’ai revu mes parents pour la première fois, je leur ai parlé du présent : de mon travail, de mon fils. Mais je ne leur ai jamais parlé de ce qu'il s'était passé, de mes souffrances. J'ai gardé cela pour moi pendant 26 ans. Mon père est mort, il ne le saura jamais. C'est quelque chose qui vit en moi et je n'arrive pas à le vaincre. Je suis une personne intelligente, avec du caractère. Cela a gâché ma vie. J'ai quitté l'école pour voyager et j'ai perdu toutes mes opportunités. On a profité de mon innocence. »

Crédits
Nom(s)
Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste rédacteur
Nom(s)
Gaël Kerbaol
Fonction(s)
Photographe
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