À Madagascar, des villages de paysans sans terre
« Cela ne me coûtait rien de venir à Antakavana. Je n’avais rien à perdre. Jusqu’ici je vivais avec ma femme et mes huit enfants à 70 kms de la capitale. Nous survivions. Mon lopin de terre était bien trop petit pour nourrir ma famille. » Il est midi. Jean-Paul Razafindralambo, 57 ans, remonte des champs, une bêche sur l’épaule, accompagné de son voisin Jean-Baptiste Rakotomalala, 28 ans, marié et père de deux petites filles, qui ôte un tronçon de canne à sucre de sa bouche pour ajouter : « Chez nous, on était onze à se partager le petit terrain hérité de mes parents. »
Génération après génération, les exploitations agricoles malgaches se morcellent, l’héritage étant le principal moyen d’accéder à la terre. Or, Madagascar est un immense réservoir de terres arables dont à peine un dixième est cultivé. Des villages comme Antakavana, cinq ont vu le jour au fil des ans. Le premier a été créé en 1986 à l’initiative de l’ingénieur agronome et jésuite français, le père Henri de Laulanié (1920-1995) fondateur de l’association Zoma.
L’État malgache, sollicité, a accepté de céder des terres inoccupées, mais difficiles d’accès. Ceux qui ont la force physique et le courage d’affronter une vie rude acceptent ce sort plus enviable que de vivre, comme 33 % des paysans malgaches, en état permanent d’insécurité alimentaire. Aussi, Antakavana, village posé sur un océan de montagnes chauves, ressemble à une oasis au milieu d’un désert. Depuis Antananarivo, la capitale, jusqu’à Antakavana trois heures de route. La moitié sur une piste terriblement accidentée qui suit la ligne de crête et offre la vue panoramique d’une infinité de mamelons moussus arrondis par les vents. Au fond d’une vallée apparaissent enfin les toits de tôle bleu, vert, rouge ou argenté de maisons dispersées. 68 bâtisses aux murs de terre ocre abritent 400 habitants.
C’est à Herizo Rarivoarimanana que revient la tâche, au sein de l’association Zoma, d’installer les paysans sur leurs nouvelles terres. « Ici, dit-il, la première promotion est arrivée en 2012. 30 adultes en moyenne par an : 10 couples et 10 célibataires. Tous sont volontaires pour tenter l’expérience. On leur a expliqué la démarche, les avantages et les inconvénients de vivre éloigné de tout. S’ils acceptent, ils suivent une formation générale et technique sur le monde rural dans notre centre d’Ambohimaramitra. Arrivés ici, ils reçoivent cinq hectares à cultiver et une parcelle de 1250 m2 pour construire leur maison. »
Pendant trois ans, l’association Zoma va les aider à s’installer, ensuite ils doivent voler de leurs propres ailes. Le village fait face à un amphithéâtre naturel formé du flanc de plusieurs montagnes. Sur ces pentes douces s’échelonnent les cultures. Parcelles soigneusement entretenues. Des arbres, cruellement absents dans une grande partie du pays, sont ici plantés autour des parcelles. « La source que vous apercevez, dit Herizo en désignant le fond de la combe, a été détournée pour irriguer les cultures. La première promotion a créé ces rizières. Sur les autres parcelles, poussent les plantes que nous consommons : haricots, manioc, taro, tabac, canne à sucre, etc. »
Berson Fenonirino et Méline Rasokmalala sont jeunes et ont trois enfants de 6 à 11 ans. Ils vivent dans une maison de deux pièces. On aperçoit la pièce commune sur le côté depuis la première où sont entreposés outils agraires et ustensiles de cuisine, ainsi qu’une vingtaine de cochons d’Inde en cage. « Ils se reproduisent très vite et leur chair est délicieuse, explique en riant le chef de famille. Et leurs crottes font un excellent engrais. » Ici l’engrais est naturel et les cultures biologiques. Pas d’engins à moteur. Des volailles, des caprins, mais pas de zébus. « A cause des voleurs. Sans zébu, pas de problème » confie un des paysans. Les voleurs de zébus, appelés « dahalos », constituent la principale menace des éleveurs pour qui ces grands animaux sont bien souvent la seule richesse.
Les loisirs à Antakavana sont simples et basiques. Parmi les Comités de citoyens qui gèrent le village, celui de la Jeunesse par exemple souhaiterait l’achat d’un ballon de football. Si cette vie rurale comble les besoins essentiels tels que manger à sa faim et dormir sous un toit, certains regrettent l’effervescence des villes et repartent. Mais l’espoir des villageois converge vers l’école qui accueille plus de 200 enfants. « Tous ont grand soin de travailler la parcelle commune pour rémunérer correctement les instituteurs, remarque la présidente de Zoma, Florence Ralisiarisoa. Tous veulent que leurs enfants étudient et s’ouvrent au monde. »