Avignon : le théâtre pour ouvrir une brèche
« Maintenant il s’est sauvé. Et comme une bête traquée. Il galope dans la nuit. Et tous galopent après lui. Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes. Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! » En cet après-midi du mois de juin, au dernier étage de la Maison Manon, sur la place des Carmes d'Avignon, Mikaîl Garnier récite à haute voix « Chasse à l'enfant » de Jacques Prévert. Ce sont ces mêmes vers que le jeune homme déclamait quelques semaines plus tôt sur scène, lors du festival « Au coeur de l'enfant », dans les Hautes-Alpes. Une première pour lui. « Sur le moment, j'ai hésité à repartir en courant », plaisante-t-il, se remémorant son entrée tonitruante face au public.
« Les gens étaient subjugués devant toi, lui assure Sabre Azizi, assis à ses côtés sur la moquette bleue de la salle de répétition. Tu as éveillé leur curiosité. Ils se demandaient : "Qui c'est ce mec qui arrive en gueulant?" À un moment donné, il n'y avait plus un mot. » Mikaîl Garnier et Sabre Azizi sont tous deux membres de la compagnie de spectacle vivant La Brèche, créée en septembre 2016 par le Secours Catholique et par la compagnie Le Theatrophone. La Brèche réunit une vingtaine de personnes de tous horizons, dont certaines qui vivent dans une situation de grande précarité. « Le but était d'ouvrir un espace où chacun puisse découvrir et partager ses talents, explique Bruno Hypolite, salarié du Secours Catholique. Et, à partir de là, de permettre à certains de se reconstruire en reprenant confiance en eux, en renouant du lien social. »
Dans une compagnie de théâtre, « on n'est plus "le SDF", "le mec qui cherche un appart", "la fille qui cherche un travail", "le type qui a des problèmes, qui a une addiction"... Il n'y a que des comédiens, souligne Albin Di Maggio, de la Cie Le Theatrophone. Et l'espace d'un instant, on sort d'une fausse identité sociale pour être soi-même. » Le metteur en scène décrit la transformation qu'il a pu constater chez certains membre de la compagnie qui, se sentant en sécurité et ayant regagné en estime d'eux-même, ont eu envie de se former au théâtre, d'apprendre à chanter. « On peut ne pas avoir de boulot, de maison ou de voiture, et avoir envie d'apprendre à jouer de la guitare et à chanter », commente-t-il. Le nom de La Brèche n'a pas été choisi par hasard. Il correspond à l'idée de créer un espace ouvert à tous, « où il n'y a pas ce rapport vertical entre "bénévoles" et "personnes accueillies", explique Albin Di Maggio. Où l'on brise les cloisons entre les gens pour laisser passer la lumière ».