Stella Dupont : « Il faut que les étrangers qui travaillent puissent être régularisés »

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Le projet de loi Asile et Immigration prévoit d’octroyer un nouveau titre de séjour « métiers en tension ». Qui concernerait-il ? Quelles avancées par rapport à la circulaire Valls en cours ? Que changerait-il à la précarité multiforme des personnes sans-papiers ? Entretien avec Stella Dupont, députée de la majorité de Maine-et-Loire et rapporteure spéciale du budget sur la mission "Immigration, asile et intégration".
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Texte

Propos recueillis par Clémentine Méténier, journaliste, et Ousmane Bangoura, travailleur sans-papiers.

Photos : Xavier Schwebel.

Parcours

stella dupon
Stella Dupont

  • 1973 : naît dans la ferme familiale à Chaudefonds-sur-Layon
    (Maine-et-Loire).
  • 2004 : est élue Conseillère générale du Département de Maine-et-
    Loire.
  • 2017 : est élue Députée de la 2e circonscription de Maine-et-
    Loire, puis réélue en 2022.
     

     

Ousmane
Ousmane Bangoura

  • 1995 : naît à Conakry (Guinée).
  • Octobre 2017 : Arrive à Angers puis Paris, après avoir quitté son pays pour
    des raisons économiques. Depuis il enchaîne les boulots sur les chantiers dans l’attente d’être régularisé.
  • 2022 : Est bénévole au Secours Catholique et se mobilise avec d'autres travailleurs sans-papiers pour rencontrer des candidats aux élections législatives.
Texte

Ousmane Bangoura : Je fais partie des 500 000 personnes « sans papiers » en France – 360 000 selon les chiffres de l’Aide médicale d’État – à ne pas avoir le droit de travailler. Comment allez-vous changer cette situation en 2023 ?

Stella Dupont : Depuis cinq ans, en tant que députée, je pointe cette incohérence dans la politique française en matière d’immigration. Certes je partage l’idée que dans un État de droit on ne peut pas accueillir la terre entière – il faut bien des règles et tout n’est pas possible – mais il faut aussi regarder la réalité en face.

Les Pays-de-la-Loire, que je connais bien, sont une région économiquement très dynamique et dès 2017 des entreprises très importantes ont rencontré des difficultés à recruter. À cette date, j’ai exprimé à l’Assemblée nationale le fait qu’on avait besoin des travailleurs étrangers dans notre pays.

Aujourd’hui des pans entiers de l’économie française manquent de main-d’œuvre. Certes il faut travailler sur la formation et la lutte contre le chômage des Français, c’est une priorité, mais nous avons aussi besoin d’un apport extérieur.

Il se trouve qu’en plus, nous avons sur notre territoire des étrangers qui sont en capacité de travailler. Partant de cette réalité du terrain, je pense que, pour que notre économie tourne, il faut sortir de l’hypocrisie pour faire en sorte que ces étrangers qui sont intégrés, travaillent ou peuvent travailler, et dont on a besoin, puissent être régularisés.

Donc la loi 2023, présentée récemment par le ministre du Travail et le ministre de l'Intérieur, fait justement des propositions pour un nouveau titre de séjour sur les métiers en tension, c’est-à-dire tous les métiers pour lesquels il est difficile de recruter. Cela marque un véritable changement de positionnement politique en France. 

Ce projet de loi présenté en conseil des ministres et rendu public début février avant le début
d'examen par les parlementaires français au Sénat et à l'Assemblée jusqu'au printemps.

 

Clémentine Méténier : Dans le projet de loi en discussion, les conditions d’accès au titre de séjour seront plus restrictives que la circulaire Valls qui ne circonscrit pas la régularisation à l’exercice d’un métier en tension ?

S.D. : Effectivement, la régularisation par le travail proposée par la circulaire Valls va au-delà des seuls « métiers en tension ». Cette circulaire ne se limite d’ailleurs pas au travail, d’autres éléments peuvent être pris en compte, comme les liens familiaux.

Le titre de séjour « métier en tension », imaginé dans le cadre du projet de loi, est censé faciliter la régularisation des étrangers qui travaillent dans les secteurs où on a besoin de main-d’œuvre, mais il ne doit pas venir supprimer la circulaire Valls qui répond à des situations plus larges. C’est en tout cas ce que je défendrai.

 

C.M. : Pourquoi justement n’aborder, dans ce projet de loi, la question de la régularisation que par le prisme du travail ?

