Éducation : la réussite pour et par tous
Cela passe par l’école mais aussi par la construction de liens amicaux et sociaux, par l’ouverture à des activités culturelles, créatives ou sportives qui enrichissent, et par la consolidation de l’estime et de la confiance en soi et en ses capacités, pour tous les enfants et tous les parents.
C’est l’ambition d’une éducation pour et par tous en faveur de laquelle le Secours Catholique agit.
Je, tu, il, nous éduquons
Les difficultés des familles pèsent sur la réussite scolaire des enfants et entraveront leur épanouissement, une fois devenus adultes, dans la société. Pour réduire ces inégalités, le Secours Catholique contribue à développer les liens sociaux autour des enfants et à accompagner les parents.
« Comment un enfant peut-il bien apprendre à l’école quand il est hébergé à l’hôtel avec six personnes de sa famille dans une pièce de 15 m² ? »
Dans son rapport “Grande pauvreté et réussite scolaire”, Jean-Paul Delahaye (il est alors, en 2015, inspecteur général de l'Éducation nationale) met en relief une réalité : les inégalités sociales nourrissent les inégalités scolaires.
La France est même l’un des pays où les conditions socio-économiques pèsent le plus sur les performances des élèves.
Ce constat débouche sur une triste équation : les enfants pauvres, ayant plus de risques de se retrouver en échec scolaire, ont aussi plus de risques de devenir des adultes pauvres, dans une société où le diplôme ouvre les portes du marché du travail.
Responsable du département Solidarités familiales au Secours Catholique, Brigitte Alsberge identifie plus précisément deux sources d’inégalités.
« Il y a, d’une part, les conditions de vie de l’enfant : l’absence d’espace pour travailler, de livres à la maison, l’isolement et le manque de reconnaissance sociale des parents qui influe sur la confiance en soi, énumère-t-elle. D’autre part, il y a les conditions financières de la famille qui empêchent l’accès à des espaces éducatifs extérieurs à l’école : les vacances, les sorties, les activités… »
Pour le Secours Catholique, l’éducation ne saurait en effet se réduire à la scolarité.
« Éduquer vient du latin “ex ducere”, qui signifie mener au dehors, rappelle Brigitte Alsberge. C’est travailler au développement harmonieux de la personne afin qu’elle trouve sa place dans la société. »
Pour qu’une telle éducation soit possible, « certaines conditions sont nécessaires, poursuit-elle, pour permettre aux enfants de bien grandir, et aux parents d’exercer pleinement leur rôle ».
Ces conditions, le Secours Catholique, avec d’autres, essaie de les favoriser. L’accompagnement à la scolarité vise à redonner envie et confiance aux enfants et à épauler les parents dans leur dialogue avec l’école.
L’association aide les familles à partir en vacances afin qu’elles y trouvent ressourcement et liens nouveaux. Elle permet à des enfants de faire l’expérience du vivre-ensemble dans des camps d’été et de découvrir de nouveaux horizons au cours de séjours dans des familles de vacances.
« il voit autre chose que ce qu'il vit d'habitude »
« Nous aidons Léo à être plus autonome », témoigne Claudine Gicqueau, qui accueille chaque été dans la région nantaise un garçon de dix ans qui vit avec sa mère et sa fratrie dans un quartier populaire francilien. « Il participe à notre quotidien, aux pique-niques entre amis, aux réunions de famille… L’important, c’est qu’il voie autre chose que ce qu’il vit d’habitude. »
« Un enfant a besoin d’une diversité de relations pour grandir, c’est naturel », souligne Geneviève Juguet, responsable de l’équipe parrainage de proximité du Secours Catholique à Angers, qui met en contact parents et enfants au sein d’un “réseau de solidarité”.
Comme peut le faire une tante, un cousin ou un grand-parent, « un parrain vient agrandir l’espace relationnel de l’enfant, explique-t-elle. Il échange avec le parent sur les questions éducatives, tout en lui laissant toute sa place ».
lever les empêchements liés à la précarité
Le manque de confiance des parents dans leurs propres savoir-faire éducatifs est une des conséquences des difficultés sociales et financières.
