Une protection sociale par et pour tous

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Quelle protection sociale pour notre XXIe siècle ? Depuis quelques années, le Secours Catholique-Caritas France réfléchit à cette question avec des personnes en précarité, les plus touchées en cas de défaillance du dispositif de solidarité collective.
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UNE PROTECTION SOCIALE PAR ET POUR TOUS

Consciente que le modèle français a des atouts mais aussi des failles, l’association a lancé une grande enquête publique – « En–quête d’une protection sociale plus juste » –, qu’elle présente avec ses propositions dans son rapport statistique 2018. Comment vit-on avec la protection sociale aujourd’hui en France et comment améliorer le système ?

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Pour une protection sociale plus solidaire

L’enquête lancée par le Secours Catholique et les démarches de réflexion menées avec les personnes en précarité ont conduit l’association à tirer un certain nombre de constats sur notre système actuel de solidarité collective, mais aussi à lancer des pistes d’amélioration.

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© Christophe Hargoues/Secours Catholique-Caritas France
© Christophe Hargoues/Secours Catholique-Caritas France
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« Le pauvre vit la protection sociale de manière aiguë. Celle-ci ne corrige pas les inégalités, elle se contente de boucher une dent creuse. » Voici l’analyse de Sophie, qui touche l’AAH (allocation adulte handicapé) et qui a réfléchi avec le Secours Catholique au système de protection sociale actuel. C’est bien à partir de ce constat – la protection sociale ne corrige pas ou plus toutes les inégalités – que le Secours Catholique s’est lancé dès 2015 dans une réflexion sur notre dispositif de solidarité collective, qui recoupe six catégories de risques : la vieillesse et les retraites, la santé et le handicap, la famille et la maternité, la perte d’emploi, le logement, et la pauvreté et l’exclusion sociale.

Dans nos accueils, nous avons remarqué que de nombreuses personnes passent à la trappe.
Daniel Verger, responsable du pôle Études, recherches et opinion au Secours Catholique
 

« Nous pensons que la protection sociale est un véritable trésor qui nous permet de nous extraire de la peur du lendemain et d’assurer une protection vis-à-vis des aléas de la vie », explique Daniel Verger, responsable du pôle Études, recherches et opinion au Secours Catholique. « Mais il n’empêche que, dans nos accueils, nous avons remarqué que de nombreuses personnes passent à la trappe. » D’où l’idée de repenser une protection sociale qui n’exclurait personne, et ce en partant du vécu des personnes concernées.

Ainsi, le Secours Catholique, la Fédération des centres sociaux, Aequitaz et le réseau des Accorderies ont lancé une exploration citoyenne faisant interagir les savoirs des gens, des experts et des professionnels au sein du Collectif pour une protection sociale solidaire. Parallèlement, des réflexions ont été menées au sein des délégations du Secours Catholique, et une enquête publique a été lancée pour mieux comprendre le rapport des personnes à la protection sociale aujourd’hui.

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le Secours Catholique et le Collectif pour une protection sociale solidaire travaillent avec des personnes en situation de précarité
Depuis 2015, le Secours Catholique et le Collectif pour une protection sociale solidaire travaillent avec des personnes en situation de précarité pour définir les contours d'une protection sociale qui n'oublie personne.
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Une protection mise à mal

Premier constat : même si la protection sociale concerne tout le monde, elle n’est pas vécue de la même manière aux différents niveaux de l’échelle sociale. La moitié des répondants ayant un niveau de vie inférieur à 1 000 € par mois ont été confrontés à un arrêt imprévu de prestations, contre 10 % pour ceux gagnant plus de 2 000 €. De même, la majorité des personnes ayant vécu des situations non prévues par les administrations sont des personnes à faible revenu.

Les personnes qui ne se retrouvent pas dans les cases sont celles qui en auraient le plus besoin.
Célina Whitaker, coordinatrice du Collectif pour une protection sociale solidaire.


