« Le théâtre m’a redonné confiance en moi »
« J’ai appelé 115 et je suis arrivée au CHU [centre d’hébergement d’urgence]. C’est une maison de passage qui accueille des personnes qui n’ont pas d’habitat. » Faouzia* se tient droite et fixe le public avec ses grands yeux couleur ébène. Elle vient de raconter l’histoire qui l’a amenée de la République démocratique du Congo à la France, en passant par le Brésil. Le texte a été écrit à partir de son vécu.
« Au début du projet, je ne voulais pas parler de moi. C’est comme si je me poignardais, j’avais l’impression de revivre mes traumatismes. Et puis j’ai compris que parler libère », raconte Faouzia, le regard franc. Pascal, lui, narre sur scène le burnout qui l’a fait dégringoler et lui a fait perdre son logement. « Le théâtre m’a redonné confiance en moi. Être devant 100 personnes, c’est magique ! Ça m’a donné l’impression d’exister, même s’il faut du courage pour raconter sa vie sur scène. »
Pour préserver leur intimité, certains acteurs ont demandé à changer leur prénom et leur ville d’origine dans le texte. « Le vécu des personnes hébergées au CHU fait qu’elles se sentent dévalorisées. Le théâtre les a aidées à s’affranchir de cette histoire douloureuse. C’est une thérapie personnelle qui leur a permis d’extérioriser un vécu difficile », témoigne Massé Traoré, chef de service du CHU.
À l’origine du projet, trois artistes : Alice Carré, dramaturge, Olivier Coulon-Jablonka, metteur en scène, et Sima Khatami, cinéaste. La pièce mêle théâtre et cinéma documentaire. Grâce à l’un, cinq comédiens racontent leur histoire au public, avec l’autre, le spectateur plonge dans la vie du CHU et de ses occupants. « Nous avons voulu travailler avec ceux qui sont invisibilisés. Cette pièce est l’occasion de donner la parole à ceux que l’on n’entend pas », explique Olivier Coulon-Jablonka.
Sur scène, les acteurs profitent d’avoir la parole pour dénoncer le système dans lequel ils sont coincés. Ils critiquent ainsi la trêve hivernale, qui donne son titre à la pièce. À la fin de la « trêve », qui, sauf décision exceptionnelle, intervient le 31 mars (cette année, elle a été repoussée de deux mois), l’État arrête de financer des places d’hébergement ouvertes pour l’hiver. Des résidents quittent le CHU et leur chambre reste vide.
« Avec cette pièce de théâtre, j’aide à faire prendre conscience que les gens souffrent. Je représente les sans-voix, il faut dire ce qu’on subit pour donner de la force aux autres », explique-t-elle. « Ça a été formateur pour eux d’avoir un contrat, des horaires à respecter, un cadre de travail et aussi de travailler en équipe », estime Hind, travailleur social au CHU. « Le théâtre est un pas vers le marché de l’emploi. »
* Le prénom a été changé.