À Bamako, sortir les jeunes filles de la rue
Dans le quartier Lafiabougou à Bamako, derrière de hauts murs, une vingtaine de jeunes filles s'activent dans la cour de leur foyer d’accueil. Certaines aident à la cuisine, d'autres apprennent à teindre le bazin (tissu damassé) avec de l'eau bouillante tandis que d'autres encore écoutent attentivement les consignes d'un tailleur, penchées sur leurs machines à coudre, dans une des salles attenantes à la cour.
Toutes ont vécu dans la rue plusieurs mois durant et ont été victimes de traite économique ou sexuelle. Fatima, 17 ans, a connu le centre grâce à des amies : « Mon oncle m’exploitait. Je devais faire des travaux domestiques à la maison comme le ménage et la cuisine. Et je n'allais plus à l'école. » Voici plus d'un an qu'elle a sonné à la porte du centre.
Certaines filles, en effet, sont venues spontanément demander de l'aide auprès de Caritas Bamako. Mais la plupart ont été orientées vers le centre au cours de tournées de rue réalisées par l'ONG la nuit. Nombre d’entre elles viennent du monde rural. Elles s’étaient rendues en ville pour constituer leur trousseau de mariage et elles sont tombées dans de mauvaises familles d'accueil.
D'autres sont victimes de traite dans leur propre famille. « Elles croient y échapper en s’enfuyant. Mais une fois à la rue, elles sont de nouveau exploitées en étant contraintes soit à se prostituer, soit à mendier », explique Konémama Keïta, responsable du centre.
Aminata, 14 ans, a par exemple dormi pendant plusieurs mois au milieu des prostituées près de la grande mosquée, après avoir été utilisée comme servante chez une amie de sa grand-mère. Mais elle affirme n'avoir jamais subi de violences sexuelles.
Écoute et formation
Le centre accompagne et prend en charge ces adolescentes âgées de 11 à 17 ans pour les réinsérer dans la société. « Ce n'est pas facile. Car dans la rue, elles ont acquis un comportement agressif ou pris des stupéfiants. Parfois, certaines s'enfuient du centre pour retourner dans la rue… », observe Konémama.
Au premier rang des activités proposées aux adolescentes figurent des temps d'écoute, individuels et collectifs. Delphine Dambalé, éducatrice : « Au fur et à mesure des moments de dialogue à deux, l’adolescente trouve le moyen de dire les choses et d'exprimer ses besoins. Et les temps collectifs la rassurent car elle voit que d'autres aussi ont vécu des histoires similaires. »
Le centre assure aux jeunes filles le gîte et le couvert, des vêtements ainsi que des cours sur la santé. Au quotidien, elles sont aussi formées aux métiers de cuisinière, teinturière ou couturière. L’objectif est de leur permettre de gagner leur vie à leur sortie du centre. « J'aime apprendre à coudre les pagnes, témoigne Aminata. Ça me fait oublier la rue et je me suis fait des amies ici. »
Retisser des liens
Les temps de jeux et de sport permettent en effet d’« établir une cohésion sociale entre les filles et de créer une bonne ambiance », explique Moussa Sissoko, éducateur. Ce dernier a aussi en charge le travail de médiation familiale : il recherche les familles des jeunes filles et les sensibilise pour recréer du lien entre elles et l’adolescente.
« Il ne faut pas qu’elle devienne dépendante du centre, poursuit Moussa. Elle devra un jour ou l'autre couper le cordon avec nous, et la famille doit prendre la responsabilité de s'occuper d’elle. » Le travail de médiation peut durer plusieurs mois et l’éducateur suit les familles pendant un an après la réinsertion de la jeune fille.
Sur 49 adolescentes hébergées en 2015, 15 sont retournées vivre chez un de leurs proches. Ainsi, Fatima a repris contact avec son père et dort désormais chez lui. Quant à la mère d'Aminata, elle vient lui rendre visite régulièrement au foyer. Le centre souhaite en effet n’être qu'un pont vers le futur et apporter l'espoir d'un avenir meilleur.