« Les personnes qui ne se retrouvent pas dans les cases sont celles qui en auraient le plus besoin, commente Célina Whitaker, co-coordinatrice du Collectif. « L’enquête montre qu’en cas de difficulté les gens se privent de nourriture et de santé. Les besoins vitaux ne sont donc pas couverts. Il n’y a qu’à voir la différence d’espérance de vie entre les plus riches et les plus pauvres, treize ans d’écart pour les hommes selon l’Insee, huit ans pour les femmes. »

En cas de galère, la société n’apparaît donc pas comme protectrice. De manière générale, l’enquête nous révèle que, même si les agents administratifs sont plutôt accueillants et à l’écoute, l’information est souvent mal transmise, les gens sont renvoyés d’un service à l’autre et ont des délais de perception des allocations assez longs. « Le tout Internet fait aussi des exclus, témoigne Isabelle, qui a réfléchi à la protection sociale dans la délégation de Rennes. « Si on n’a pas accès au numérique, ont remplit le dossier trop tard, ce qui stoppe toute la procédure. Comment font les migrants, les SDF et les personnes âgées s’ils n’ont pas Internet ? »

Préconisations

Jean-Marc, du Secours Catholique de Lyon, a lui-même été neuf mois dans l’attente du chômage : « Les Assédic de l’époque et la CAF pour le RMI se renvoyaient la balle. Je ne pouvais rien toucher tant que le problème n’était pas réglé. » Il perçoit deux solutions : « Tout d’abord, ça m’aurait évité des déplacements si les administrations étaient dans un même lieu. Avoir un interlocuteur unique diminuerait le sentiment de ballottage. Et puis je pense qu’on devrait présumer de la bonne foi des citoyens et verser d’abord les prestations, quitte à contrôler après. »

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La protection sociale : constats et améliorations
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Chacun doit pouvoir contribuer et être protégé même dans les périodes où il ne cotise pas. 
 

C’est aussi l’avis de Marc de Montalembert, professeur de politique sociale, qui a accompagné le Secours Catholique dans ses démarches : « Le contrôle a posteriori éviterait des suspensions de droit. Aujourd’hui, les gens connaissent des ruptures parce qu’il manque tel ou tel papier, c’est toujours à leur détriment. Pour parer à ce problème, je défends aussi la mise en place d’un coffre-fort numérique qui contiendrait les données des personnes, et l’idée des maisons de la solidarité dans un lieu unique avec l’ensemble du dispositif. »

Tout ceci pour rendre la protection sociale positive pour les gens qui en ont le plus besoin. Le Secours Catholique défend aussi l’universalité de la protection sociale : « Chacun doit pouvoir contribuer et être protégé même dans les périodes où il ne cotise pas. » La contribution devrait pouvoir être élargie à d’autres qu’aux salariés. « Actuellement, la protection sociale répare. Or, il faudrait une protection sociale d’investissement », poursuit Marc de Montalembert. Et de citer les questions de l’éducation – « Il faudrait une multiplication des dispositifs de scolarité des enfants des familles en difficulté » – et du logement – « actuellement il manque une volonté de mixité sociale dans les quartiers ». Au-delà, le chercheur pointe du doigt le manque de participation des principaux intéressés dans la protection sociale : « À titre d’exemple, les assurés sociaux ne sont pas représentés dans les conseils d’administrations de la Sécurité sociale ». Le Secours Catholique croit aussi à cette représentativité des personnes concernées d’où sa démarche. Sophie, elle, est ravie : « dans le collectif, je vis une espérance démocratique authentique. La parole de chacun est importante. Ça change et ça fait du bien. »

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 Séverine Noel

Le point de vue de Séverine Noël du Collectif pour une protection sociale solidaire

 

« C’est quoi ce machin-là ? » Quand on m’a demandé de faire partie du collectif de réflexion sur la protection sociale, j’ai été surprise. Aujourd’hui, plus on avance, plus j’ai envie d’aller au bout de cette démarche. Je me sens utile, et ça m’a fait remonter la pente. On réfléchit à nos vies, et ça donne des idées. Par exemple, je suis estomaquée de voir le taux de non-recours au RSA, 41 % en 2017 parmi les personnes rencontrées par le Secours Catholique. Comment font les personnes pour vivre sans rien ? Je pense que les gens ont peur d’aller voir les administrations qui leur demandent dix fois le même papier. Ils en ont marre et baissent les bras. Je l’ai vu avec ma fille handicapée : j’ai dû me battre quatre mois pour qu’elle touche sa prime d’activité à cause d’un problème de date dans le dossier. Si les droits étaient automatiques et le contrôle se faisait après coup, les gens galéreraient moins ! Sans parler du regard des autres, qui freine. Les mots font mal, par exemple « cas social » : je trouve ça jugeant et blessant. Et puis, parfois, on manque d’informations. Si on ne pose pas les bonnes questions, on loupe nos droits, c’est le comble. Tout ceci explique le non-recours alors que la protection sociale existe. Ça me donne envie d’accompagner les gens pour qu’ils accèdent à leurs droits.

