Au Sénégal, l’agroécologie au service des populations… et de la planète
Fini les pesticides
Mbowen Souley, dans le sud du Sénégal. Le soleil a à peine pointé le bout de son nez que déjà les 65 femmes maraîchères soutenues par Caritas Kaolack s’activent.
L’une puise l’eau du puits grâce à une pompe solaire qui permet d’aller chercher l’or bleu à 110 m de profondeur.
L’autre bine la terre pour que l’eau pénètre dans le sol. Une autre encore récupère les excréments d’une des onze chèvres de l’exploitation pour en faire de la fumure et fertiliser le sol.
Ici, point de pesticides ou d’engrais chimiques : tout est naturel. Les semences organiques (de tomates, laitues, oignons, pommes de terre,…) sont achetées, à l’origine, à un partenaire de Caritas.
Puis les femmes produisent d’une année sur l’autre leurs propres semences. Caritas fournit les biopesticides et biofertilisants pour compléter la fumure.
Ici ou là, sur la parcelle d’un hectare, des arbres comme des anacardiers ou des papayers complètent le tout pour fertiliser les sols.
« Des légumes comme par exemple les oignons se gardent mieux. » se félicite Awa, maraîchère. « Nous mangeons des produits de meilleure qualité. Et grâce à la vente au marché, j’ai accru mes revenus et j’ai pu mettre du carrelage dans ma chambre. »
« J’aide mon mari à satisfaire les besoins de la maison : j’en suis très fière. » renchérit Ndeye. En plus de leur propre consommation, les femmes vendent leurs produits et gagnent, en moyenne, une quarantaine d’euros par mois, ce qui sert à payer frais scolaires, vêtements, soins…
« Les populations mangent plus sainement et ont une meilleure santé, alors qu’auparavant les pesticides provoquaient nausées et maux de tête. Elles ont, en fait, le même rendement agricole mais elles économisent en ne dépensant plus d’argent dans les engrais. Ce gain améliore leur vie. » explique Gilbert Sene, en charge du projet agroécologie pour Caritas Kaolack.
Autonomie
« Nous accompagnons les maraîchères au départ, mais elles restent autonomes et le but est qu’elles prennent leur destinée en main. » poursuit Jacqueline Senghor, animatrice à Caritas.
Ainsi, sur chaque lieu soutenu par l’ONG, une organisation paysanne est créée. À Mbowen Souley, par exemple, chaque femme cotise 6000 FCFA par an (9 euros) pour financer travaux et investissements, et cela crée une cohésion de groupe.
Autre exemple à Ndiaffate, où Caritas invite les paysans à stocker leurs récoltes dans un grenier communautaire, pour sécuriser les stocks et même leurs revenus grâce au warrantage*. Ici, une dizaine de producteurs d’arachides tentent le retour à une agriculture biologique.
Ndioguou témoigne : « Je fais du fumier avec les excréments de mon cheval et ma paille. J’ai constaté que ma production a augmenté. Avant, je produisais 700 kg d’arachides par an et cette année j’en ai produit 1,2 tonne. »
« On ne demande pas aux paysans de tout abandonner d’un coup, on les fait comparer et ils adhèrent d’eux-mêmes au vu des résultats. » affirme Gilbert Sene.
Ainsi, Maïmouna, rizicultrice à Koular, non loin de la Gambie, reconnaît qu’elle utilise encore un peu d’engrais chimique, le temps de faire la transition : « Caritas m’a tout de même appris à cultiver le riz en ligne et cela a accru mon rendement. Je garde les grains pour l’an prochain. »
Maïmouna s’est aussi lancée dans du maraîchage en contre saison pour mieux fertiliser la terre, avant de replanter le riz juste avant la saison des pluies.
S’adapter au changement climatique
Car ici, à Koular, le terrain est propice à la culture du riz depuis que Caritas a fait construire à côté un barrage anti-sel.
« Améliorer les moyens de subsistance et préserver la planète sont liés. » explique Gilbert Sene. « Dans la région de Kaolack, avec le changement climatique, le niveau de la mer monte, le sel attaque ainsi les nappes phréatiques et abîme la végétation. »
Les barrages anti-sel permettent de rééquilibrer le système en rechargeant les nappes en eau douce. A Touba Mouride, par exemple, cela a sauvé le maraîchage.
