Aider les réfugiés du Haut-Karabakh à se reconstruire
Sur la table de Valya et Hrachik, près du poêle brûlant qui chauffe leur petit salon, des “Jengyalov hats” sont servis dans une assiette. Ces galettes de blé fourrées aux multiples herbes du Haut-Karabakh sont une spécialité de cette région. Pourtant, le couple n’a guère d’appétit. C’est avec amertume que Hrachik se souvient de la vie qu’ils ont dû abandonner : « Chez nous, la terre était fertile, le climat était bon et nous pouvions travailler au champ toute la journée », déplore l’ancien maraîcher de 73 ans. « Nous avions tout, conclut-il en soupirant, et ici nous n’avons plus rien. » « Mon village natal a été détruit ainsi que les tombes de mes ancêtres », confie de son côté Valya.
maigre pension
Comme plus de 100 000 Arméniens qui vivaient au Haut-Karabakh – ou Artsakh, le nom arménien de cette région montagneuse dont l’Azerbaïdjan a repris le contrôle par la force en septembre 2023 –, Valya et Hrachik ont dû fuir leur foyer pour se réfugier en Arménie. Tous deux vivent désormais dans un village de la région de Lori, au nord du pays. Le couple habite une petite maison en béton et en tôle prêtée par un neveu et située dans une plaine sans arbres.
La maigre pension que le gouvernement arménien accorde aux réfugiés de l’Artsakh constitue leur seul revenu. « Nous avons à peine de quoi nous nourrir car il nous faut payer l’électricité et le chauffage : c’est très difficile », s’inquiète Hrachik. Assise face à lui, Liana Nikolyan, coordinatrice de projet pour la Caritas arménienne, écoute attentivement le couple avant de lui remettre des sacs contenant des denrées alimentaires et des produits d’hygiène.
À l’instar de Valya et Hrachik, nombreux sont les réfugiés du Haut-Karabakh que la guerre a fait basculer dans la précarité. « La plupart n’ont emporté avec eux que leurs documents et rien d’autre, indique Liana Nikolyan. Nous leur fournissons une aide alimentaire ainsi qu’un soutien psychologique. » En parallèle de cette assistance d’urgence, Caritas Arménie accompagne sur la durée les populations impactées par le conflit afin de leur permettre de se relever. Dans la région de Lori, l’organisation soutient ainsi près de 800 personnes que la guerre a rendues vulnérables. « Nous aidons les personnes qui le souhaitent à se former professionnellement et à démarrer leur entreprise, précise Liana Nikolyan. Notre objectif est qu’elles se rétablissent économiquement et socialement. »
Je peux enfin penser à l'avenir.
À une vingtaine de kilomètres de la frontière géorgienne, dans le village d’Odzun, Narek, 31 ans, vit avec sa mère infirme, Lernuhi. Dans leur petit salon, au centre d’une étagère, trône un drapeau de l’ancienne république d’Artsakh. Tous deux ont fui leur village situé au sud du Haut-Karabakh suite à la seconde guerre de 2020, pour se réfugier dans cette vieille maison de famille qui était alors inhabitée.
« En arrivant ici, nous n’avions rien, témoigne Narek. C’était très dur de se faire à l’idée que nous ne retournerions jamais chez nous. » Après une aide humanitaire d’urgence, Narek, agriculteur de métier, a reçu une formation commerciale dispensée par Caritas Arménie pour développer son entreprise maraîchère. L’organisation lui a fourni aussi un soutien financier. « J’ai appris comment pérenniser mon business et j’ai investi dans des outils agricoles », commente-t-il. Dans le vaste jardin qui entoure la maison, cet homme d’une trentaine d’années fait pousser des pommes de terre et du blé. « Désormais, mes cultures sont une source de revenus et j’économise pour rénover notre maison. Je peux enfin penser à l’avenir. »
Outre les déplacés du Haut-Karabakh, le conflit n’épargne pas non plus les populations arméniennes locales. Dans la ville de Vanadzor, Kristina, 42 ans, a vu partir son fils, Tigran, pour la guerre de 2020 alors que celui-ci avait à peine 20 ans. « Lorsqu’il était au front, je ne faisais que pleurer et prier », témoigne cette mère, veuve et qui a élevé son fils seule. Tigran reviendra de la guerre blessé et traumatisé, obligeant sa mère à quitter son emploi dans une crèche pour lui donner ses soins.
J’aimerais ouvrir ma propre boutique.
Pour gagner un peu d’argent, Kristina s’investit alors dans sa passion : la pâtisserie. « C’était difficile de commencer mon commerce à cette époque, confie-t-elle. Mais j’avais beaucoup de volonté et Caritas Arménie m’a soutenue. » L’organisation a fourni à Kristina un four, des ustensiles de cuisine ainsi que des subventions pour lui permettre de développer son entreprise.
Désormais, les commandes se multiplient et permettent à Kristina et son fils de subvenir à leurs besoins. Dans sa petite cuisine, la quarantenaire a le sourire aux lèvres tandis qu’elle enfourne un nouveau gâteau. « Je suis heureuse, dit-elle. Cette entreprise m’a beaucoup aidée moralement. J’aimerais continuer et ouvrir ma propre boutique. »
Quant à Valya et Hrachik, il leur faudra encore du temps pour se remettre de leur traumatisme et envisager une formation professionnelle. Mais Hrachik a déjà une idée dont il a fait part à Caritas Arménie : « J’aimerais avoir ma propre serre et cultiver les plantes de chez nous, explique-t-il. Cela pourrait être une source de revenu. » De fait, le couple a emporté avec lui les graines des herbes de l’Artsakh. Et l’espoir de les voir germer de nouveau.