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REPORTAGE « Sans la protection sociale, je ne serais plus là »

 

REPORTAGE« Sans la protection sociale, je ne serais plus là »
© Gaël Kerbaol/Secours Catholique-Caritas France
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LOUIS MAURIN : « LA PROTECTION SOCIALE COÛTE CHER MAIS ELLE EST EFFICACE »

Auteur du livre « Comprendre les inégalités » publié par l’Observatoire des inégalités, Louis Maurin nous livre son analyse sur l’essence et la portée de la protection sociale.

Louis Maurin, Directeur de l'Observatoire des inégalités

 

Louis Maurin, Directeur de l'Observatoire des inégalités

 

 

Secours Catholique : Est-ce qu’aujourd’hui la protection sociale remplit encore sa mission initiale de correction des inégalités ?

Louis Maurin : Le vaste système français de protection sociale réduit les inégalités de façon considérable. Avant impôts et protection sociale, les 10 % les plus aisés touchent 21 fois plus que les 10 % les plus modestes. Après, l’écart se réduit à six. Notre modèle social, qui a certes des imperfections, redistribue donc les richesses. D’autre part, il permet de sortir de la pauvreté plus qu’ailleurs.

En France, 2,4 % de la population est pauvre et l’a été deux ans au cours des trois années précédentes, ce qui représente un tiers de l’ensemble des pauvres, si l’on prend le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian. Ce taux de pauvreté persistante reste bien sûr trop élevé mais c’est l’un des plus faibles d’Europe.

On ne peut donc pas dire, comme notre président, que la protection sociale coûte un « pognon de dingue » pour rien. Elle a un coût, mais elle est efficace. Par ailleurs, l’emploi du terme pognon est méprisant pour les personnes en situation de précarité. Jamais il ne viendrait à l’esprit des hommes politiques d’utiliser ce terme concernant les catégories aisées.


S.C. : Vous parlez d’imperfections. Peut-on dire qu’on assiste à un démantèlement de la protection sociale avec une marchandisation des couvertures (santé, retraite) ?

L.M : On ne peut pas parler de « démantèlement », même si les tentations de marchandisation sont nombreuses. Il est vrai qu’on rogne des petits bouts du modèle de protection sociale en ouvrant la porte au privé. Mais on ne va pas vers la fin de la prise en charge. Tout n’est pas rentable et ne peut être privatisé.

Notre système est complexe et hybride car il s’est adapté aux réalités sociales. Il a de nombreuses qualités lorsqu’on le compare à d’autres modèles au niveau international. Après, c’est vrai qu’on pourrait faire beaucoup mieux, par exemple pour les jeunes, qui n’ont pas droit aux minima sociaux, ou encore les familles monoparentales.

 

S.C. : La protection sociale n’est-elle pas nécessaire pour la bonne cohésion d’une société ?

L.M : Elle crée un sentiment d’appartenance à un ensemble, et en France, contrairement à ce que l’on entend partout, la solidarité est très forte envers les plus pauvres. Chaque année la moitié de la richesse nationale est redistribuée. Mais attention, car à trop cibler les populations, on risque de rompre l’universalisme du dispositif.

La protection sociale doit aussi avoir une portée universelle afin que tout le monde sente qu’il fait partie du système. Un système pour les pauvres est un pauvre système. Chacun doit contribuer, en proportion de ses revenus, mais aussi recevoir.


S.C. : Au-delà de l’utilité sociale, la protection sociale, en créant un retour sur investissement, est-elle aussi une nécessité économique ?

