En Mauritanie, un quartier transformé par ses jeunes

Chapô
Depuis 2013, Caritas Mauritanie s’engage dans le quartier de Dar Naïm, en périphérie de Nouakchott, avec le leitmotiv que « la pauvreté ne se combat pas sans les pauvres ». L’association forme notamment les jeunes pour qu’ils deviennent des citoyens actifs et améliorent les conditions de leur lieu de vie. Entretien avec Yacouba Kissima Tandia, chef de projet de Caritas Mauritanie à Dar Naïm.
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Yacouba Kissima Tandiaentretien avec Yacouba Kissima Tandia, chef de projet de Caritas Mauritanie à Dar Naïm.

 

 

Secours Catholique : Pourquoi s’être intéressé à ce quartier de Dar Naïm ?
 

Yakouba Kissima Tandia : Caritas Mauritanie agit auprès des populations les plus vulnérables, en milieu rural comme en milieu urbain. Dar Naïm est un quartier enclavé, coupé de moyens de transport public. Beaucoup de populations y vivent dans des bidonvilles, sans électricité, eau courante ni latrines. Il manque aussi des infrastructures sociales en termes de santé et d’éducation. Souvent après les pluies, l’eau stagne au sol. Il était légitime pour Caritas Mauritanie de venir avec un pan entier de développement social à Dar Naïm pour appuyer les populations et travailler avec la commune.

S.C. : Pour changer les choses, vous avez décidé d’agir AVEC les personnes ?

Y.K.T. : Oui, c’est-à-dire réfléchir avec elles aux problèmes et proposer des solutions ensemble. Nous travaillons dans une perspective de durabilité avec les communautés pour qu’elles discutent elles-mêmes de leur devenir. Nous essayons de voir avec elles ce qu’elles veulent changer et développer. Ainsi nous avons ciblé trois catégories : les femmes qui sont très défavorisées, parfois mères seules, sans ressources ; la société civile pour renforcer sa capacité et qu’elle puisse prendre le relais après notre action ; et surtout les jeunes.

Trois habitants sur quatre ont moins de 35 ans. On ne peut pas abandonner la jeunesse qui a le droit de participer à la vie de la cité.

 

En effet, trois habitants sur quatre ont moins de 35 ans. Or les jeunes sont souvent déscolarisés, livrés à eux-mêmes et c’est un enjeu majeur de les prendre en charge pour ne pas les voir tomber dans la délinquance. On ne peut pas abandonner la jeunesse qui a le droit de participer à la vie de la cité.

S.C. : Comment faire participer ces jeunes ?

Y.K.T. : Nous avons instauré un dialogue avec la mairie. Les autorités locales consultent les jeunes lors de rencontres citoyennes qui sont devenues un lieu de débat entre les élus du conseil municipal et les jeunes. Auparavant nous avons préparé ces derniers pour qu’ils puissent échanger et négocier de façon responsable avec les autorités pour exposer leurs problèmes et trouver ensemble des solutions. C’est comme ça qu’un projet de lutte contre les violences faites aux femmes, « Touche pas à ma sœur », est né. Le problème avait été soulevé par des jeunes filles lors de rencontres citoyennes. Désormais « Touche pas à ma sœur » est un acteur incontournable qui a même son bureau dans la mairie.

S.C. : Outre les violences faites aux femmes, qu’est-ce que les jeunes veulent changer dans leur quartier ?

Y.K.T. : Ils ont décidé de s’attaquer à la protection de l’environnement et à l’insécurité. Ils veulent un Dar Naïm propre, verdoyant et non-violent. Ainsi, ils ont planté des arbres et ils organisent des journées de ramassage des ordures. Enfin, ils réalisent des rondes le soir et ont mis en place un réseau téléphonique pour que tout mouvement suspect soit répertorié. Les jeunes ont  créé des groupements de quartiers : ils réunissent l’ensemble de la population pour débattre sur la nutrition, l’éducation ou encore les mutilations génitales féminines. Ils discutent aussi sur la vie de quartier. Les questions non réglées de cette manière sont portées au niveau communal dans le cadre de la concertation communale. Les jeunes y sont membres, cela signifie qu’ils disent ce qu’ils pensent du projet communal. Au total, nous travaillons ainsi avec 9000 jeunes.

S.C. : Les jeunes – on le voit – sont devenus des citoyens actifs : ont-ils pu constater une amélioration de la vie de leur quartier ?

Y.K.T. :  Cela se ressent surtout sur le plan de la non-violence. Avant, Dar Naïm était un point chaud de Nouakchott. « Touche pas à ma sœur » notamment a permis de pacifier le quartier. De même, la Coupe du maire, une compétition de football, occupe les esprits pendant des mois et cette période est sans violences. On en profite d’ailleurs pour sensibiliser sur les droits humains, le fair-play et la non-violence. De manière générale, toutes les actions engagées améliorent le vivre ensemble. C’est incroyable : les rencontres suscitées créent des liens entre les quatre ethnies différentes qui vivent à Dar Naïm. Chacun vient avec sa langue et sa culture. Les gens ont pris conscience qu’ils vivent dans un même quartier qu’il faut transformer pour y faire bon vivre. Nous prenons le temps d’écouter les jeunes pour voir le degré de motivation et de pauvreté. Nous formons une centaine de jeunes sur trois ans au développement personnel avant de les orienter vers une formation professionnelle avec des stages en entreprise. Nous essayons de les diriger vers des métiers porteurs, là où il y a de l’offre, mais nous écoutons aussi leurs souhaits. Ainsi, récemment, une jeune fille a été recrutée dans les mines comme conductrice de gros engins, ce qui est rare pour une femme !

S.C. : Êtes-vous confiant pour l’avenir de Dar Naïm ?

Y.K.T. : Nous sommes persuadés que nous nous pourrons plus faire marche arrière. Les jeunes que nous formons grandissent : ce sont les adultes et les responsables de demain. On a semé des graines qui sont en train de pousser. La société civile est plus forte. La mayonnaise va prendre. Les habitants ont gagné à travailler ensemble. Nous avons aussi créé des ponts à la fois entre les jeunes de Dar Naïm et des jeunes d’autres quartiers de Mauritanie, et aussi avec des jeunes de Thiès au Sénégal. Ça a tissé des liens. Au-delà de Dar Naïm, le projet contribue à la paix sociale et aux relations entre pays du Sud. Demain on espère travailler avec des jeunes du Maroc et de l’Algérie. On sème des choses durables.

Crédits
Nom(s)
Cécile Leclerc-Laurent
Fonction(s)
Journaliste rédactrice
Nom(s)
Élodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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