Mongolie : de la steppe à la serre
Devant un thé au lait fumant, Enkhtuya, 54 ans, se souvient de l’hiver 2010, l’un des plus rudes qu’elle ait jamais connus. Cette veuve aux traits tirés a perdu son troupeau lors du dzud [1] qui s’est abattu sur la quasi-totalité de l’immense territoire mongol.
Cette année-là, le thermomètre a chuté jusqu’à – 50 degrés, décimant près de 4 millions de têtes de bétail par le froid ou la faim. Un phénomène climatique synonyme de catastrophe, dans un pays où un tiers de la population est nomade et dépend entièrement de l’élevage pour vivre.
« L’animal est essentiel dans la culture mongole », confirme le père Pierrot, le prêtre congolais qui dirige la Caritas depuis quinze ans. « Il fournit la viande et le lait, mais aussi le moyen de transport. Quand tu perds ton bétail, c’est toute une chaîne de subsistance qui s’écroule. » D’après les anciens, le dzud frappait environ tous les quinze ans ; aujourd’hui, les désastres se succèdent.
Sans ressources, Enkhtuya n’a eu d’autre choix que de rejoindre Altay, petite ville colorée qui a poussé il y a quelques années au milieu de la steppe. Son frère, employé dans une entreprise de construction locale, a pu lui prêter un terrain sableux où elle a installé sa yourte. C’est alors qu’elle a entendu parler des serres mises en place par Caritas Mongolie, quelques centaines de mètres plus loin.
Se convertir au maraîchage n’avait rien d’une évidence pour cette femme dont la vie avait été jusque-là entièrement consacrée à l’élevage. Il lui a fallu tout apprendre – que faire avec ces drôles de légumes aux noms inconnus ? « La viande est la reine de l’assiette, en Mongolie. Caritas apprend à planter, cultiver mais aussi cuisiner », explique le père Pierrot.
Aujourd’hui, Enkhtuya s’occupe de ses radis, concombres, laitues et épinards avec un soin confinant à la tendresse. Ses récoltes lui permettent de se nourrir et parfois même de gagner quelques centaines de tugriks sur le marché. « Et j’ai beaucoup plus de contacts avec les autres qu’avant, je peux partager mes problèmes avec les gens de la coopérative. » L’hiver, l’ancienne éleveuse va prêter main-forte à ses deux filles qui ont pu reconstituer un petit troupeau à une centaine de kilomètres de là. Mais sa vie n’est plus dans l’âpre désert mongol. « Je n’ai plus la force », conclut-elle.
Par la piste qui part d’Altay, il faut plusieurs heures pour que surgisse du désert le village de Bigir. 2 300 habitants y vivent, dans une autarcie quasi totale. 170 d’entre eux ont remis en marche en 2010 une coopérative d’éleveurs datant de l’époque socialiste. Elle a été sélectionnée par Caritas, sur les conseils des autorités de la province. L’objectif : diversifier la production et la rendre plus rentable.
Monkh, la coquette chef de coopérative, est fière de montrer les légumes qui commencent à sortir de terre en ce mois d’avril. Le thermomètre placé à l’entrée de la serre confirme la sensation de chaleur qui engourdit dès le seuil de la porte : il affiche 35 degrés. « Avec les serres en plastique, les maraîchers doivent attendre mai pour cultiver. Nous, on commence déjà à vendre ! » s’enthousiasme-t-elle devant les étals d’une échoppe du village. « Et quand les autres arrêteront la production en septembre, nous cultiverons jusqu’à fin novembre. » Cette réussite a incité les membres de la coopérative à construire eux-mêmes deux serres de plus, avec l’appui de Caritas.
« Cette coopérative est efficace car ses membres se connaissent et se font confiance, observe le père Pierrot. À Oulan Bator, c’est un système qui a beaucoup de mal à fonctionner. » Dans la capitale, le programme s’adresse principalement à des familles que l’inexorable exode rural a jetées dans les bidonvilles. Là, des yourtes s’accumulent à perte de vue, loin des buildings clinquants du centre-ville.
Il faut emprunter des pistes cahoteuses pour traverser le quartier de Bayanzurkh, où vivent plusieurs familles aidées par Caritas. Derrière un lourd portail, au milieu d’un terrain jonché de planches en bois et de vieux pneus, la serre rutilante surprend. Dugersuren et Erdenetsetseg, un couple d’une cinquantaine d’années, n’ont d’autre moyen de subsistance que ces précieux légumes qu’ils font pousser ensemble. Ils cultivent un rêve simple : transmettre leur savoir-faire à leurs enfants et ainsi assurer leur avenir.
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[1] Le terme mongol "dzud" désigne un hiver particulièrement enneigé qui provoque une forte mortalité du bétail, les animaux ne pouvant trouver leur nourriture à travers la neige.