À Paris, un refuge pour des femmes victimes de traite
Une maison de ville dans un quartier résidentiel du nord de Paris héberge en toute discrétion un foyer de femmes victimes de traite des êtres humains. Sa directrice, Yolanda, demande à ce que ni le lieu ni les femmes ne puissent être reconnus car la douzaine de pensionnaires ont été arrachées à des réseaux de prostitution ou de travail forcé (esclavage domestique) et il n’est pas question de mettre le foyer et ses femmes en danger.
Le foyer existe depuis 1967, fondé par une congrégation religieuse, pour héberger les jeunes filles venues à Paris pour travailler. Depuis 2005, il ne reçoit plus que les victimes féminines de traite des êtres humains. Il peut accueillir 12 femmes majeures (les mineures sont prises en charge par un dispositif national spécifique) et offre quelques places supplémentaires en cas d’urgence. Pour les encadrer, neuf personnes se relaient 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
Signalées au foyer par la police, les services médicaux ou des associations caritatives, ces femmes se reconstruisent progressivement après avoir subi d’importants traumatismes. Leur séjour varie de quelques mois à trois ans. Durant leur séjour, elles sont suivies par une psychologue. La plupart sont originaires d’Afrique mais quelques Françaises (l’an dernier, trois sur la quarantaine de femmes passées par le foyer), issues généralement de familles déstructurées, accusent une grande désillusion. Nombreuses ont été leurrées par des promesses de travail et de prospérité avant de réaliser qu’elles tombaient dans la prostitution ou l’esclavage domestique.
Victime d’esclavage domestique, attirée en France par son exploiteuse, Pascale*, Ivoirienne de 32 ans, est arrivée au foyer il y a 15 jours. Elle trouve ici un répit qu’elle n’osait plus espérer après trois ans d’enfermement. « Je me repose et je me sens mieux, dit-elle. Ici, je prends des cours de français tous les matins et je participe à des ateliers. » Encore très timide, elle se surprend à exprimer un vœu : « suivre une formation pour devenir pâtissière. » Autre Ivoirienne, Aya*, 31 ans, n’a pas eu le même parcours. Elle vit au foyer depuis dix mois après avoir vécu une année dans la rue. Une association caritative l’a repérée et l’a sortie de sa situation. « Avant, je n’étais pas bien, nous confie-t-elle. Depuis que je suis ici, j’arrive à m’exprimer. Quand j’ai un problème, je peux en parler. »
Seule en France, Aya ne souhaite pas rentrer dans son pays où, dit-elle, « j’ai trop de mauvais souvenirs. Quand j’étais petite, mon rêve était de savoir lire et écrire. Dans mon village, d’autres filles partaient le matin à l’école. Je les accompagnais jusqu’à la porte mais le maître ne me laissait pas entrer parce que ma mère ne m’y avait pas inscrite. Nous étions sept enfants. Ma sœur aînée était allée à l’école quand mon père était encore vivant. Mais quand j’ai voulu y aller, ma mère était veuve et n’avait pas assez d’argent pour m’y envoyer. » Chaque matin au foyer, Aya suit son cours de français individuel dispensé par une bénévole. « Aujourd’hui, je sais lire. Je lis des livres pour enfants et je peux envoyer des messages sur mon téléphone », annonce-t-elle triomphante.
Parmi les missions du foyer, il y a la sensibilisation à la traite des êtres humains. « Nous tentons d’éclairer les professions amenées à rencontrer des femmes victimes de traite, notamment le corps médical, explique la directrice. Nous organisons aussi un colloque annuel dans la mairie de notre arrondissement. Mais nous tâchons surtout de développer un lien privilégié avec des entreprises privées. » Depuis six ans, plusieurs grands groupes sont devenus partenaires du foyer. L’Oréal a été la première entreprise à se rapprocher de l’institution.
Tandis que les pensionnaires allaient dans les locaux du géant mondial du luxe se faire gracieusement coiffer et maquiller, quelques salariés de L’Oréal venaient au foyer repeindre les murs ou faire du bricolage. D’autres fois, salariés et pensionnaires ont mis sur pied des jeux de piste pour découvrir Paris. Après L’Oréal, Air France, Shiseido, Kering (ex Pinault-Printemps-Redoute) et Cap Gemini ont souhaité participer à ces échanges. « Cela casse la routine de nos pensionnaires, explique Yolanda. Elles découvrent d’autres horizons, d’autres manières d’être et de penser. Pour les entreprises, c’est une autre forme de mécénat. Elles nous apportent à la fois des connaissances techniques et des bénévoles. Par ce biais, les salariés sont sensibles à notre cause. »
Dernièrement, la Fondation Louis Vuitton a offert l’entrée de sa dernière exposition aux femmes du foyer. Pascale et Aya étaient présentes. Toutes les deux, moins sensibles aux portraits d’Egon Schiele, ont adoré les peintures de Jean-Michel Basquiat. Aya dit des toiles de l’Américain : « On dirait des dessins d’enfants. On ne comprend rien mais c’est trop beau. » Pascale, quant à elle, affirme que cette exposition « m’a donné envie d’aller voir d’autres musées. »
Le séjour de ces femmes a pour but de les libérer des entraves physiques et psychologiques passées. Si elles vivent en communauté au foyer dans un environnement exclusivement féminin, elles sont libres de sortir seules et de mettre en pratique les outils que les divers ateliers leur ont fournis, notamment sur les risques de retomber dans la soumission et l’exploitation.
* Les prénoms ont été changés