S.D. : Je vois beaucoup de vertus à la régularisation par le travail en priorité, puisque le travail, c’est l’intégration et un accélérateur de l’apprentissage de la langue. Néanmoins, je suis d’accord que cela ne doit pas être le seul prisme par lequel envisager la régularisation. Je n’ai pas peur de l’immigration. Je pense que c’est positif. la Première ministre l'a dit elle-même lors du dernier débat à l'Assemblée Nationale. Les résultats de la dernière étude de France Stratégie, organisme indépendant rattaché à la Première ministre qui a conduit une étude en 2019, sont clairs et nets : l'immigration maîtrisée, est un axe positif pour la France.

 

O.B : Pour être régularisé, il faudra toujours prouver qu’on a exercé une activité professionnelle pendant plusieurs mois. Pourquoi maintenir cette condition (issue de la circulaire Valls), qui nous oblige à être dans l’illégalité, puisque légalement, une personne étrangère en situation irrégulière n’a pas le droit de travailler ?

S. D. : Je suis consciente de cette difficulté et je souhaite apporter d’autres conditions dans le débat parlementaire afin de faire évoluer les critères permettant de justifier d’une activité professionnelle, notamment pour les gens payés par chèque ou encore pour les personnes ayant travaillé sous « alias », c’est-à-dire sous l’identité de quelqu’un d’autre.

 

O.B : J’ai travaillé dans le nettoyage, sur des chantiers… Mais toujours au noir. En cinq années de travail ici en France je n’ai reçu qu’une seule fiche de paie. Or, pour pouvoir demander à être régularisé, il faudra pouvoir présenter des bulletins de salaire prouvant l’activité professionnelle exercée…

S.D. : Oui… donc vous n’entrez pas dans le cadre a priori tel qu’il est défini et présenté par le projet de loi à ce jour. Encore une fois, cette mesure ne viendra pas répondre à toutes les situations. Mais mon travail parlementaire va constituer à élargir les possibilités. 

Il y a par exemple des étrangers qui ont été en situation irrégulière à un moment donné mais qui ont pu continuer à travailler car ils n'ont pas fait savoir à leur employeur leur changement de situation. Ce flou existe et il serait judicieux que ces personnes puissent être concernées par ce titre tel qu'il est présenté.

Le projet de loi ne semble, par ailleurs, pas concerner aujourd’hui les personnes ayant travaillé sous « alias » c’est-à-dire qui ont présenté de faux papiers ou utilisé l'identité de quelqu’un d'autre, et dont l’employeur a été de bonne foi en l’employant pensant que la personne était en situation régulière. Ces employeurs-là ont besoin de main d’œuvre et considèrent d'abord que les gens ont besoin de travailler. 

 

O.B : Tous les employeurs que j’ai eus n’ont pas voulu nous déclarer, mes collègues sans papiers et moi, malgré nos demandes, parce qu’ils nous paient 7 euros de l’heure quand ils paient 14,50 euros ceux qui ont des papiers. Ils trouveront toujours des gens qui accepteront ces conditions.

S.D. : En effet, certaines entreprises jouent ce jeu de l’exploitation humaine. Ce n’est pas la majorité et ce n’est pas représentatif de toutes les entreprises qu’on peut connaître mais c’est une réalité et ce n’est pas acceptable. Il faut renforcer les mesures en direction des employeurs voyous qui trichent, par des contrôles, des dénonciations, des amendes, et je pense que ce volet coercitif sera aussi présent dans le texte de loi, pour lutter contre ces trafics. Avez-vous déjà vu l’Inspection du travail venir sur un chantier ?

 

O.B. : Oui, plusieurs fois. Quand les inspecteurs viennent, on nous demande de nous cacher pendant plusieurs heures. Et rien ne change.

S.D. : Régulariser des gens qui ont la capacité de travailler, c’est aussi lutter contre la traite et l’exploitation des êtres humains. Et ce texte peut être une réelle avancée en matière de droits humains.

Contrairement à la circulaire Valls, qui soumet la régularisation par le travail à une promesse d’embauche en CDD ou CDI, le projet de loi prévoit qu’une personne qui travaille sans papiers dans un des métiers en tension pourra demander elle-même sa régularisation sans dépendre de l’employeur. Ensuite, il faudra voir comment on arrive à lever ce frein des fiches de paie. Peut-on utiliser d’autres preuves ? Êtes-vous payés en espèces ? 

O.B. : Si je dois toucher 1000 euros, il me donne 600 euros en espèces et 400 en chèques.

S.D. : Cela veut dire qu'il y a quand même des traces de rémunérations sur votre compte bancaire. Est-ce que c’est cela qui va nous permettre de trouver des solutions ? Je ne sais pas. C'est un gros travail. Même si les  situations sont diverses et complexes, nous avons la volonté de trouver des réponses réelles en répondant aussi bien aux besoins des personnes étrangères qu’à ceux des entreprises.

