Amazonie : Défendre les gardiens de la forêt
Sous la canopée, les feuillages scintillants d’humidité sont si denses qu’ils plongent le sous-bois dans une demi-obscurité. Il est difficile d’avancer dans la touffeur tropicale sans s’enliser dans le sol marécageux. Marchant en tête, Teddy ouvre un passage à travers l’épais mur végétal à l’aide d’une machette. L’adjoint du chef de la communauté indigène de Dos de Mayo observe : « Pour arriver aux frontières de la partie reconnue de notre territoire, il nous faudrait au moins trois jours de marche. »
Et bien plus pour franchir ces frontières et traverser la zone revendiquée par la communauté autochtone. Une demande d’extension du territoire communal est à l’étude. Mais elle fait face à un obstacle de taille : la zone réclamée se situe dans le périmètre de la réserve nationale Pacaya Samiria, la plus grande aire protégée du Pérou. Situé dans le nord du pays, le parc naturel, propriété de l’État péruvien, a été créé au début des années 1970 dans un objectif de conservation de la forêt amazonienne sans consulter ses premiers habitants. Les familles de la communauté Dos de Mayo, à l’instar de leurs voisins, peinent depuis à accéder à cet espace pour cueillir des fruits ou des plantes médicinales ou pour pratiquer la chasse traditionnelle. La situation est encore plus compliquée pour les communautés indigènes vivant à l’intérieur de la réserve. Elles ne sont toujours pas reconnues par les autorités péruviennes et peuvent en être expulsées à tout moment.
De part et d’autre de la réserve, des dizaines de communautés autochtones, regroupées au sein de la fédération Acodecospat, se battent pour faire valoir leur droit à l’autonomie et faire reconnaître ou élargir leur territoire. Dans cette bataille juridique, les membres de la fédération indigène reçoivent depuis plusieurs années le soutien du Centre amazonien d’anthropologie (CAAAP), partenaire du Secours Catholique, qui leur offre un appui technique et financier.
Celui qui ne connaît pas ses droits ne peut pas les défendre.
« Les procédures administratives pour obtenir un titre de propriété collectif sont très difficiles. Elles durent au minimum deux ans », explique Véronica Shibuya de Mestanza, ancienne avocate, aujourd’hui responsable de projets au CAAAP. « Il faut effectuer sur le terrain un travail de démarcation des frontières ainsi qu’une étude de classification des sols. Tout cela prend du temps. » Et nécessite des moyens de plus en plus importants. Pour mener jusqu’au bout leurs démarches, les communautés doivent engager des conseillers juridiques, des avocats et des ingénieurs agricoles et hydrauliques.
Et depuis l’an passé, « l’enregistrement des parcelles dans le cadastre est aussi mis à notre charge », souligne Alfonso Lopez, président de la fédération Acodecospat et chef de la communauté Dos de Mayo. « Les procédures devraient être moins usantes sur tous les plans, y compris financier », estime la responsable de projets du CAAAP, qui plaide auprès des pouvoirs publics en faveur d’une simplification des démarches.
En parallèle, l’ONG organise au sein des communautés indigènes des campagnes de sensibilisation sur les droits individuels et collectifs. « Celui qui ne connaît pas ses droits ne peut pas les défendre, rappelle l’ancienne avocate. Il est important d’informer les populations indigènes dès le plus jeune âge de l’existence de droits communs à tous les citoyens péruviens et de droits spécifiques aux personnes indigènes. » L’organisation dispense également des ateliers de formation plus pointue à destination des dirigeants communautaires.
Une résistance non violente
L’autre enjeu est de sécuriser les territoires indigènes reconnus, convoités aussi bien par les narcotrafiquants que les pêcheurs et les exploitants de bois. Pour repousser les envahisseurs, le CAAAP participe à la mise en place de patrouilles, en formant et équipant des moniteurs environnementaux chargés de surveiller leur territoire. En cas d’intrusion, ceux-ci alertent les autorités locales en leur communiquant les coordonnées GPS des zones concernées. Les gardiens de la forêt interviennent en dernier recours, en employant l’une des méthodes non violentes de résistance conseillées par l’organisation : manifestation, saisie de matériel, de carburant et de produits alimentaires sur le campement des intrus.
Ainsi, lorsque des pêcheurs à la dynamite se sont approchés de leur rive, les habitants de la communauté de Libertad les ont délogés depuis leurs embarcations au moyen de plantes provoquant de l’urticaire. Une autre fois, toujours sur les conseils du CAAAP, ils ont fabriqué « un barrage flottant avec des troncs d’arbres » pour empêcher la progression des bateaux indésirables, raconte Wellington, chef de la communauté. « Perdre notre territoire, déclare-t-il, ce serait perdre notre identité et notre héritage. »