À Annecy, un café pour restaurer les corps et les cœurs

Chapô
Depuis quinze ans, le Café du monde, animé par le Secours Catholique à Annecy, cultive le sens de la convivialité. Lancé à l’origine pour offrir un petit-déjeuner tous les jours et un repas hebdomadaire, il propose à présent de nombreuses activités.
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Sur le comptoir, les tasses et les sous-tasses s’entrechoquent. Maria actionne la cafetière, qui siffle gaiement en remplissant un mug blanc. La bénévole de 71 ans connaît bien l’homme qu’elle s’apprête à servir, et qui se tient en face d’elle, emmitouflé dans son manteau, le visage mangé par son bonnet noir. Maria sait qu’il tremble, alors elle lui tend son café avec délicatesse. L’homme esquisse un signe de la tête. Maria sourit et l’accompagne des yeux jusqu’à la table où il s’assied.

« Ce que j’aime ici, c’est qu’on ne fait pas de différence entre les bénévoles et les personnes accueillies », explique cette ancienne infirmière originaire du Chili, arrivée en France au moment de sa retraite, il y a cinq ans. « Au début, je suis venue moi-même pour suivre des cours de français. Un jour, on m’a proposé d’aider au service du petit-déjeuner. Et je suis restée. » Maria, qui est membre de plusieurs autres associations, souligne ce qu’elle trouve d’unique au Café : « Ici, tout est "personnalisé" : on fait attention aux goûts de chacun, à ses difficultés… Pour moi, c’est vraiment ça, la fraternité. »

C’est un lieu adapté à tout le monde. 

Installé dans une maison un peu à l’écart du centre-ville, et bordée par une courette à la haie bien entretenue, le Café, entièrement rénové il y a cinq ans et bien chauffé, est l’image de ce qu’il veut être : un lieu chaleureux. « C’est essentiel d’avoir des locaux dignes, car cela favorise le sentiment d'appropriation, souligne Morgane Métin, animatrice pour le Secours Catholique de Haute-Savoie. On a tous envie de s’y investir et d’en prendre soin. »

Lors de son inauguration en 2009, le Café du monde était le seul lieu d’accueil solidaire proposant un vrai petit-déjeuner, dans toute l’agglomération annécienne. Alors, il est vite devenu un phare, rassemblant un public varié. « C’est un lieu adapté à tout le monde », salue Muriel, la cinquantaine, qui fréquente le Café depuis dix ans : « Il y a des gens qui sont à la rue, d’autres qui ont un toit mais qui ont du mal à boucler les fins de mois, comme moi par exemple, et puis des étrangers. » Michel, instituteur, bénévole, se réjouit de cette diversité : « C’est enrichissant, cela nous apprend à composer. » En moyenne, 50 à 80 personnes prennent ici chaque matin leur petit-déjeuner. Depuis deux ans, les personnes issues de la rue sont de plus en plus nombreuses parmi les personnes accueillies.

Quarante-cinq bénévoles se relaient au service du petit-déjeuner du matin, mais ils ne sont pas moins de 120 au total pour animer les nombreuses propositions qui jalonnent désormais les semaines : ateliers de français, accompagnement aux démarches administratives, accueil des étrangers, "repas partage" le vendredi, soins de coiffure avec Salem, une association caritative de confession musulmane, et rendez-vous d’ostéopathie. 

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Muriel à la table du petit-déjeuner
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Ce matin, comme depuis dix ans, Muriel est venue en bus pour prendre le petit-déjeuner, dès 8 h 30. Cette femme d’une cinquantaine d’année, éducatrice spécialisée de formation, est aujourd’hui sans emploi, et bénéficie de l’allocation adulte handicapé (AAH). « Moi, j’ai un toit, même si ce n’est pas facile de boucler les fins de mois ; mais ici, il y en a beaucoup qui sont en grande précarité. Alors j’essaie d’aider comme je peux : quelquefois je donne des livres, des jouets, ou simplement des renseignements. » Pendant la semaine, Muriel reçoit des colis alimentaires d’une autre association. Le vendredi, elle ne manquerait pour rien au monde le « repas partage » du Café du monde : « J’ai connu des endroits où je mangeais la peur au ventre. Tandis qu’au Café, les bénévoles savent donner un cadre : je me sens vraiment tranquille. » Une ambiance sereine dans laquelle Muriel peut être elle-même : « J’ai mon caractère, mais on m’aime bien », sourit celle que l’on surnomme « Mumu ». 