 

O.D. : Étant chauffeur en Guinée, quand je vois les annonces de la RATP en recherche de chauffeurs, ça me fait mal de ne pas pouvoir postuler. Les chauffeurs seront-ils sur la liste des métiers en tension ?

S.D. : Je ne connais pas la liste exacte mais je sais que toutes les entreprises disent être en manque de chauffeurs. Une discussion est en cours entre les partenaires sociaux, le gouvernement, le patronat et les syndicats de salariés pour définir ensemble les secteurs. Et je suis surprise que les métiers de l’entretien, de la restauration ou de l’hôtellerie, en manque de main-d’œuvre, ne soient pas encore compris dans cette liste.

 

C.M. : Cette liste sera-t-elle mise à jour par les préfectures ou au niveau national ?

S.D. : Plusieurs choses se sont dites, mais à ma connaissance, le point d’atterrissage du gouvernement sera plutôt une liste nationale avec une déclinaison régionale. J’ai été très rassurée par les échanges que j’ai pu avoir avec les ministres concernés, c’est-à-dire que l’intention est bien là : à partir du moment où quelqu’un travaille et est intégré, il pourra être régularisé.

Là encore, de nombreuses études démontrent que notre pays a un besoin de main-d’œuvre durable… Le gouvernement s’inscrit vraiment dans cette logique durable ; nous ne sommes pas là pour donner un titre et le retirer le lendemain ou l’année suivante.

 

C.M. : Cela voudrait-il dire systématiser les titres pluriannuels ?

S.D. : J’ai compris qu’un premier titre annuel serait délivré, mais que, si tout se passe bien, il n’a pas vocation à rester annuel. C’est un point sur lequel je milite. Chaque année je produis deux
rapports sur le sujet  de l'immigration et j’indique depuis longtemps qu’il faut arrêter ces titres annuels, dans l'intérêt des personnes.

Ce n’est pas la peine de renouveler sans cesse cette précarité, d’autant que les délais d’obtention sont très longs, les gens sont en permanence dans la demande de titres. C’est aussi l’intérêt de l’administration car c’est une machine à produire du temps administratif très peu utile. La chose positive est que le nombre de titres pluriannuels a augmenté, c’est engagé en France et il faut accélérer.

 

C.M. : La future loi prévoit de « systématiser » l’inscription des personnes qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) au fichier des personnes recherchées. Ne serait pas qu’un gage donné à la droite, qui va pénaliser davantage les étrangers sans papiers, déjà dans une grande précarité ?

S.D. : Je suis en désaccord avec une telle proposition en l’état actuel. Si un certain nombre de choses changeait, je pourrais être favorable, dans un souci de compromis, à ce qu’on « enregistre » ces obligations de quitter le territoire français, non pas dans un fichier de délinquants mais dans un futur fichier à l’échelle de l’Union européenne.

Actuellement, délivrer des OQTF à tours de bras à tout un tas de gens qui travaillent et sont intégrés n’a pas de sens. Par ailleurs, on aura beau délivrer une OQTF, on sait que la personne va rester là si elle le veut. Dans différentes situations, nous n’avons pas la possibilité de la contraindre à partir.

 

C.M. : Pourquoi ?

S.D. : En droit international, pour obliger quelqu’un à retourner contre son gré dans son pays d’origine, il faut l’autorisation du pays via un laissez-passer consulaire. Or il est difficile pour plein de pays, et notamment les plus pauvres, de délivrer ces laissez-passer consulaires. Parce que parfois l’administration et l’état civil sont complètement absents ou fragiles. Ou parce que la situation dans le pays est instable – je pense aux Afghans, aux Syriens, même aux Guinéens –. Enfin parce que, comme au Burkina Faso, il y a un désaccord politique majeur vis-à-vis de la France. Il arrive même que la situation dans ces pays impose à la France de ne pas procéder à des expulsions.

Par ailleurs, quand les pays pauvres font leurs comptes et qu’ils regardent de quelles ressources ils dépendent, c’est avant tout des apports des ressortissants qui sont partis travailler à l’étranger et qui renvoient de l’argent pour subvenir aux besoins de la famille. Donc aujourd’hui, ils n’ont pas intérêt à ce que leurs ressortissants reviennent au pays.

Il y a donc un véritable sujet de répartition des richesses à l’international, un sujet de gouvernance et d’instabilité dans beaucoup de pays pauvres. Les questions migratoires sont complexes, en France mais aussi à l’international, et il faut toujours s’efforcer d’avoir cette vue large et d’ensemble. Ce n’est pas facile, mais il faut tenter d’apporter des solutions locales, mais aussi globales.

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