Sans-abris ou personnes isolées : un matin de répit au Mans
Un mardi brumeux de fin novembre. À l’ouverture des portes, une dizaine de personnes - des hommes pour la plupart, sauf une mère et sa fille en poussette - pénètrent aussitôt dans les locaux du Secours Catholique : direction la salle du petit-déjeuner. Derrière une table et un ordinateur, Véronique, Jacques et Solène les accueillent « en amis », souvent par leurs prénoms, notant leur identité et posant la question rituelle, afin d’évaluer leurs besoins : « À la rue ? Hébergé ? Logé ? ».
Certains sont des habitués, que les bénévoles tutoient, comme Jean-Luc, un grand costaud, qui salue gaiement : « Ça va ce matin ? Y a le sourire ! ». Un jeune homme s’enquiert auprès de Véronique : « On pourra appeler ma curatrice ? ». « Sans souci, répond la bénévole. Va prendre ton petit-déjeuner, et on fera cela après ». Un autre homme, engoncé dans une parka, semble malade, la main sur l’estomac. « Mange quelque chose, et puis reviens nous voir et on appellera le médecin ».
Dans la salle, Mamaïssata, Marina, Francisca et Antoine s’occupent de servir cafés, chocolats chauds et tartines de pain à la confiture aux premiers arrivants qui vont ensuite s’attabler, à plusieurs ou seuls. « C’est rare les lieux comme ça où on peut prendre un petit-déjeuner et rencontrer des gens, constate Ahmed. C’est convivial ici, et cosmopolite. Et puis ceux qui ont des pépins peuvent se faire aider. » Lui vient pour « ne pas rester seul » chez lui. Assis en face, Thierry, mécanicien auto au chômage depuis trois ans, ôte son bonnet. « Moi aussi j’ai un bout de piaule, mais mon ballon d’eau chaude est en panne, alors ça caille, et sur le trottoir, fait pas trop chaud non plus ! »
C’est mon premier hiver dehors. Et j’espère le dernier.
Une partie de belote s’engage. Jean-Louis, bénévole, tape le carton avec Jean-Luc, Jérôme et Jean-Bernard. Ce dernier fête ses 72 ans. À l’annonce de cette nouvelle, la salle entonne pour lui un “joyeux anniversaire”. Le retraité baisse les yeux, le sourire aux lèvres. À une autre table, on commente le journal : rubrique météo puis horoscope. Jérémie* est du signe “balance”. Un épais duffle-coat sur le dos, le trentenaire, fébrile, tortille nerveusement des mèches de ses cheveux. Il dort dans la rue depuis mars dernier, expulsé de chez lui à la fin de la trêve hivernale. « C’est mon premier hiver dehors, souffle-t-il. Et j’espère le dernier. Il me faut un deuxième duvet, et ce sera bon. » Le jeune homme a plongé après une séparation, une dépression et la perte de son emploi dans le nettoyage industriel. « Mais ça va, je vais m’en sortir. Il me faut juste un peu de temps. »
Appels au 115
À la fin de la matinée, Véronique et Jacques font les comptes : 38 personnes sont venues, dont un tiers sont hébergées de façon plus ou moins précaire et 13 survivent à la rue. Les bénévoles ont appelé le 115 pour tenter de trouver une place en foyer ou hôtel pour deux d’entre eux, un homme et une femme, en vain. « On nous a répondu pour l’un de rappeler demain, pour l’autre dans deux jours… On est révolté par le nombre de personnes pour lesquelles il n’y a pas de solution », déplorent-ils d'une même voix. « En revanche, quand les gens repartent d’ici, ils nous saluent avec le sourire, tempère Jacques. Et ça, ça fait du bien. »
*le prénom a été modifié