Centrafrique : soif de paix
Tout un pays à reconstruire
La dernière crise centrafricaine, en deux ans, a appauvri et déchiré la population. Tandis que les belligérants promettent la paix, les ONG locales que soutient le Secours Catholique-Caritas France éduquent, forment et reconstruisent.
Arrivé au pouvoir en 2003 par un coup d’État, le président Bozizé a été renversé en 2013 par un autre coup d’État. Chacun a été suivi ou précédé d’une guerre civile. Les Centrafricains en ont assez.
La population de la République centrafricaine (RCA) est estimée entre 4 et 5 millions d’habitants sur un territoire grand comme la France et la Belgique réunies. Un quart des Centrafricains vivent à Bangui, la capitale. Ce déséquilibre est une des causes de la crise actuelle car le pouvoir a progressivement abandonné les provinces. « Livrés à eux-mêmes, les gens ont perdu le sentiment d’appartenir à un État », confie Béatrice Epaye, ancienne ministre et députée d’une circonscription du nord.
Le tombeur de Bozizé, Michel Djotodia, ancien ministre de la défense et représentant des populations du nord, arrive à Bangui au printemps 2013 à la tête d’une coalition (Séléka) constituée de nordistes exaspérés (mais peu nombreux) et d’une horde de mercenaires étrangers ne parlant ni sango ni français, les deux langues officielles du pays. Ces mercenaires, en majorité musulmans, tuent, violent et pillent – sans distinction de religion – ceux qui tombent à leur portée.
L’ennemi, Tchadien ou Soudanais, est d’abord perçu par ses victimes comme musulman. Ce simple amalgame va servir aux milices d’auto-défense, dites “antibalakas” et composées d’anciens militaires et de nostalgiques de régimes précédents, à enrôler des combattants et à commettre à leur tour assassinats et pillages. Un amalgame que les plus hautes autorités religieuses du pays combattent depuis le début, l’archevêque de Bangui, Mgr Nzapalainga, en tête.
Rumeurs
La dernière guerre civile a révélé une jeunesse centrafricaine très sensible aux rumeurs et facilement manipulable. Dans le rapport de l’observatoire Pharos, commandé par le ministère des Affaires étrangères français en début de crise et rendu public début 2015, il est noté que cette nouvelle génération « semble ne disposer d’aucune capacité de défense éducative, sociale, intellectuelle et encore moins politique ou mémorielle de nature à lui permettre de résister au déchaînement contagieux de la violence ».
Comment redonner espoir à une nation meurtrie et divisée ? En mai dernier, 600 représentants de la société centrafricaine (autorités de transition, partis politiques, membres de la société civile et, surtout, représentants des groupes armés) ont apporté une première réponse en signant un Pacte obligeant tout le monde à démobiliser, à désarmer, à libérer les enfants-soldats et à organiser rapidement des élections. Mais pour réaliser les promesses, il faut de la volonté et du temps.
La première réaction du Secours Catholique à cette crise a été d’apporter son soutien à la Caritas locale dans sa réponse à l’urgence. Ensuite, d’appuyer les programmes favorisant la réconciliation et la paix. L’organisation de développement Acord-RCA, par exemple, incite de jeunes leaders à redynamiser leurs quartiers en reconstruisant, en favorisant les rencontres et le dialogue.
Même philosophie chez ATD Quart Monde-RCA, dont le représentant à Bangui, Michel Besse, vit en totale empathie avec les plus désemparés. ATD anime un réseau de jeunes leaders, grands frères capables de faire imaginer la paix aux enfants de leur quartier ou de leur camp de réfugiés. Une cinquantaine d’entre eux, la plupart diplômés d’université, ont suivi une formation sur les traumatismes post-conflit dispensée par Umuseke, une organisation rwandaise.
Traumatismes
Lorsque les antibalakas se sont levés pour répliquer aux Sélékas, de nombreux observateurs ont qualifié la situation de “pré-génocidaire” tant elle rappelait le Rwanda de 1994. L’intervention des forces de maintien de l’ordre des Nations unies (Misca) et des soldats français de l’opération Sangaris a sans doute limité le nombre de victimes, mais les traumatismes sont les mêmes qu’à Kigali il y a vingt ans. C’est le constat de Sœur Philomène.
