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Un bénévole accompagne un jeune homme dans l'utilisation d'un ordinateur

En Isère, le numérique pour tous

Thématique(s)
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10 minutes
Isère
Chapô
Dématérialisation des services publics, omniprésence du numérique dans notre quotidien… pour de nombreuses personnes, la numérisation croissante se vit parfois à marche forcée. En Isère, les équipes du Secours Catholique se mobilisent pour lutter contre cette fracture. Dans les villages isolés du département, des ateliers mobiles sont organisés, tandis que des formations au long cours ont lieu à Grenoble. Objectif : familiariser les personnes avec l’utilisation des outils numériques afin de les mener vers plus d’autonomie. Reportage.
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Texte

Beaurepaire, à une soixantaine de kilomètres de Grenoble. Bernard observe, perplexe, l’écran de son smartphone. Sur l’appareil sont affichés les mails de sa boîte de réception. « Il y a des messages auxquels j’aimerais répondre, mais je ne sais pas comment faire. Moi, à part ma truelle et ma taloche, je n’y connais rien ! » admet cet ancien maçon de 61 ans.

En cet après-midi de juin, Bernard, sa femme Dominique, ainsi qu’une dizaine d’autres personnes, sont venues assister à l’atelier numérique qui se tient à la permanence du Secours Catholique. Dans la salle principale, toutes et tous sont attablés devant un écran d’ordinateur portable. Ce jour-là, la séance est dédiée à la compréhension et l’utilisation des courriers électroniques.

ateliers mobiles

« Tout d’abord, vous devez vous créer un compte : je vais vous montrer », indique Laurence à l'attention de la petite audience, tandis qu’un vidéoprojecteur affiche l’écran de son ordinateur sur le mur. Avec un autre bénévole, cette ancienne cheffe de projet en informatique, désormais retraitée, anime depuis deux ans ces ateliers numériques mobiles à travers le département. « Nous nous rendons dans communes isolées pour permettre aux personnes qui le souhaitent de se familiariser avec l’utilisation de l’ordinateur et du smartphone, précise-t-elle. Nous leur expliquons ce que sont le réseau Internet, le Bluetooth, les mails, les logiciels de bureautique… et nous leur montrons comment s’en servir. »

Laurence, ex cheffe de projet informatique, anime bénévolement les ateliers hebdomadaires.

Depuis sa création en 2022, l’équipe s’est rendue dans cinq communes, dans un rayon d’une heure de route de Grenoble. « Dans chaque lieu visité, les ateliers se déroulent sur plusieurs semaines, à raison de deux heures hebdomadaires, poursuit Laurence. Et nous emportons avec nous des ordinateurs portables pour les prêter aux personnes qui n’en possèdent pas. » 

« Un mot de passe de huit caractères ; ne pas oublier le mot de passe ! » Sur un carnet aux pages noircies de notes, Andrée écrit rigoureusement chaque information énoncée lors de l’atelier. « Je viens ici pour que mon ordinateur n’ait plus de secrets pour moi », témoigne la sexagénaire. Comme elle, la plupart des participants n’ont jamais appris à se servir de l’informatique. Or, face à la dématérialisation des services publics et l’omniprésence du numérique dans notre quotidien, la maîtrise de ces outils devient indispensable.

« Pour les personnes qui ne savent pas utiliser les outils numériques, il y a un sentiment de mise à l’écart », témoigne Laurence. 

« Maintenant, pour les démarches, on nous oblige à faire sur Internet », constate Claire. Cette ancienne couturière de 64 ans assiste aux ateliers de Beaurepaire depuis plusieurs semaines. Elle se souvient des difficultés qu’elle a rencontrées lors de ses démarches pour faire obtenir sa pension de retraite : « Je devais tout faire en ligne mais je me suis plantée car je ne savais pas envoyer une pièce jointe. Et c’est la même chose avec mes démarches pour la Caisse d’allocations familiales. Dans ces moments-là, je me sens démunie », déplore-t-elle.

Désemparées

« Le numérique simplifie la vie de beaucoup de gens, mais pour les personnes qui ne sont pas à l’aise, cela rajoute une difficulté, complète Laurence. Nombre de démarches administratives s’effectuent sur Internet désormais. Mais aussi des tâches du quotidien comme l’achat de billets de train ou la consultation des horaires de bus. Ces manipulations nécessitent parfois de se créer un compte avec un mot de passe. Et les personnes peuvent vite se sentir désemparées. »

Afin de sortir de l’impasse, Claire s’est rendue à l’espace France Services de Beaurepaire. Ces structures publiques proposent aux personnes qui le souhaitent une assistance dans leurs démarches administratives. « Là-bas on m’a beaucoup aidée, reconnaît Claire. Mais on a tout fait à ma place et si je devais le refaire seule, j’en serais incapable, regrette-t-elle. Le numérique c’est bien : il faut vivre avec son temps. Mais il faut qu’on nous explique comment cela fonctionne ! » C’est la raison pour laquelle Claire se rend aux ateliers numériques du Secours Catholique. « Ces séances me permettent de comprendre ce que je ne comprends pas ! » résume-t-elle.

