Marcher avec les autres et vers soi
« Je ne savais pas quoi faire aujourd’hui, alors je me suis dit qu’en venant, je servirais au moins à quelque chose ! » déclare Medjid. L’homme n’est pas un féru de randonnée, mais il a laissé sa chambre en foyer pour rejoindre, dans un local paroissial d’Antony, la vingtaine de marcheurs qui se préparent pour quatre heures de sortie en forêt. Ce sont pour la plupart des habitués de deux accueils de jour du Secours Catholique d’Antony, en situation de précarité et d’isolement. Certains ont marché ensemble sur une portion du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Six jours d’efforts physiques, de vie collective et de ressourcement.
Pour en faire vivre l’esprit et préparer le tronçon suivant, le groupe se retrouve lors de sorties dans la nature proche. C’est aussi l’occasion d’élargir le cercle des marcheurs. « C’est un peu le “viens et vois” de Jésus », explique Isabelle, à l’initiative de l’aventure. « Les personnes se demandent si elles seront capables même de marcher, et elles découvrent de la solidarité. Finalement, cela les aide à se projeter un peu plus loin. Des peurs disparaissent, de la confiance se crée. »
Les marcheurs se mettent en route, bientôt rejoints par la pluie qui n’en décourage aucun, surtout pas Fred, aux avant-postes. « Marcher, c’est se reposer, en silence, écouter la nature, voir les choses autrement, confie le quadragénaire. Rester en soi-même et penser à soi, et aux autres. » Pour Madjid, grand gaillard qui a passé sa jeunesse dans la rue, il se joue aussi dans ces sorties quelque chose de l’ordre de la quête de soi. « Marcher avec les autres, les voir sous un autre jour, se voir soi-même sous un autre jour… Cela m’apporte la sagesse. Je ne juge plus les gens, je les regarde. C’est un chemin de longue haleine. »
Dans ce groupe aux personnalités et trajectoires diverses, Ibrahima, un Guinéen de 22 ans, trouve chaleur et répit. En attente de papiers, il souffre de voir son avenir empêché. « Chaque fois que je marche, c’est une manière de libérer mon esprit des choses négatives et d’être plus proche de Dieu. Partout où on est, il est avec nous : dans la marche, l’église, la mosquée, partout. Il faut avoir confiance en soi, croire qu’il existe. » Sous son poncho, Juliette, qui a accueilli le jeune Africain chez elle comme un petit-fils, prie. « Je relie marche et spiritualité, toujours. Je prie avant, je confie chacun des marcheurs. Et en marchant je prie pour que tout se passe bien, qu’on soit soudés. » Elle contemple devant elle la voûte flamboyante de la forêt en ce jour d’automne. « C’est Dieu qui a tout créé. Alors je lui dis merci pour les plantes, la route, la pluie. Je rends grâce pour tout. »