Cette Rwandaise vit à Bangui depuis 2002 : « J’étais déjà là quand Bozizé a pris le pouvoir. Aujourd’hui, c’est bien plus grave. » Formée à l’Institut de formation intégrale de Montréal (IFHIM), elle organise des “séances de restauration de forces vitales” avec des personnes de confession différente qui ont subi des traumatismes ou des exactions.
La Commission épiscopale centrafricaine de Justice et paix, qui a hébergé d’innombrables déplacés dans son centre Jean XXIII, en plein Bangui, tient, elle, un centre d’écoute où des milliers de victimes racontent leur calvaire. Ce travail de fourmi a produit 6 000 dossiers qui peut-être ouvriront droit à des réparations, mais qui serviront sans doute à la Cour pénale internationale, saisie pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Depuis 2013, l’effort financier du Secours Catholique en Centrafrique s’élève à plus de 1,25 million d’euros.
« C’est la mauvaise gouvernance qui est en cause »
Face à une société centrafricaine fracturée, deux des plus hautes autorités religieuses du pays, l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, et le président de la communauté islamique centrafricaine, l’imam Oumar Kobine Layama, montrent une entente parfaite.
Quelles sont les raisons du conflit qui mine la RCA depuis mars 2013 ?
Mgr Nzapalainga : Il ne faut pas tourner autour du pot. C’est la mauvaise gouvernance qui est cause d’une telle situation. Les dirigeants jusqu’ici, pensaient que le pouvoir, c’était leur famille, leur ethnie, leur région. Je l’ai souvent dénoncé en disant que ceux qui étaient exclus du pouvoir réagiraient tôt ou tard. Et ils ont réagi.
Ensemble, vous affirmez que le conflit actuel n’est pas religieux.
Imam Kobine : S’il y avait eu un conflit entre les communautés religieuses, le pays se serait embrasé dans sa totalité. Depuis le début, nous disons que cette crise n’est pas une crise communautaire, ce n’est pas une crise religieuse. C’est une crise militaro-politique. La politique utilise tout ce qui lui semble bon pour atteindre son objectif. Des chrétiens protègent des musulmans là où les musulmans ne sont pas en sécurité. Il y a des chrétiens et des musulmans qui vivent dans des villes qui ne sont pas touchées par la crise. La confiance revient peu à peu entre les communautés qui ont été instrumentalisées.
Mgr Nzapalainga : Nous ne voulons pas qu’on puisse dire que cette crise est religieuse. C’est pour cela que nous avons créé une plateforme interreligieuse, comme une réponse à l’unité de la Centrafrique ; pour dire que nous sommes un seul et même pays, que nous sommes tous Centrafricains avant d’être protestants, musulmans ou catholiques. La Centrafrique est le patrimoine que nous partageons tous, quelle que soit notre religion, nous devons nous respecter. C’est cela, le principe de laïcité.
En quoi consiste la plateforme que vous avez créée ?
Mgr Nzapalainga : Protestants, musulmans et catholiques se sont mis ensemble pour parler un même langage, pour dire : nous ne voulons pas qu’on puisse manipuler les faits religieux à des fins politiques. Pour dire non à cette instrumentalisation de la religion. En créant cette plateforme, nous avons envoyé un message fort à nos fidèles. Elle est un socle pour rassembler tous les enfants de ce pays, en disant : Dieu ne veut pas la division, il veut rassembler. Nous avons un seul Dieu. Vous trouvez les mêmes enseignements. Nous nous sommes réunis pour envoyer un message unique à nos fidèles qui nous suivent ou nous écoutent.
De nombreux musulmans se sont exilés. Savez-vous où ils vivent, ce qu’ils deviennent et s’ils vont revenir ?