L.M : Certes les dépenses reviennent dans le circuit économique : les prestations sociales soutiennent la consommation. Mais on ne doit pas justifier le fait de protéger les gens des risques de la vie par le fruit économique. On protège pour protéger, peu importe si on a un retour sur investissement ou pas. Il faut assumer. Derrière se pose la question de la société que l’on veut. Il faut construire la protection sociale autour des valeurs et non autour de la question de l’utilité économique.

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Gaël Kerbaol/Secours Catholique-Caritas France
© Gaël Kerbaol/Secours Catholique-Caritas France
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« JE CONTRIBUE DONC JE SUIS » : POUR UNE PROTECTION SOCIALE UNIVERSELLE

Notre système de protection sociale est principalement basé sur le travail rémunéré, excluant de fait ceux qui ne cotisent pas par le travail. Le Secours Catholique souhaite ouvrir le débat de la contribution.

Assurance-chômage, retraite, Sécurité sociale : tous ces droits ne sont ouverts qu’en cas de cotisations salariales. Or, on estime que les activités de services non rémunérées (bénévolat, aide d’un proche, service rendu gratuitement) représentent 10 à 15 % de la production nationale en France.

Pour le Secours Catholique, ils sont indispensables au bon fonctionnement de la société, et les personnes actrices devraient pouvoir contribuer à la protection sociale et être protégées. « Par exemple, les aidants des personnes âgées ou handicapées sont utiles à la société car, sans elles, ces gens seraient délaissés. Elles devraient donc aussi bénéficier de la protection sociale, même si elles ne cotisent pas », explique Nourredine, sans-papiers, hébergé à l’ACSC*.

« Moi-même, n’ayant pas le droit de travailler, je ne touche que l’AME, l’aide médicale de l’État, et du coup, tous les médicaments ne sont pas pris en charge ; je ne peux pas me soigner correctement. Tout le monde devrait avoir la possibilité de se soigner. »

La non-reconnaissance des gens a un coût pour la société.
 

La non-reconnaissance des gens a un coût pour la société. Une personne aidant son parent âgé par exemple peut, sans reconnaissance, s’épuiser et entraîner des dépenses de santé. Dans son rapport statistique, le Secours Catholique pose ainsi la question de la couverture de ce septième risque social : celui de la dépendance. La collectivité devrait apporter davantage d’aide aux personnes dépendantes.

« Une meilleure prise en charge de ces personnes a un coût certain, mais peut aussi faire baisser d’autres coûts monétaires et non monétaires, en diminuant le stress et la fatigue des aidants », indique Dominique Redor, chercheur associé au Centre d’études de l’emploi et du travail.

Élargir la contribution

« Comme dans l’exemple des aidants familiaux, on s’est dit que toute personne contribue à la société. On s’est alors demandé comment reconnaître ces apports divers afin qu’ils ouvrent des droits, explique Célina Whitaker, co-coordinatrice du Collectif pour une protection sociale solidaire. Avec l’idée qu’il n’y a pas que le travail salarié qui devrait être reconnu. »

Dans l’enquête du Secours Catholique, les répondants estiment aussi en grande majorité qu’à la fois l’aide (financière ou non) aux parents âgés ou enfants handicapés et le bénévolat devraient être reconnus par l’État. Se pose dès lors la question de la mise en œuvre de cette reconnaissance et de l’ouverture des droits. La rémunération monétaire est d’emblée écartée, avec le risque de dénaturer le bénévolat.

On est dans la reconnaissance soit du temps passé, soit de la compétence mise à la disposition des activités de bien commun 


Les répondants considèrent plutôt que la reconnaissance devrait passer par la dépénalisation des actions de solidarité, par exemple ne pas diminuer les APL à une personne qui en héberge solidairement une autre. Viennent ensuite dans l’enquête le fait d’avoir accès à des formations ou de gagner des trimestres retraite. « On est donc dans la reconnaissance soit du temps passé, soit de la compétence mise à la disposition des activités de bien commun », analyse Célina Whitaker. Le Secours Catholique ouvre en tout cas le débat. Car, pour bien vivre ensemble, chacun doit pouvoir contribuer à la société et être protégé.

*ACSC : Association des cités du Secours Catholique.

Crédits
Nom(s)
CÉCILE LECLERC-LAURENT
Nom(s)
Crédits Photos : © Gaël Kerbaol, © Xavier Schwebel , © Christophe Hargoues / Secours Catholique-Caritas France
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