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gros plan sur des feutres et un homme en train de dessiner
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Bautista a longtemps entendu parler du Café du monde, mais cela fait seulement dix-huit mois qu’il fréquente le lieu. Attablé devant un café au lait et des tartines de confiture - un luxe qu’il ne pourrait pas s’offrir autrement -, il prend plaisir à converser en espagnol avec Maria. « Ici, c’est très international ! Mes parents étaient espagnols tous les deux », explique-t-il. Maria lui apporte des feuilles et des crayons de couleur. Et Bautista ébauche des fleurs d’hibiscus, l’un de ses motifs préférés. « Vous avez vu la belle toile sur le mur derrière le comptoir ? Ce sont des hibiscus de Bautista », souligne la bénévole. Bautista lui a également offert une toile, qu’elle a vernie et qu’elle garde précieusement chez elle.

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un partie d'échecs
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James et Habib ont disposé les pièces sur le grand échiquier, sous l’œil discret mais avisé d’un ami. Tous les trois sont Albanais du Kosovo, et d’excellents joueurs d’échec - même si à la fin, convient Habib, « c’est James qui gagne »… « Quand nous nous retrouvons, nous parlons aussi du pays », explique James, le regard fier.

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Isabelle assise sur une chaise, dans le jardin
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Isabelle fait partie des habitués. « J’ai connu le Café comme bénévole, il y a douze ans. À l’époque, il y avait beaucoup de gens d’Europe de l’Est, on organisait des ateliers de couture avec les femmes, c’était sympa », se souvient-elle. Aujourd’hui, Isabelle se définit plutôt comme « accueillie ». De son sac décoré de deux peluches vert et jaune, elle sort un paquet de biscuits et un peu d’eau pour rallonger son café, qu’elle n’aime pas trop concentré. Puis, l’air préoccupé, elle interroge Bautista : « Comment ça c’est passé ce matin, il n’y a pas eu de bagarre ? » Bautista la rassure, puis confie : « L’autre jour, il y en a un qui a pété les plombs. »

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au café du monde, des personnes attablées, d'autres devant des ordinateurs
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Au Café, une vingtaine de bénévoles sont formés pour accompagner les personnes dans l’accès à leurs droits. « Il s’agit avant tout de voir où les personnes en sont et de les orienter vers les instances compétentes, en faisant en sorte qu’elles restent actrices de leurs démarches », explique Morgane Métin, animatrice salariée de réseaux de solidarité pour la délégation de Haute-Savoie. Dans la grande salle, quatre ordinateurs sont à la disposition de tous, ainsi qu’une imprimante et un photocopieur. Des outils essentiels pour soutenir les personnes accueillies dans leurs démarches du quotidien… qui servent aussi à se détendre autour d’un combat de boxe ou d’un match de football !

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Repas partagé hebdomadaire au Café du monde
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Chaque vendredi, à partir de 11 h 30, le Café du monde propose le « repas partage », en collaboration avec un traiteur professionnel et des membres du Service d’entraide de l’Église réformée d’Annecy (Seera). Ce jour-là, Christine et Johana, du Seera, s’activent en cuisine avec Marguerite. « Le plat chaud est préparé par le traiteur, mais nous nous occupons de l’entrée, le plus souvent une grande salade composée, tandis que les desserts proviennent de la banque alimentaire », explique Johana. « Le repas est prévu pour une trentaine de personnes, mais si les convives sont plus nombreux, on partage », souligne Christine,  attentive à ce que le repas soit un véritable moment de rencontre. Le prix du déjeuner a été fixé à deux euros. « Pour les personnes accueillies, cela représente un effort, reconnaît Morgane Métin. Cela correspond à notre politique : dans toutes nos actions, nous veillons à ce que les personnes ne soient pas uniquement en situation de recevoir et d’être redevables. »

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séance d'ostéopathie
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Des rendez-vous d’ostéopathie sont proposés, sur réservation, les lundi et les vendredi après-midi, deux fois par mois, au prix d’un euro. Des séances de trois quarts-d’heure, assurées bénévolement par les 25 membres d’un collectif de professionnels constitué il y a six ans. « Pour moi, c’est une manière de donner du sens à mon travail, se réjouit Martial, 47 ans, kinésithérapeute et ostéopathe. Je rencontre des personnes que je ne verrais jamais dans mon cabinet, pour des raisons financières évidentes. » L’occasion d’un véritable apprentissage pour le praticien, tant le parcours des patients impose délicatesse et écoute. Anthony, 43 ans, vient de vivre sa quatrième séance. « L’ostéopathie me fait du bien, ça me soulage un peu de la douleur qui est là », dit-il en désignant l’arrière de son crâne. « Cette douleur, d’habitude, elle irradie dans tout le corps. » Depuis quelques temps, il se sent mieux. Il a même a repris le sport.

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Nom(s)
Adrien Bail
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Alexandre Bagdassarian
Fonction(s)
Photographe
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