Imam Kobine : Le mot “déportation” est plus approprié que le mot “exil”. La majorité des musulmans ont été déplacés. On les a incités à quitter le pays et poussés à fuir vers le nord. En outre, ils n’ont pas été assistés sur le plan humanitaire. Ainsi, beaucoup sont morts, par manque d’assistance, au Tchad et au Cameroun. Aujourd’hui, un certain nombre sont revenus. Au Kilomètre 5 où la population s’était vidée, beaucoup ont rejoint leur lieu de vie. Cependant, à la suite du confit, d’autres n’ont plus de maison dans leur quartier d’origine, ce qui bloque leur retour malgré le souhait de leurs voisins de les voir revenir. Nous devons les aider à se réinstaller.
Petits soldats désarmés
On estime à 12 000 le nombre d’enfants enrôlés par les groupes armés lors du dernier conflit en Centrafrique. Caritas Bangui en a libéré plusieurs centaines, auxquels elle tente de redonner goût à la vie.
Ces derniers mois, Caritas Bangui et l’Unicef ont négocié la libération de 1 600 enfants de 7 à 18 ans enrôlés par les milices. Dans une des communes du nord de Bangui, le chef de village a rassemblé cinquante de ces garçons et filles vêtus du même tee-shirt blanc sur lequel est imprimé : “Enfants à l’école – Avenir assuré“.
Quatre adolescents acceptent de raconter ce qu’ils ont vécu dans la brousse. Thierry, animateur de Caritas Bangui chargé du programme “enfants-soldats“, est aussi étudiant en anglais à l’université de Bangui. « Ils comprennent mais maîtrisent mal le français, dit-il. Ils parleront en sango et je traduirai. »
Manque de remords
Désiré a 18 ans. Il en avait deux de moins au début du conflit. Grand, mince, un duvet au-dessus de la lèvre supérieure, il est grave et nerveux. Il a besoin de parler, de répéter plusieurs fois ce qu’il a vécu. « Nous vivions dans la nature, sous la pluie. Nous étions 6 000 sous les ordres de notre chef. J’étais armé d’une machette. »
Pendant dix minutes, Désiré parle des atrocités commises et de son manque de remords. « Je n’avais en tête que de venger mes parents. » « Les antibalakas nous ont accueillis à bras ouverts », enchaîne Neige, frêle adolescente de 16 ans qui a fui avec son frère après l’assassinat de leurs parents. « Pour manger, on déterrait des tubercules amers et on cueillait des fruits sauvages. On buvait l’eau de la rivière ou des marigots. Lors des attaques, les chefs tiraient sur les gens. Nous, nous avions des massues. Si nous trouvions des petits enfants, on les assommait… »
Fabiola, 13 ans, parle de colère pour justifier les crimes que le groupe commettait, notamment pour expliquer l’acharnement sur les cadavres. « Lorsque je n’arrivais pas à dormir ou que j’avais des cauchemars, mon chef me donnait des “médicaments” », dit-elle plus doucement, attestant l’utilisation de drogues par les milices pour tenir leurs troupes.
Petit dur
Boris, lui aussi, a aujourd’hui 13 ans. Petit dur au visage d’ange, il ne peut retenir un sanglot à l’évocation de ses parents. Il se reprend et d’une voix rauque explique son rôle. « Avec mes camarades, nous servions de guetteurs. Quand les Peuls approchaient, nous les signalions à nos chefs. Nous avions des fusils. Notre chef nous a appris à tirer. »
Comment envisagent-ils leur avenir ? « Depuis que Caritas est venue me chercher, j’ai retrouvé mon sens normal », dit Désiré. « Je veux tenir un petit commerce et fonder une famille », dit Neige, en mentionnant la formation qu’elle suit pour devenir commerçante. « Les musulmans ? Je peux vivre avec eux, comme avant. J’ai beaucoup d’amis musulmans encore vivants. »
« La majorité des enfants ont retrouvé un foyer chez un membre plus ou moins éloigné de leur famille, dit Thierry. Mais 215 d’entre eux n’ont plus aucun parent. Nous leur avons fait réintégrer l’école. Pour les plus de 16 ans, nous les formons à un métier, et tous sont suivis sur le plan psycho-social. »