« Même en saison sèche, il y a assez d’eau douce pour arroser, la nappe est à une profondeur moindre qu’avant. » témoigne Yacine Bousso, maraîchère.
« Et grâce à la convention locale de gestion des ressources forestières de la vallée de Senghor, les arbres ont repoussé dans la région, et cela maintient aussi l’eau dans les nappes en cas de sécheresse**. » En effet, Caritas invite les communes et communautés de villageois à mettre en place de telles conventions pour protéger les forêts.
24 hectares de bois sont ainsi mis en défens à Touba Mouride depuis 2014. « Avant, on voyait les autres villages. Maintenant, le couvert végétal a repoussé, on ne voit plus que la forêt. » se félicite Insa, du comité de surveillance.
Les règles sont simples : on ne coupe pas - sauf dans une zone strictement délimitée -, on ne brûle pas, et on attend que les fruits des arbres soient mûrs pour les récolter. Sinon on paie une amende.
Les villageois sont désormais bien sensibilisés. « Il nous fallait préserver notre environnement. L’homme doit vivre avec la forêt. » poursuit Insa.
« Tout part des populations. » conclut Gilbert Sene. « Désormais, ce sont aux sociétés civiles d’échanger sur leurs pratiques, pour faire face aux changements climatiques, en quittant le niveau local pour arriver au national, voire au sous régional. »
Un nouveau projet vient d’ailleurs de voir le jour : il promeut l’agroécologie et les échanges entre les Caritas de huit pays du Sahel.
* Système de crédit qui consiste pour un paysan à obtenir un prêt en mettant en garantie sa production susceptible d’augmenter de valeur.
** Les racines des arbres permettant à l’eau de mieux couler dans la terre, ce qui renouvelle les nappes phréatiques
Témoignage : « L’agroécologie a sauvé nos familles. »
Yacine Bousso est présidente du groupement de femmes maraîchères de Touba Mouride au Sénégal
« Auparavant j’utilisais des engrais chimiques et des pesticides dans mon activité de maraîchage. J’avais un bon rendement, mais les légumes ne se conservaient pas bien, et je dépensais l’argent gagné dans les soins à cause des effets des pesticides. Moi-même j’en ai été victime en me douchant avec une bassine d’eau contaminée : j’ai eu le corps en feu.Mon mari est paysan et cultive le mil et l’arachide. Mais il doit louer la terre et payer les semences et les intrants chimiques : c’est cher ! Résultat : on contractait des dettes et on ne mangeait que deux fois par jour avec nos cinq enfants.
Depuis trois ans, au village, nous, les femmes, nous nous sommes lancées dans du maraîchage bio avec le soutien de Caritas, c’est-à-dire que nous réutilisons les semences d’une année sur l’autre, nous mettons de la fumure organique sur les plantations avec les excréments des vaches ou des chèvres, nous diversifions les cultures (menthe, laitue, navets, oignons) et nous profitons d’arbres fruitiers comme les bananiers ou les papayers qui fertilisent la terre de notre parcelle.
Je produis pour notre consommation familiale, par exemple des aubergines ou des tomates : ainsi nous mangeons plus sainement et ce, trois fois par jour. Je vends le reste au marché hebdomadaire le dimanche. Nos revenus ont doublé et je réinvestis tout pour notre quotidien : un lit pour mieux dormir, les fournitures scolaires et l’habillement pour les enfants. Tout cela a beaucoup amélioré notre vie.
Parfois, je m’inquiète car je vois les effets du changement climatique : soit il pleut fort d’un coup et le maraîchage est englouti, soit on assiste à des pauses pluviométriques de 45 jours comme l’an dernier en saison des pluies et ce qu’on a semé fane. Certains paysans partent s’installer en ville à cause de cela. Moi, je préfère rester auprès des miens et travailler. Je pense que l’agroécologie est la meilleure façon de préserver l’environnement et de me permettre de rester au village. »