Au Liban, conjuguer aide d'urgence et soutien aux initiatives d'entraide
Entretien avec Benoît-Xavier Loridon, directeur de l’Action internationale du Secours Catholique
Secours Catholique : Vous rentrez d’un voyage au Liban. Quelle situation avez-vous rencontrée sur place ?
Benoît-Xavier Loridon : Le Liban subit une série de crises concomitantes : crise économique, crise politique, crise sanitaire. L’inflation y est considérable. Le pouvoir d’achat a été divisé par cent. Du jour au lendemain la classe moyenne a basculé dans la pauvreté.
Aujourd’hui, les services publics ne fonctionnent plus, les employés ne peuvent même plus payer les moyens de transport pour se rendre au travail. Les rues sont vides. Ces rues de Beyrouth jadis réputées pour leurs interminables embouteillages sont aujourd’hui fluides. On peut honorer dix rendez-vous dans la journée mais il n’y a plus de lumière, plus de bars, plus de restaurants ouverts.
S.C. : Quel était le but de votre déplacement au Liban ?
B-X.L. : Nous voulions nous rendre compte sur place de la situation. Nous aidons le Liban depuis toujours. Lors de l’explosion du port, nous avons répondu à l’appel d’urgences de Caritas Internationalis. Nous avons aussi reçu de nos donateurs quelque 200 000 euros destinés au peuple libanais.
Cette somme a permis d’accroître notre soutien à nos partenaires locaux traditionnels, notamment à ceux qui répondaient le mieux à l’urgence. Comme Adyan, une ONG qui travaille à la cohésion sociale et qui, pour répondre à l’urgence, a redéfini ses priorités en privilégiant la santé mentale, la réhabilitation des petites entreprises et des logements et la sécurité alimentaire. Ou encore Alpha, originellement spécialisée dans l’accompagnement des jeunes en situation de précarité et qui, après l’explosion du port, s’est mise à distribuer de la nourriture et à aider à la reconstruction des logements. Et d’autres ONG comme House of Peace, Caritas Liban, ou As Sabil par exemple. Grâce à la solidarité des donateurs, nous avons accru notre soutien à nos partenaires locaux, notamment ceux qui répondaient le mieux à l'urgence.
Nous voulions également voir à l’œuvre des initiatives citoyennes qu’éventuellement le Secours Catholique pourrait soutenir. Nous avons pu rencontrer les bénévoles de la Cuisine de Marie, une cantine très dynamique créée par un prêtre quelques jours après l’explosion du port. La Cuisine de Marie distribue chaque jour des repas gratuits dans les quartiers voisins du port et cette action monte en puissance. Un an et demi après le début de l’opération, le prêtre et son équipe de bénévoles servent près de mille repas quotidiens sur, à présent, quatre lieux de distribution distincts de la ville.
Nous avons également rencontré une équipe de personnes qui a réhabilité 52 immeubles détruits par l’explosion d’août 2020 avec 150 000 euros collectés sur Internet. C’est un projet intercommunautaire impliquant des Libanais mais aussi des Syriens, des Palestiniens… À partir de ces actions d’urgence, le groupe réfléchit à initier d’autres actions de solidarité sur le long terme. Dans la plaine de la Beeka, nous avons rencontré un groupe de femmes de différentes confessions qui ont créé des ateliers à partir de plastique récupéré qu’elles recyclent pour fabriquer des sacs ou d’autres objets usuels ou artistiques. Elles organisent aussi des voyages de deux jours pour sortir ensemble de leur quotidien et visiter le pays.
Une autre action nous a particulièrement sensibilisés : il s’agit d’un centre pour personnes handicapées qui travaille sur le changement de regard; autre lien avec nos actions en France qui tendent elles aussi à modifier le regard porté sur toutes les pauvretés. Autant de façons d’aborder la précarité en dehors de toute structure qui nous ont rappelé notre politique de terrain en France.
S.C. : Le Secours Catholique envisage-t-il de soutenir ces initiatives ?
B-X.L. : Oui, de fait, ces actions ressemblent beaucoup aux initiatives que le Secours Catholique impulse en France dans le but de passer de l’aide à l’entraide. À l’international, nous avons l’habitude d’agir par l’intermédiaire d’autres ONG, en soutenant leurs programmes d’aide. Nous aimerions créer et soutenir une plateforme d'initiatives communautaires, dans un but d'entraide.
Au Liban, tout en continuant à soutenir nos partenaires habituels, nous aimerions créer et soutenir une plateforme de ces initiatives communautaires, dans un but d’échange et d’entraide. Aussi bien entre elles qu’avec nos équipes locales françaises. Et peut-être servir de modèle à des actions similaires dans d’autres pays. Nous réfléchissons à la forme que prendra cette aide.