Apprendre le français et « se sentir chez soi »

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Avec l’entrée en vigueur de la loi dite « Immigration » le 1er janvier, de nombreux étrangers vivant en France redoutent de rencontrer de nouveaux obstacles rendant difficile voire impossible leur intégration. Reportage à Paris, auprès d’un groupe de migrants accompagné par le Secours Catholique dans leur apprentissage du français.
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cours de fle
Cette année, 125 personnes sont inscrite à l'atelier de français langue étrangère, dispensé par des bénévoles du Secours Catholique à Paris.

« Comment appelle-t-on le fait de recycler ? », interroge Claire, une ancienne professeure de Lettres bénévole au Secours Catholique. « Le recyclage », tente Oksana, une réfugiée ukrainienne arrivée il y a trois ans sans connaître un mot de français. « Tout à fait !  », félicite l’enseignante en notant sur le tableau la bonne réponse. Les huit apprenants, réunis ce matin-là pour un cours de français destiné aux élèves confirmés, font de même sur leur cahier. 

Du lundi au jeudi, une équipe d'une vingtaine de bénévoles du Secours Catholique anime des ateliers d’apprentissage du français langue étrangère (FLE) au premier étage du centre paroissial Saint-Pierre de Chaillot, situé dans le 16è arrondissement de Paris. L'équipe organise aussi, une fois par semaine, un atelier de conversation convivial ouvert à tous durant lequel les participants discutent pendant une heure autour d'un thème choisi. Cette année, 125 personnes, d’âge et de nationalité différents, se sont inscrites aux ateliers. Réunis en petits groupes, les débutants découvrent le français tandis que les apprenants de niveau intermédiaire ou confirmé espèrent parfaire leur maîtrise de la langue à l’écrit et à l’oral. 

Sortir de la précarité

Cet accompagnement linguistique est d'autant plus important pour ces expatriés que la loi dite « Immigration », entrée en vigueur le 1er janvier, impose des niveaux de langue plus élevés aux personnes souhaitant demander ou renouveler un titre de séjour ou acquérir la nationalité française. Avec l’aide des bénévoles du Secours Catholique, Sunny, un commis de cuisine originaire du Bangladesh, prépare le test du diplôme d’étude en langue française (DELF) de niveau B2, devenu obligatoire pour les demandes de naturalisation. Jusqu’ici le diplôme de langue de niveau B1, que Sunny détient déjà, suffisait. Le jeune homme de 35 ans, installé dans l'hexagone depuis plus de 10 ans, dit se sentir ici chez lui. 

Oksana, qui vit en France depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, souhaite, elle aussi, être naturalisée. La jeune femme espère ainsi mettre fin à la situation précaire dans laquelle elle se trouve. Renouveler son autorisation provisoire de séjour tous les six mois est une « grande source de stress », dit la vendeuse dans une grande galerie marchande parisienne, qui, comme plusieurs de ses camarades, aménage ses horaires de travail ou pose une journée de congés pour pouvoir assister à l'atelier de FLE. « On a l’impression d’être constamment le nez dans les démarches administratives. Et si on n’oublie de prendre rendez-vous à la préfecture, on peut perdre son titre de séjour et donc se retrouver sans emploi. On ne peut pas avoir de stabilité et préparer l’avenir dans ces conditions ».

La loi  «Immigration» va exclure beaucoup de monde, notamment les personnes ayant été peu scolarisées.

En exigeant des niveaux de français « surélevés », la loi « Immigration » «va exclure beaucoup de monde, notamment les personnes qui ont été peu scolarisées », alerte Catherine, bénévole responsable de l’atelier linguistique, qui permet à des personnes présentes sur le sol français, depuis parfois plusieurs années, de « gagner en autonomie et sortir de la précarité ». « Pour certains apprenants, qui se débrouillent très bien à l’oral, il leur faudra beaucoup de temps pour atteindre les niveaux en lecture et en écriture qui sont désormais exigés ».

C’est le cas de Nadia, une Marocaine de 64 ans qui vit en France depuis 21 ans. L’an dernier, cette femme de ménage, qui parle très bien français, a décroché le DELF de niveau A2 – qui correspond au niveau d’un collégien en quatrième. Pour être au point à l'examen, il lui a fallu suivre assidument les cours de français dispensés par le Secours Catholique pendant trois ans. « C’était très dur de retenir toutes les règles de grammaire et de conjugaison, confie Nadia, qui a quitté l’école à l’âge de cinq ans. J’espère pouvoir encore progresser ».  

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Hélène Cecatto, chargée de mission nationale Apprentissage du Français :

« Une politique d'immigration choisie qui ne dit pas son nom »

La loi « Asile et immigration » va produire plus d’exclusion. Avec l’entrée en vigueur de ce texte législatif, désormais seules les personnes ayant réussi le diplôme de langue française (DELF) de niveau intermédiaire A2 à l’oral et à l’écrit pourront obtenir un titre de séjour pluriannuel. Entre 25 et 40% des personnes concernées pourraient ne pas répondre aux nouvelles exigences en matière de maîtrise du français et donc se voir refuser un titre de séjour pluriannuel, selon une étude du ministère de l’Intérieur. Les personnes peu ou pas scolarisées dans leur pays d’origine, les personnes en difficulté à l’écrit, celles dont la langue maternelle a des racines différentes du français ainsi que les mères de famille, souvent éloignées de la formation faute de mode de garde, seront les plus touchées. Cette nouvelle législation introduit une forme de discrimination entre les personnes étrangères en fonction de leur parcours scolaire. C’est une politique d’immigration choisie sans le dire.

Conditionner le renouvellement d’un titre de séjour à la maîtrise d’un certain niveau de français pose problème car il n’existe aucun dispositif de formation financé par les pouvoirs publics ouvert aux personnes sans-papiers. Ces dernières ne peuvent compter que sur le réseau associatif pour apprendre notre langue. Et, sans titre de séjour, les personnes sont maintenues dans une situation de très grande précarité qui complique leur intégration : il leur est plus difficile de trouver un emploi stable en CDI ou à louer un appartement.

Revoir la politique d'apprentissage du français

Il est urgent de revoir la politique d’apprentissage du français pour les personnes migrantes : l’offre de formations subventionnées par l’État doit être renforcée sur l’ensemble du territoire et rendue accessible aux personnes en situation irrégulière ou en demande d’asile. Les frais d’inscription au diplôme d’étude de langue, aujourd’hui à la charge des candidats, souvent en situation de grande précarité, devraient être couverts par les pouvoirs publics. D’autant plus que nous observons depuis la promulgation de la loi « Asile et immigration » une augmentation du tarif d’inscription, les centres d’examen agréés étant libres de fixer leur prix. Nous demandons également le retrait des mesures obligeant les personnes à justifier d’un niveau de langue A2 à l’écrit pour obtenir un titre de séjour pluriannuel car il s’agit d’une barrière trop excluante.

Le Secours Catholique estime que l’intégration d’une personne étrangère dans notre société peut s’évaluer par de multiples indicateurs tels qu’un engagement bénévole ou syndical, une implication dans la scolarité de ses enfants, un emploi etc. La maîtrise du français ne devrait pas être le seul critère. 

Crédits
Nom(s)
Djamila Ould Khettab
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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