« Il faut lever les empêchements liés à la précarité, afin que les parents puissent devenir les parents qu’ils souhaitent être », explique Élisabeth Michel, directrice de la Maison des familles de Grenoble, fondée par le Secours Catholique en partenariat avec la fondation Apprentis d’Auteuil.
« Nous travaillons sur l’intériorisation de la disqualification sociale qui fait que, par exemple, des parents n’osent pas rencontrer les enseignants. Nous essayons d’alimenter leur estime d’eux-mêmes et de tisser des liens de solidarité entre familles. »
« C’est un lieu où l’on prend en compte mes compétences, sans jugement », témoigne Wahiba, 31 ans, qui fréquente la maison depuis quatre ans. « Je prends le temps de jouer avec mes trois enfants, d’aller au parc, au cinéma… ce que je faisais très peu avant. »
Des actes éducatifs simples, que sa situation administrative et financière empêchait. « Dans ma tête, c’était bloqué. Je pensais que les sorties, les loisirs, c’était pour les autres. Aujourd’hui, j’ai réussi à me dire que la vie continue malgré les soucis, que je suis capable de m’occuper de mes enfants. C’est un grand changement. »
Wahiba est devenue bénévole. Aux réunions avec les enseignants, c’est désormais elle l’accompagnante.
« LE DÉFI DES ENSEIGNANTS EST DE S’ADAPTER À CHAQUE ENFANT. »
Marie-Aleth Grard, vice-présidente d'atd quart monde
Marie-Aleth Grard a été rapporteur devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese) en mai 2015 d’un avis intitulé « Une école de la réussite pour tous ».
En quoi le système scolaire français est-il inégalitaire ?
Le système scolaire français permet difficilement aux enfants de milieux défavorisés de réussir à l’école. Ils arrivent à l’école maternelle avec un déficit de 1 000 heures d’écoute d’histoires. Toute une socialisation n’a pas eu lieu.
Dans notre système scolaire obligatoire, 3 millions d’enfants sont issus de familles vivant sous le seuil de pauvreté. Et 1,2 million d’entre eux vivent dans la grande pauvreté. Les familles de ces enfants ont des soucis d’éducation, de santé, de logement, d’emploi.
Au quotidien, elles ne savent pas si elles pourront nourrir leurs enfants le soir. ATD Quart Monde est préoccupé par l’orientation dès le plus jeune âge des enfants de milieux défavorisés.
Des enquêtes de l’Éducation nationale montrent que 84 % de ces enfants sont orientés vers une Section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) au sortir de l’école primaire.
Dans ces classes spécialisées, il y a moins d’élèves, mais elles ne permettent pas aux jeunes d’acquérir le socle commun de compétences, de connaissances et de culture que les autres élèves acquièrent au collège et au lycée.
Que préconisez-vous pour réduire ces inégalités ?
Avec l’Éducation nationale et des personnes ayant l’expérience de la grande pauvreté, des programmes (auxquels j’ai contribué) ont été mis en place, il y a trois ans, à l’école maternelle. Ils sont centrés sur le jeune enfant, sur sa socialisation, sur ce qu’il est, lui, et sur ce qu’il est dans le groupe.
Un autre moyen de réduire les inégalités passe par la formation des enseignants. Le défi des enseignants est de s’adapter à chaque enfant. Mais quand vous avez une classe de 30 enfants, chaque élève est différent.
L’enseignant doit avoir une pédagogie différenciée pour faire entrer chaque enfant dans les apprentissages.
Pour cela, les enseignants ont besoin de formations, initiales et continues. Ils en manquent. Il leur faudrait notamment une formation à la connaissance des différents milieux sociaux. Les enseignants n’habitent plus les quartiers où ils enseignent. Ils ne comprennent pas les réactions des enfants.
D’où la nécessité d’aller visiter les quartiers où ils vivent, de comprendre ce qu’ils vivent, de rencontrer leurs parents. Les enseignants doivent être soutenus par leur institution pour être encore mieux formés.
La relation enseignant-parents d’élèves est importante aussi.
Très importante. Nous encourageons ces relations. Dans l’école d’un quartier où les parents d’origine étrangère n’allaient pas rencontrer les enseignants, ces derniers les ont invités en leur envoyant un carton d’invitation personnelle où ils précisaient qu’un traducteur faciliterait leurs échanges.
