Dans le monde, la pauvreté exacerbée par le coronavirus
« Je suis une travailleuse domestique mais maintenant je suis au chômage à cause de la pandémie. Je ne peux pas payer mon loyer et je ne peux même pas manger deux fois par jour, témoigne Halima, Bangladaise de 28 ans habitant Dhaka. Je ne sais pas comment survivre en ces temps difficiles. »
Comme la jeune femme, ce sont plusieurs dizaines de millions de personnes qui se sont retrouvées sans moyens de subsistance à travers le monde. La pandémie de la Covid 19 « expose les fragilités et les inégalités de nos sociétés », prévenait début mai la vice-secrétaire générale de l’ONU, Amina Mohammed. Et pour cause, l’économie mondiale s’étant arrêtée, les conséquences sont particulièrement dramatiques pour les pays en voie de développement.
« Les pays du Sud sont de grands producteurs de matières premières et vivent de ces exportations. Ils souffrent fortement de la chute des cours et les conséquences sont lourdes pour leurs populations », analyse Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences Po Paris.
La crise a durement frappé les 2 milliards de travailleurs informels – soit près de la moitié de la main-d’œuvre mondiale selon l’Organisation internationale du travail (OIT) – qui ne bénéficient d’aucun filet de sécurité sociale (assurance chômage ou couverture santé). Or 90 % de ces travailleurs informels vivent dans des pays en voie de développement.
« Les revendeurs de rue, les conducteurs de taxi moto, les artisans, les petits commerçants… Tous ces gens ont vu leur activité s’arrêter », déplore l’abbé Gustave Sanvée, secrétaire général de la commission épiscopale Justice et Paix Togo. « Le chômage a explosé, dépassant tout ce qu’on pouvait imaginer, témoigne pour sa part John Peter Nelson, directeur exécutif d’Indo Global Social Service Society, en Inde. 90 % des travailleurs informels ont perdu leur job et tout moyen de subsistance. Même les classes moyennes sont touchées. »
Au Bangladesh voisin, Caritas Development Institute a mené une étude dans les bidonvilles et les zones rurales. Elle a fait apparaître que 80 % des habitants se sont retrouvés au chômage le premier mois du confinement, 65 % ont vu leurs revenus tomber à zéro et que seulement un ménage sur trois prend trois repas par jour. De fait, au niveau mondial, le dilemme est tragique pour des millions de personnes : mourir de faim ou du virus.
« Sans revenu quotidien, les habitants ont eu des difficultés à se nourrir, se vêtir, se soigner, et à envoyer leurs enfants à l’école. Depuis, il leur est difficile de se refaire et de repartir dans la vie », explique l’abbé Constantin Seré, secrétaire général de l’Ocades, la Caritas burkinabé. La situation est la même, que ce soit en Afrique, en Asie du Sud ou en Amérique latine : « Dans les zones urbaines, le secteur informel a payé un lourd tribut face à la pandémie. Et dans les zones rurales, les petits agriculteurs ne pouvaient plus écouler leurs produits et ils se sont vus obligés d’arrêter leur activité », explique l’abbé Gustave Sanvée, de la CJP Togo.
En outre, les migrants sont particulièrement affectés par les conséquences économiques de la pandémie, vu leurs difficultés à accéder aux services de base. « Beaucoup de migrants vivent du travail informel ou de la mendicité ici, au Maroc, note Clément Barberousse, de Caritas Maroc. Le confinement a contrarié leurs possibilités de générer des ressources pour leurs besoins alimentaires ou pour payer leur logement. » Et beaucoup de migrants vivent dans des conditions d’habitat précaire, sans mesures d’hygiène permettant d’enrayer la propagation du virus.
