Un rapport pour alerter sur « l’ultra-précarité » en région PACA
Laurent Ciarabelli, animateur dans les Bouches-du-Rhône, coordinateur et co-rédacteur du rapport
Secours Catholique : À partir de huit monographies, le rapport esquisse un panorama de la pauvreté en région PACA. Quels en sont les grands traits ?
Laurent Ciarabelli : Ce rapport est effectivement le fruit d’un travail basé sur des entretiens longs avec des personnes accompagnées par le Secours Catholique et par d’autres associations membres du collectif Alerte PACA. Il reflète les réalités vécues par des personnes dont la situation s’est dégradée au fil des confinements successifs et des conséquences sanitaires et sociales de la pandémie.
Pour la plupart, ces gens travaillaient, étaient insérés dans la société, mais ils ont été impactés par le ralentissement des services publics, par la perte d’un emploi et la difficulté à en retrouver un, etc. Nous avons essayé de récolter le vécu de personnes dont les profils sont représentatifs de la société : jeunes, familles, retraités...
S.C. : C’est donc un tableau des conséquences de la crise ?
L.C : Il est la suite directe d’un premier rapport, écrit il y a un an, dans lequel nous relations ce qu’avaient vécu les personnes durant le confinement, comment elles avaient été touchées. Nous avons continué ce travail d’enquête pendant un an. La crise sanitaire s’est tassée pour la plupart des gens, mais pas pour une partie de la population. Notre enjeu est de montrer que les personnes touchées par la crise ont pu bénéficier d’un matelas de sécurité (permis par les pouvoirs publics et/ou les associations), mais quand tout est reparti à peu près normalement, certains matelas ont disparu et les personnes ont continué à chuter.
Nous souhaitons donner à comprendre aux pouvoirs publics qu’il y a des « invisibles », des personnes qui passent entre toutes les mailles du filet. Elles se retrouvent dans des situations complexes, se sont appauvries et ne peuvent pas s’en sortir malgré les dispositifs mis en place.
S.C. : Qui sont ces « nouveaux » pauvres passés entre les mailles du filet ?
L.C. : Ce sont par exemple des personnes qui ont travaillé toute leur vie, qui ont de petites retraites, et qui, par une activité complémentaire souvent informelle de petits services, gagnent 200, 300 euros par mois. Ayant perdu cette ressource, elle se retrouvent endettées.
Ce sont aussi des personnes bloquées dans leurs démarches administratives quand les services se sont grippés. Des RSA ont mis des mois à être versés, des personnes ont attendu des semaines avant d’obtenir leurs papiers pour l’assurance maladie et ont vu leurs conditions de santé se dégrader. Des mineurs ont subi des ruptures d’égalité en raison de la fermeture des écoles et des difficultés d’accès au numérique.
Ce sont des gens, enfin, dont les conditions de vie ou d’isolement social font qu’ils se sont retrouvés seuls, sans aides, et qu’ils se sont tournés pour la première fois, pour certains après 40, 50 ans de vie, vers les associations comme la nôtre.
S.C. : Quelles sont les spécificités régionales de cette précarité ?
L.C. : C’est un fait, Marseille concentre 80% de la pauvreté des Bouches-du-Rhône. Un tiers des ménages marseillais se situait déjà en-dessous du seuil de pauvreté en 2020 et cinq arrondissements de la ville affichent des taux de pauvreté supérieurs à 40%. Bien souvent, les dispositifs d’aides sont insuffisants.
Ailleurs, des spécificités existent. Dans le nord du département, par exemple, la situation des travailleurs agricoles détachés est problématique. Leurs droits sont fréquemment mis de côté, ils sont obligés de travailler à des cadences infernales, ont des retenues sur salaire pour payer leurs hébergements collectifs. Pendant le premier confinement, nous avons aussi vu frapper à notre porte des communautés entières de travailleurs saisonniers, notamment celles qui travaillent dans le tourisme et l’hôtellerie - par exemple la communauté philippine à Cannes. Elles se sont retrouvées sans ressources, complètement dépendantes de la solidarité.
Citons également le cas d’étudiants de l’université d’Aix-Marseille, la plus grande université de France. Beaucoup ont dû faire appel à des aides sociales d’urgence. Dans notre rapport, nous citons le cas d’une étudiante venue comme jeune fille au pair et qui s’est retrouvée à devoir faire sur ses propres deniers les courses alimentaires pour l’enfant dont elle s’occupait, pour justifier le fait qu’elle était hébergée par la famille.
S.C. : Quels enseignements tirez-vous de ce travail ? Quelles demandes formulez-vous ?
L.C. : Nous faisons des préconisations à résonnance nationale sur différentes thématiques en lien avec les réalités locales, telles qu'une politique de logement digne et suffisante, un accès digne à une alimentation saine, durable et de qualité pour tous, ou encore une meilleure prise en compte de la santé physique et mentale des personnes en précarité. Autant de mesures structurelles pour lutter contre les différentes dimensions de la pauvreté.
Par ailleurs, un véritable enjeu que l’on souhaite pointer avec ce rapport est la participation des personnes qui viennent à notre rencontre dans la formulation de leurs propres solutions. Il faut que les pouvoirs publics l’entendent. Nous tendons une main qui permet de reconfigurer le travail avec les institutions après la crise sanitaire. Les bénévoles du Secours Catholique ont répondu présent lors de cette crise, maintenant il faut transformer l’essai et que les pouvoirs publics écoutent les propositions concrètes, chiffrées et argumentées de la société civile.
Ce rapport est un exercice que l’on a fait une fois, que l’on réitère cette année pour attirer l’attention, et dont on donne les conclusions aux pouvoirs publics. Nous documentons, alertons, mais nous ne pouvons pas faire à la place. Ce qui est positif, c’est que ce travail a permis de renouer un dialogue jusque là compliqué avec les pouvoirs publics dans les Bouches-du-Rhône. Nous appelons à poursuivre cette coordination entre institutions et société civile, car nous avons des solutions à proposer de part et d’autre.
S.C. : Vous appelez également à la création d’un observatoire régional de la grande pauvreté. Dans quel but ?
L.C. : Cet observatoire régional des grandes pauvretés aurait pour mission de mieux comprendre les dimensions de la pauvreté en PACA, en menant des enquêtes à différentes échelles et sur différentes thématiques, afin de penser des politiques qui pourraient être mises en place. Cet observatoire serait co-porté et cofinancé par le monde associatif, mais aussi les pouvoirs publics, la recherche, etc.
In fine, cela permettrait d’avoir une action qui s’adapte aux besoins des personnes en précarité sur notre territoire, finement et rapidement (par exemple sur les squats et bidonvilles verticaux du 3e arrondissement de Marseille). Un tel observatoire doit permettre de repérer des signaux faibles, des régularités dans la pauvreté et contribuer à adapter les réponses qui s’inscrivent dans les réformes structurelles nationales évoquées précédemment.
Consulter le rapport "Chroniques de l'ultra-précarité en région PACA"