Sécheresse en Somalie : un an après
C’était début 2017. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres appelait la communauté internationale à se mobiliser massivement pour « éviter le pire » en Somalie, six ans après la grave famine de 2011 qui avait fait 260 000 morts. La moitié de la population, soit plus de 6 millions de personnes, avait alors besoin d’une aide humanitaire d’urgence. La sécheresse durait depuis 2013 et après quatre années de pluies insuffisantes, les populations n’avaient plus de réserves, les cultures étaient ravagées, les points d’eau avaient disparu, les fleuves étaient asséchés et les bétails morts de faim. La crise alimentaire poussait un million de personnes sur les routes à la recherche d’eau et de nourriture. Fort de ce constat, le Secours Catholique avait lancé un appel d’urgence avec Caritas Internationalis pour aider ses partenaires à prendre en charge plus de 20 000 personnes sur les plans nutritionnel et sanitaire. Ainsi, dans le district de Lower Shabelle, CRS (la Caritas américaine) a pu distribuer des coupons de 64 $ à plus de 2000 familles qui vivent dans des camps de déplacés pour qu’elles puissent acheter à manger, voire épargner de l’argent pour se racheter des semences ou du bétail.
C’est le cas d’Habiba, grand-mère en charge de six petits-enfants, qui avait perdu deux de ses trois vaches au cours de la sécheresse. Avec l’argent reçu, elle a pu acheter de la nourriture et des vêtements à ses petits-enfants, et même envoyer de l’argent à sa fille restée dans la région rurale de Bakool. Un peu plus à l’ouest, dans la région de Gedo, Trocaire (la Caritas irlandaise) a pu - grâce au financement du Secours Catholique - soigner et alimenter plus de 12 000 personnes, en particulier des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes et allaitantes. Ainsi, 70 % à 90 % des enfants ont été guéris dans le mois qui a suivi les soins. Dans ce cadre, Trocaire a formé le personnel médical somalien pour une meilleure prise en charge. « Ainsi, si une sécheresse se reproduit, les Somaliens auront les réflexes pour détecter les futurs cas de malnutrition. » commente Nadia Tjioti du Pôle Urgences Internationales du Secours Catholique.
De retour de mission en Somalie, la jeune femme reconnaît qu’on a évité le pire mais que rien n’est gagné. « Cette année, finalement, contrairement à ce qui avait été annoncé, la saison des pluies a été bonne, constate-t-elle. On le voit : la verdure repousse de-ci de-là, on trouve des fruits et des légumes sur les marchés… Mais rien n’est réglé : depuis l’avion, on voit des grandes étendues de zones sèches ! » Le changement climatique ne fait qu’empirer la situation. Surtout, le pays souffre de mal-gouvernance (après 25 ans d’absence de gouvernement, en exil, entre 1992 et 2017), et du conflit avec les islamistes shebabs.
Des zones entières sont dangereuses pour les civils. Du fait de ce contexte sécuritaire compliqué, très peu d’ONG sont présentes. La Somalie est un pays oublié, c’est pourquoi le Secours Catholique continue d’y soutenir ses partenaires. Désormais l’association a décidé de s’attaquer à l’éducation, alors que la sécheresse avait entraîné la fermeture de nombreuses écoles. Nadia Tjioti s’en explique : « Un des éléments qui prévient le grand nombre de décès d’enfants en cas de nouvelle sécheresse, c’est bien l’école au quotidien, avec un repas offert une fois par jour à l’enfant. Éduquer c’est aussi mieux former les générations futures pour mieux gérer les crises, et savoir anticiper comme stocker son bétail. »
Actuellement, d’après l’Unicef, 70 % des Somaliens sont analphabètes. Ainsi, via Trocaire dans la région de Gedo, le Secours Catholique soutient désormais sept écoles, soit près de 1700 enfants âgés de cinq à 18 ans. L’association forme les enseignants (sachant que 4 enseignants sur 10 seulement sont formés en Somalie), complète leurs salaires, réhabilite les écoles (les trois quarts des infrastructures du pays sont endommagées), édite du matériel scolaire. Elle favorise également l’accès à l’eau potable, aux structures sanitaires et distribue des serviettes hygiéniques aux filles (pour empêcher l’absentéisme des filles qui, en cas de règles, ont tendance à rester chez elles par honte). De son côté le PAM (Programme alimentaire mondial) prend en charge la cantine. « Une petite fille est venue me voir quand je suis passée dans la région de Gedo : elle m’a confié qu’elle adorait l’école, et qu’elle rêvait de devenir médecin un jour. » raconte Nadia Tjioti. « C’est aussi vital d’avoir accès à l’éducation que de manger. Renforcer l’éducation, c’est préserver l’avenir d’un pays. »
C’est aussi le manque de moyens et d’éducation qui fait qu’une personne, sans autre perspective d’avenir, va se tourner vers un groupe terroriste, seul à même de lui apporter un travail, un revenu et un statut. Cela prend du temps, mais lutter contre la pauvreté c’est aussi éduquer les nouvelles générations pour mieux faire face aux crises et s’adapter au contexte d’aridité permanente.