Une sensibilité accrue à la maladie
« Sur le plan sanitaire, constate Bertrand Badie, les populations pauvres sont plus vulnérables : elles ont un degré de résistance moindre à la maladie et leur condition économique et sociale les protège moins. »
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un quart de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable : l’eau et le savon, qui arrêtent la propagation du virus, sont un luxe dans les pays en voie de développement. « Une partie importante de la population la plus pauvre, au Brésil, vit depuis longtemps dans des zones où l’hygiène est faible et où il n’y a pas d’accès à l’assainissement de base, déplore Fernando Zamban, de Caritas Brésil. En mai, les quartiers des zones nord et sud de Sao Paulo ont enregistré une augmentation de 228 % des cas de contamination par le coronavirus. »
La situation est également dramatique pour les populations autochtones : leur taux de mortalité est 150 fois plus élevé que la moyenne nationale brésilienne.
En Albanie, l’habitat précaire a également affaibli les plus pauvres. « Les populations qui s’entassent dans des bidonvilles à Tirana ont été particulièrement touchées », note Enkelejda Qama, de la Caritas nationale.
Outre un manque d’accès à l’eau et à l’hygiène, les plus pauvres souffrent aussi d’un manque d’accès aux services de santé. « Déjà, en temps normal, les plus précaires ne peuvent se faire soigner, explique John Peter Nelson, d’IGSSS en Inde. La Covid 19 les a encore plus exposés et notre système de santé n’a pas su faire face à la situation. »
« L’actuelle désorganisation des sociétés à des effets dramatiques sur les conditions de vie des plus pauvres qui vont avoir un accès encore plus réduit aux principaux services sanitaires, éducatifs, de prestations sociales ou autres », confirme Bertrand Badie.
Outre la santé, une des conséquences de la pandémie concerne l’éducation des enfants. Selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), 60 % des enfants ont été privés d’éducation pendant la crise. « Les plus pauvres n’ont pas eu accès à l’enseignement de substitution, comme les cours sur Internet », constate l’abbé Constantin Seré de l’OCADES au Burkina Faso.
Enfin, l'inégalité sociale a souvent été doublée d'une inégalité de genre, note l'ONG Oxfam dans un rapport intitulé « Le prix de la dignité ». Selon Oxfam, 75 % des femmes dans les pays en développement, et 92% d'entre elles dans les pays les plus pauvre, occupent un emploi informel, donc sans protection du droit du travail. Dans les ménages précaires, les femmes ont également été davantage exposées aux violences conjugales à cause des tensions liées au chômage et à la baisse des revenus.
un bond en arrière
Les conséquences de la pandémie sur les plus pauvres dans le monde sont multiples et peuvent s'avérer catastrophiques. Tandis qu’actuellement, 825 millions de personnes ne mangent pas à leur faim sur la planète, ce chiffre pourrait repasser au-dessus du milliard avec la crise, selon Bertrand Badie. Pour l'ONG Oxfam : on assiste à un bond en arrière d’une décennie, voire de 30 ans, en matière de lutte contre la précarité.
« Comme beaucoup de pays du Sud souffrent en même temps d’une crise de gouvernance, il n’y a pas de solution dans le court terme pour parer à une telle catastrophe », analyse Bertrand Badie, qui considère que « plus que jamais on a besoin d’une réaction énergique du système international, passant par une annulation des dettes des pays en développement, une réactivation des objectifs du Millénaire pour le développement (6) et un renouvellement profond des méthodes de gouvernance mondiale associant les acteurs locaux au processus de solution. »
« Il faut à la fois des solutions locales et des politiques globales », estime, pour sa part, Émilie Johann responsable du plaidoyer international au Secours Catholique. « Pour lutter contre l’aggravation de la pauvreté, il va falloir améliorer la résilience des personnes et mieux protéger leurs droits, notamment le droit d’avoir un revenu décent et le droit à l’alimentation, développe-t-elle. La décennie à venir est cruciale pour accélérer la lutte contre les inégalités et aussi pour lutter contre les changements climatiques qui exacerbent la vulnérabilité des personnes. »
Car la menace qui pèse sur le monde entier n’est pas que virale, elle est aussi sociale et climatique. Et dans tous les cas, ce sont les plus pauvres qui sont en première ligne.