Agir : ce que la crise sanitaire a changé
C'était une idée « spéciale confinement ». De celles nées de l'impératif de se réinventer pendant la crise du Covid-19 pour maintenir un lien malgré tout. En avril et mai, l'équipe des Young Caritas de Haute-Loire a appelé une soixantaine de personnes âgées qui, d'habitude, venaient aux rendez-vous du Secours Catholique.
« Pendant la discussion, les personnes parlaient de leur vécu du confinement mais aussi plus généralement de leur vie. On leur demandait aussi des conseils tirés de leur expérience, explique Roger Yanka, le responsable de l'équipe Young Caritas. Le but était de rompre leur isolement et qu'elles se sentent utiles, intéressantes. »
L'expérience a été riche. « Pour beaucoup d'entre nous, c'était une découverte, cela nous a marqué », assure Roger. Les jeunes bénévoles ont donc décidé de maintenir ce lien.
Poèmes
En Isère, c'est un recueil de poèmes, parfois illustrés, qui a été envoyé aux personnels et résidents de différents Ehpad du département pour les soutenir. « Au début, ce projet d'écriture a surtout été lancé pour garder un lien entre membres du Secours Catholique malgré le confinement et proposer à tout le monde une activité pour lutter contre l'ennui », explique Lucille Wrobel, animatrice de l'association.
L'expérience de l'écriture a séduit ceux qui s'y sont essayés. Elle devrait perdurer sous d'autres formes et faire des émules. « Des personnes qui étaient éloignées de l'écriture, même de l'école en géréral, ont vu qu'elles étaient capables d'écrire des textes plus ou moins longs, de répondre à des consignes, à des contraintes, et qu'elles y prenaient du plaisir. C'est bon pour l'estime de soi, la confiance. »
Des responsables d'équipes locales ont déjà proposé aux membres de leur équipe de tenter ou renouveler l'exercice pendant l'été, et de se retrouver à la rentrée pour partager autour des textes.
À Évry, dans l'Essonne, les bénévoles du groupe d'apprentissage du français songent sérieusement à prolonger les cours par visioconférence et les discussions individuelles par téléphone, instaurées pendant le confinement.
« Nous pourrions faire deux cours dans la semaine. Le cours en salle de deux heures du mercredi après-midi, plus un cours allégé, d’une heure, en visio. Et des appels, plusieurs fois par semaine avec un formateur différent, estime François Thiébaut, l'un des bénévoles. Cela permettra aux apprenants de s’améliorer plus rapidement, sachant que, selon les spécialistes, un seul cours par semaine est souvent insuffisant pour vraiment progresser. »
Maintenir le dispositif répondrait également à un autre besoin. Le confinement a été l'occasion de « confidences » de la part des élèves sur leurs conditions de vie en France, le mal du pays, le manque créé par l'abscence de la famille. « Nous nous sommes aperçus que certains apprenants vivaient dans une grande solitude, et pas seulement depuis le début de la crise sanitaire, relate François Thiébaut. Les cours en visio et les appels hebdomadaires avaient aussi pour but de lutter contre cet isolement. Ils pourraient poursuivre ce rôle. »
À Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines, c'est à la demande de certains apprenants « qui avaient besoin de voir du monde, de retrouver physiquement le groupe » qu'a été instaurée, fin mai, une sortie hebdomadaire de deux heures dans un parc de la commune pour se poser et discuter, explique Robert Damas, investi dans l’apprentissage du français au Secours catholique local.
