Au Mexique, des graines de résistance
La piste s’arrête ici. Jose Lopez-Torres vient de couper le moteur de son vieux pick-up. Tout autour : des « pains de sucre » recouverts de jungle, d’où proviennent des chants de grillons et des cris d’oiseaux. Nous sommes dans le nord-est du Chiapas, État du sud du Mexique. Casquette vissée sur le crâne, chaussé de grosses bottes en caoutchouc, Jose s’enfonce dans la végétation foisonnante. Ici, il cultive avec deux autres paysans des melons, des cacahuètes, des bananes, des haricots, des radis, des citrouilles, des concombres, du yuca (aussi appelé manioc), du niame, du malanga, de la chayote.
Tout en énumérant les cultures, Jose contemple son « potager » avec fierté. Il en a bavé. « Lorsque nous avons récupéré cette parcelle il y a cinq mois, nous ne savions pas par où prendre la chose », raconte-t-il. Il évoque le travail éprouvant. « On a passé beaucoup de temps à désherber à la pioche et à la machette, inlassablement. » Les premières récoltes ont été catastrophiques. Le découragement a failli prendre le dessus. Mais soutenus par les techniciens de l'Action sociale Samuel Ruiz (ASSR), partenaire du Secours Catholique, lui et ses deux associés se sont accrochés. Et cela a fini par payer. « On a réussi à obtenir une petite production qu’on a partagée entre les familles. »
Jose et les siens font partie des 400 familles productrices de maïs qui participent au programme de conversion à l’agroécologie coordonné par l'ASSR. Le projet repose sur trois principes : l’abandon des semences de maïs transgéniques ou hybrides au profit des semences natives, la diversification des cultures et l’abandon des produits chimiques, remplacés par des fertilisants et insecticides naturels. L’objectif est de « produire une alimentation de bonne qualité, abondante et nutritive, pour améliorer la santé et le bien-être des familles, de façon respectueuse de la terre », explique Javier Ruiz Pérez, coordinateur du programme à l'ASSR.
Après avoir cultivé pendant des années une espèce de maïs hybride, de manière intensive, Clemente Cruz-Cruz a fait le choix d’un retour aux traditions. Machette à la main, il désigne les différentes variétés plantées dans son champ. Pour lui, les semences natives cumulent plusieurs avantages : « Elles sont plus adaptées à notre climat et à notre terre. On peut les réutiliser d’une récolte à l’autre, contrairement aux semences transgéniques. Nous ne sommes donc plus dépendants des entreprises. Leurs graines ont plus de goût et sont plus nourrissantes. »
Selon la méthode traditionnelle appelée milpa, Clemente a planté des haricots grimpants et des courges dans son champ. Les haricots ont l’avantage de fixer l’azote dans le sol, ce qui permet la bonne croissance du maïs, tandis que les courges, grâce à leurs larges feuilles, permettent de conserver un taux d’humidité constant dans le sol. Le paysan regrette que beaucoup de producteurs locaux se montrent réticents à franchir le pas. « La plupart sont intéressés, mais quand il s’agit de passer de la théorie à la pratique… » Le lobbying des entreprises, relayé par le gouvernement lors des périodes électorales, ne facilite pas la tâche.
« Ils disent que le maïs transgénique, c’est le progrès. Ils offrent des semences, des fertilisants chimiques et des insecticides, dénonce Clemente. Les gens d’ici se laissent tenter par la gratuité. Ils n’ont pas conscience d’entrer dans un cercle vicieux. » Comment les convaincre ? « La parole n’est pas suffisante. C’est par nos résultats que nous réussirons à leur donner envie de nous imiter. » Pour soutenir le mouvement, l'Action sociale Samuel Ruiz travaille désormais à l’accompagnement des paysans dans la recherche de solutions pour vendre une part de leur production. Parmi les pistes envisagées, la création de réseaux de vente directe.