En Inde, cultiver l’environnement
Le long du golfe du Bengale, dans l’État d’Odisha, les plaines alluvionnaires déroulent un infini tapis de rizières. Des buttes en terre retiennent la pluie et matérialisent les limites de ces parcelles qui dépassent rarement l’hectare. Dans le district de Mayurbhanj, les petits agriculteurs sont principalement Dalits. Ces communautés marginalisées souffrent d’insécurité alimentaire depuis que le changement climatique multiplie sécheresses et inondations. Mayurbhanj est un des quatre districts où la Caritas diocésaine de Balasore (BSSS) mène une mission de développement des populations. Il y a deux ans, BSSS y a mis en place un programme d’accompagnement agroécologique qui est en train de porter ses fruits.
Kanhai Murmu et sa femme Indumani se disent heureux. L’an dernier, Kanhai a cessé de travailler en ville pour se consacrer aux 25 ares de terrain qui jouxtent sa maison. Grâce aux conseils de BSSS, le couple a converti son exploitation en ferme modèle dont les voisins commencent à s’inspirer. Les conseillers techniques de BSSS, en lien avec des instituts de recherche agronomique, initient les paysans aux techniques les plus appropriées à leur sol. La famille Murmu, après sa récolte de riz, produit une seconde récolte de légumes variés. Elle élève des poissons, cultive des champignons et vend du lait.
Tous les coins de l’exploitation sont utilisés. Deux lombricomposteurs ont été installés en bordure d’allée. Une fougère d’eau appelée “azolla” flotte dans une mare artificielle. Cette plante riche en protéines et à croissance rapide sert d’aliment aussi bien aux bovidés qu’aux volailles et aux poissons. « Le riz assure la survie. Le reste est le supplément utile pour envoyer les enfants à l’école et pouvoir se soigner », explique le père Lijo, directeur-adjoint de BSSS. « Si les paysans ratent la première récolte, leur année est catastrophique. » Avec 17 animateurs sur le terrain, BSSS accompagne 3 500 ménages dans 25 villages, soit quelque 18 000 personnes.
À 300 kilomètres plus au nord, sur les collines de Gandhamardana, les forêts abritent des colonies de singes, des hordes d’éléphants parfois agressifs et des communautés tribales délaissées. Sensible au dénuement de ces paysans, un groupe d’étudiants en sociologie et en anthropologie de Sambalpur s’est constitué, il y a une vingtaine d’années, en centre de ressources baptisé MASS. Son directeur, Chittaranjan Hota, et son équipe aident des villages entiers à se développer. L’agro-écologie est le levier principal de MASS pour assurer la sécurité alimentaire de paysans qui souvent, à la saison sèche, migrent pour survivre.
EN IMAGES
Grâce à MASS, Dambaru Dahar Majhi, 32 ans, marié et père de deux enfants, réussit à obtenir trois récoltes annuelles sur son lopin de terre. Son champ est situé au pied d’une colline. « Avec 15 voisins, nous avons creusé à la pelle deux lacs suffisamment profonds pour conserver de l’eau toute l’année », dit-il. Sur son terrain entouré d’arbres poussent divers plants de légumes, dont les plus hauts donnent de l’ombre aux plus petits, et le sol est paillé pour ralentir l’évaporation.
Ici aussi, le lombricompost est utilisé, et les engrais et pesticides sont naturels. Le mélange de purin et de feuilles de neem (margousier) produit un engrais puissant, très odorant, qui fait dire fièrement à son préparateur : « Impossible de faire mieux chimiquement ! » 80 % des Indiens recourent aux médecines traditionnelles et notamment à la médecine ayurvédique, qui fait une large place aux feuilles du margousier. Dans un village, MASS a aidé les habitants à créer un jardin médicinal, pharmacie gratuite où l’on trouve à toute heure les ingrédients nécessaires au rééquilibrage des énergies fondamentales du corps.
Dans un autre village, une femme remercie MASS d’avoir encouragé les paysannes à se regrouper. « Grâce à cette coopérative, se réjouit-elle, les femmes enceintes sont désormais suivies médicalement et vont accoucher à l’hôpital. » À la sortie d’un village, Banbasa Bag et sa famille binent leur parcelle. Banbasa salue Tulashi, coordinateur des programmes de MASS. Il le félicite de l’avoir incité à bannir les produits chimiques. « C’est plus rassurant pour la santé des enfants et les légumes ont meilleur goût, déclare-t-il. Mais le véritable avantage, c’est que cela revient moins cher à produire. Et on utilise beaucoup moins d’eau. » « Toute la philosophie de MASS, explique Tulashi Ballav Dash, est de permettre à la terre de nourrir ceux qui la travaillent au moyen de méthodes renouvelables. Si on la respecte, la nature peut donner beaucoup. »