Tous les parents sont venus, même ceux qui vivaient séparés ou loin, notamment les papas. Les enseignants leur ont proposé, tour à tour, d’assister pendant une demi-heure aux cours afin de regarder comment ça se passe. Immense fierté des parents qui nous ont dit : « C’est la première fois que je suis reconnu comme le premier éducateur de mon enfant. »
Lorsque l’enseignant a besoin de revoir les parents, ils reviennent. Quant aux enfants, ils sont fiers de voir leurs parents parler d’adulte à adulte avec leurs maîtres.
Et le soir, quand ils rentrent de l’école, leurs parents leur demandent comment cela s’est passé à l’école. Plus que les autres, ces parents attendent que l’école offre à leurs enfants un meilleur avenir que le leur.
Le temps des loisirs, un enjeu essentiel
Dans les familles en précarité, l’accès des enfants au sport et à la culture est-il secondaire ? Au contraire, répond le Secours Catholique, c’est un enjeu essentiel.
À 35 ans, Magali vit à La Pacaudière, un petit village situé à une trentaine de kilomètres de Roanne, dans la Loire.
Allocataire du RSA, mère de quatre filles, elle se débrouille chaque mois avec un peu moins de 1000 euros pour cinq. Alors, pour ne pas finir dans le rouge, elle calcule tout, fait attention à chaque dépense.
Malgré ce budget serré, elle prévoit tous les ans l’inscription de ces filles à une activité extrascolaire. Cette année, par exemple, les deux plus grandes font de la danse. Cela lui revient à une centaine d’euros pour chacune.
Une dépense qui n’est pas anodine mais sur laquelle la jeune femme ne veut pas faire l’impasse.
« C’est important pour que mes filles se défoulent, évacuent leur énergie, le stress, les soucis de la maison, explique-t-elle. Pour qu’elles passent aussi un moment à elles, hors de l’école, hors de chez nous. Qu’elles rencontrent d’autres personnes. »
moments d'émancipation
Ce temps extrascolaire, aussi appelé « tiers temps », est au cœur des réflexions du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), auquel collabore le Secours Catholique et qui a une mission d’expertise auprès des pouvoirs publics.
L’organisme s’est penché en 2017 sur l’importance de ces moments « d’émancipation et de dépassement de soi ».
Au Secours Catholique, on en est convaincu. « Il arrive que nous participions financièrement, via la commission des aides, à l’inscription d’un enfant à un club de sport ou un cours de musique ou à l’achat de l’équipement nécessaire », explique Dominique Puille, animatrice dans le Loiret.
Dans l’Essonne, les bénévoles de l’accompagnement scolaire incitent systématiquement les familles à inscrire leurs enfants à une activité sportive ou culturelle. Ils les renseignent sur les offres existantes et sur les possibilités de financement.
« Souvent, les parents veulent que leurs enfants réussissent, mais n’ont pas le temps de se préoccuper de ce genre de choses », constate Chantal Thomas, responsable au service enfance. Or, pour elle comme pour Dominique Puille, ce temps extra familial et extra scolaire est majeur pour les chances de réussite de l’enfant.
« C’est une super école de la vie. On y apprend à partager, à sociabiliser, à être collectif. On y apprend à respecter des limites, des règles du jeu, à s’affronter à l’autre sans se battre. »
voir la vie en plus grand
C’est aussi, selon les deux femmes, un moment où l’enfant va être valorisé et va s’épanouir en découvrant qu’il sait faire des choses. « Cela permet de voir la vie en plus grand, de se dire qu’on peut oser, confirme Marie Raynal, animatrice à Paris. Particulièrement pour des enfants qui se voient trop souvent en échec. »
Ouvrir des perspectives, c’est également dans ce but que de nombreuses équipes du Secours Catholique organisent des sorties au cinéma, au musée ou à la médiathèque.
« Le premier enjeu est de faire sortir les jeunes d’un quartier qu’ils ne quittent jamais, explique Gwenaël Seibel, animatrice en Seine-Saint-Denis. Le second est de leur rendre accessible ces lieux de culture qu‘ils n’imaginent pas faits pour eux. »
Aider ainsi l’enfant à se construire, conclut Chantal Thomas, « c’est vital ».