Migrants : « Non, la France n’est pas submergée »
Le phénomène migratoire fait l'objet d'idées reçues. On entend ainsi souvent que les personnes qui quittent les pays du Sud viennent s’installer en Europe. Pourtant les chiffres le prouvent : la part des migrants dans la population mondiale reste relativement stable et les migrations sont souvent régionales.
Déconstruction de préjugés sur les migrants avec Hervé Le Bras démographe et directeur de recherche à l’INED (institut national des études démographiques) et l’EHESS (école des hautes études en sciences sociales), auteur d’un livre « Serons-nous submergés ? Migration, réfugiés, remplacement » à paraître en avril 2020 aux éditions de l'Aube.
Questions à Hervé Le Bras, démographe
Est-il faux de dire que la France et l’Europe sont submergés par les migrants ?
Hervé Le Bras : Oui, c’est faux. Il n’y a pas d’immersion en vue ! À l’échelle européenne on a un solde de 1,4 millions d’entrées et de sorties d’étrangers, ce qui est peu comparé aux 500 millions d’habitants européens.
En France, les entrées régulières, c’est-à-dire le nombre de cartes de séjour distribuées, connait une augmentation modérée : de 220 000 en 2010 à 260 000 en 2019. C’est plutôt le nombre de demandes d’asile qui s’est accru de 60 000 par an dans les années 2010 à 120 000 l’an dernier. Mais le taux d’acceptation n’est que de 40 %. On estime d’autre part qu’environ 30 000 sans-papiers entrent chaque année en France, ça n’est pas énorme.
Revenons aux 260 000 entrées régulières : il faut aussi regarder les sorties. 70 000 étrangers partent chaque année, ce qui fait une arrivée nette d’étrangers de 190 000. Or, les Français aussi partent : en 2018, 230 000 Français sont partis et 100 000 sont revenus, ce qui fait un déficit de 130 000 Français. Le solde de personnes en plus en France est donc de 60 000. C’est peu de choses !
On parle souvent de « vagues migratoires », de « flux ». Dans quelle mesure les termes employés contribuent à donner cette impression d’invasion ?
Hervé Le Bras : C’est juste : les termes employés sont du domaine physique. On parle de pression migratoire, comme s’il s’agissait d’un gaz. On donne aussi l’impression que la population se répand comme un liquide et c’est faux.
Dernière les migrations, il y a deux facteurs : le facteur économique et le facteur du réseau personnel. Par exemple, beaucoup de migrants maliens en France proviennent d’une même région près de Kayes. C’est historique : c’est de cette région que provenaient les tirailleurs sénégalais.
À l’inverse, seuls 120 Nigériens sont arrivés l’an dernier en France, alors que le Niger gagne chaque année 1 million d’habitants. Cette idée d’invasion est ancienne. Déjà en 1900 on avait peur des Allemands plus féconds que les Français et qui menaçaient de nous submerger.
Qu’en est-il des autres continents ? Accueillent-ils aussi des migrants ?
Hervé Le Bras : Aujourd’hui, environ 3,5 % des habitants de la planète vivent dans un autre pays que celui dans lequel ils sont nés, soit environ un habitant sur 30, c’est peu ! Historiquement on a toujours eu des migrations plus importantes entre pays proches. Les quatre premiers groupes de migrants en France viennent de pays proches : le Portugal, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.
Pareillement les réfugiés du Darfour au Soudan vivent dans des camps au Tchad voisin, les Afghans sont surtout au Pakistan et les Rohingyas ont fui pour le Bangladesh voisin. L’an dernier on n’a compté que deux demandes d’asile de Rohingyas en Europe sur les 1 millions de réfugiés !
Les plus pauvres ne vont pas bien loin. C’est aussi le cas des Syriens : l’Europe n’a accueilli que 10 % des déplacés syriens. 3 millions sont en Turquie, 1 million au Liban et… 8 millions sont déplacés à l’intérieur même de la Syrie.
À quel autre préjugé sur les migrants faisons-nous face ?
Hervé Le Bras : Les Français ont encore en tête la migration des années 1970, c’est-à-dire l’image d’un pauvre migrant souvent analphabète, mais c’est faux. Aujourd’hui les migrants qui ont les moyens de venir en Europe ne sont pas pauvres, ils sont même diplômés.
Les jeunes immigrés qui demandent une carte de séjour sont même plus éduqués que les Français du même âge. De même, on a tendance à penser que les migrants viennent de la campagne et ont beaucoup d’enfants. Or la réalité est toute autre : ils proviennent plutôt de milieux urbains et sont le plus souvent célibataires.
Aujourd’hui on migre plus facilement avec un diplôme. La migration est sélective, ne l’oublions pas.
Crédits photos : © Steven Wassenaar / Secours Catholique