« Initialement, le temps que les cours puissent reprendre dans nos locaux », précise-t-il. Néanmoins, poursuit le bénévole, ces sorties pourraient perdurer par la suite. » Leur aspect moins formel est plus propice à souder un groupe. Et elles permettent de diversifier les modes d’action : « Quand il fait beau et qu’on a plus envie de profiter du soleil et des extérieurs, une sortie sera plus mobilisatrice qu’un cours en salle qui perd souvent des élèves avec l’arrivée des beaux jours. »
Hotline et bus itinérant
Dans certains territoires, les actions exeptionnelles mises en place durant la crise sanitaire ont été l'occasion de rencontrer un nouveau public. « Le lancement d'une hotline pour répondre aux besoins urgents nous a rendu plus visibles, constate Damien Roussy, reponsable du Secours Catholique à La Réunion. Cela a fait venir à nous des personnes avec qui nous n'étions pas en contact. Aussi bien pour exprimer un besoin que pour proposer une aide. »
Damien souhaite pérenniser ce dispositif qu'il perçoit comme une « porte d'entrée » efficace dans l'association. « Un numéro de téléphone est à la portée de tout le monde. »
À Podensac, en Gironde, le confinement a conforté l'équipe locale dans son projet de lancer un bus itinérant. « C'était une idée qui nous trottait déjà dans la tête auparavant, explique Alain Cloutour, membre l'équipe. Après avoir perdu notre local, nous hésitions à en chercher un autre ou à acquérir un bus. »
Pourquoi un bus ? « Notre secteur est grand. Les gens n'ont pas forcément les moyens de venir jusqu'à nous. Ce sont principalement les assitantes sociales, les CCAS et parfois les curés qui nous les signalent. On a un peu l'impression de ne pas connaître les personnes qui auraient besoin de nous. »
Cette réalité s'est exacerbée pendant la crise du Covid-19. « Nous avons découvert tout un tas de situations que nous ne soupçonnions pas, assure le bénévole. À la campagne, la misère est cachée, si vous ne prenez pas le temps de discuter avec les gens, si vous n'entrez pas chez eux, vous ne pouvez pas savoir. »
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Durant le confinement, Alain a réussi à établir un lien de confiance avec des familles grâce à la distribution de poulets donnés par un fermier du coin. « Cette initiative de la ferme d'Illats nous a permis d'aller vers des personnes qu'on connaissaient et d'autres signalées par le CCAS pour discuter avec elles, nous faire connaître, voir si elles avaient besoin d'aide. » L'équipe voudrait poursuivre cette dynamique. Le bus pourrait être le bon outil.
Sortir des locaux pour aller à la rencontre des personnes là où elles vivent. « Jusqu'à présent, nous ne le faisions pas par manque de bénévoles », explique Christel Boumaiza, investie à l'accueil de jour du centre-ville d'Avignon qui reçoit chaque matin plus d'une centaine de personnes, essentiellement des hommes à la rue.
La fermeture de l'accueil, pendant la crise sanitaire, a conduit à l'organisation de tournées de rue. « On s’est alors aperçu que beaucoup de personnes qui vivent dehors ou en squat ne viennent pas à l’accueil parce qu'elles ne connaissent pas ou parce qu'elles s'y sentent mal à l'aise à cause du monde et de l'agressivité qu'il peut y avoir parfois, raconte Christel. Et puis, on a aussi réalisé qu'aller voir les gens "chez eux" permettait de vrais échanges, l'ambiance est plus détendue, plus intime. »
Depuis quelques semaines, l'accueil de jour a rouvert. Néanmoins, la tournée se poursuit, et devrait perdurer. « C'est possible grâce à l'afflux de nouveaux bénévoles pendant la crise », se réjouit Christel.
À Argentan, dans l'Orne, le confinement a été l'occasion pour les bénévoles du Secours Catholique de faire connaissance avec les habitants du quartier populaire des Provinces où l'association n'était pas implantée.
Au départ, la tournée des interphones imaginée par l'équipe devait se limiter aux immeubles de Vallée d'Auge, le quartier voisin où le Secours Catholique anime une bibliothèque. « On a réalisé que de l'autre côté de la route, il y avait sûrement les mêmes besoins. On a décidé d'y aller aussi », relate Yoann, l'un des neuf bénévoles.
Pendant deux mois, deux fois par semaine, « nous sonnions à tous les interphones, raconte Hasna, une autre bénévole. Nous demandions aux personnes seules ou familles si ça allait, si elles avaient de quoi manger, si elles avaient des besoins particuliers, qu’on aille faire des courses, des problèmes de santé, des problèmes de papiers, ou juste besoin de parler. Certaines personnes descendaient, d'autres se mettaient à leur fenêtre. »
sondage
Passée l'urgence de la crise, l'équipe de bénévoles voudrait poursuivre son action aux Provinces, sous une autre forme. « Des habitants nous ont dit que si quelque chose se mettait en place dans le quartier, nous pouvions compter sur leur participation », explique Hasna.
À quel type de projet songe-t-elle ? Ce n'est pas encore défini. L'idée d'une activité pour les jeunes lui trotte dans la tête. « On voit les enfants en train de jouer en bas des immeubles, des jeunes qui passent leur temps au parc, assis sur des chaises. » Mais ce sont les habitants qui décideront. « Nous allons faire un sondage pour voir avec les gens ce dont ils ont envie ou besoin. »