Le numérique, il faut le populariser !

« Nous guidons les personnes dans un climat de confiance et sans jugement afin qu’elles se sentent capables et fières d’elles-mêmes, indique Laurence. La plupart viennent avant tout pour devenir plus autonomes. » C’est le cas de Chantal, 70 ans, qui a participé aux ateliers numériques dans la ville de Le Grand Lemps, située à quarante kilomètres de Grenoble. 

Après le récent décès de son mari, Chantal a dû affronter seule les démarches administratives en ligne. « C’est mon mari qui allait sur Internet et qui connaissait tous les mots de passe, confie-t-elle. Mais depuis qu’il est parti, on me demande de transmettre des tas de documents et il faut remettre à mon nom tout ce qui était au sien… C’est la galère ! » Les ateliers du Secours Catholique ont permis à Chantal d’apprendre à naviguer sur Internet, écrire un texte ou encore à se retrouver dans ses mots de passe. « Il faut que j’apprenne car je suis seule désormais ». Si elle se sent plus à l’aise, la septuagénaire demande toujours de l’aide à ses enfants ou auprès de France Services car elle a « peur de faire des erreurs. »

Au-delà des compétences requises pour maîtriser les outils, le coût de l'équipement constitue une autre barrière à l’accès au numérique. Les retraites modestes de Dominique et Bernard ne leur rapportent que quelques centaines d’euros chaque mois. « Pour l’instant on n’a pas d’ordinateur car c’est trop cher. Pourtant, ce serait pratique pour stocker mes documents, les imprimer, chercher du travail… avoir plus d’indépendance ! témoigne Dominique, qui souhaite retrouver un emploi. L’informatique, il faut le populariser ! » 

Bernard et Dominique (à gauche et au centre) n’ont pas les moyens de s’acheter un ordinateur. « Avant on avait du courrier et on pouvait trier. Mais maintenant tout est là-dessus », regrette Bernard. 

« Le prix du matériel représente une difficulté supplémentaire, confirme Laurence. Nous renvoyons celles et ceux qui souhaitent s’équiper vers une boutique d’ordinateurs reconditionnés. Mais le coût reste élevé pour les personnes avec peu de moyens. » En attendant d’avoir leur propre machine, Dominique et Bernard suivent les ateliers avec un ordinateur prêté par le Secours Catholique afin d’apprendre à s’en servir. « Pour moi, il y a du boulot ! » lance Bernard. « Il rame ! » raille Dominique.

Pendant ce temps, à Grenoble, d’autres participants à la formation aux outils numériques du Secours Catholique viennent d’arriver dans les locaux de l’association pour leur dernier cours. Réunis dans la salle principale, où une quinzaine de postes informatiques sont disposés, les trois élèves écoutent les consignes de Jacques, bénévole, pour le test final. « Vous allez devoir créer un document de traitement de texte dans lequel vous écrirez ce que vous avez pensé de cette formation avant de me l’envoyer par mail, annonce-t-il. Le but est de mettre en pratique ce que vous avez appris. »

« J’ai révisé avant de venir mais je suis un peu stressé », avoue Noah, 34 ans, tout en allumant son ordinateur. D’origine congolaise, le jeune homme a fui son pays et est arrivé en France il y a 2 ans. Il suit cette formation numérique depuis le premier cours. « Avant de venir, je ne savais pas utiliser l’ordinateur et je faisais tout sur mon téléphone portable, indique-t-il. Ici, j’ai beaucoup appris et les bénévoles expliquent bien. » Après quelques clics hésitants, Noah ouvre le logiciel de traitement de texte, se penche sur son clavier et commence à taper.

Noah, 34 ans, vient du Congo. « Mon souhait est devenir chauffeur poids lourd, indique-t-il. Et pour cela j’ai besoin de l’informatique, notamment pour chercher du travail. »

Comme lui, la majorité des participants à cette formation sont des personnes migrantes. Toutes viennent apprendre à se servir de l’outil informatique dans un but bien précis : s’intégrer en France. « Nous proposons ces séances depuis une quinzaine d’années à Grenoble. À travers 10 cours, les personnes apprennent le fonctionnement du clavier, la navigation sur Internet, les logiciels de bureautique… énumère Jean-Claude, bénévole. À la fin, si elles réussissent le petit test, nous leur remettons une attestation. Pour elles, c’est important car elles peuvent faire valoir cette formation lors de leur parcours d’insertion ou leurs recherches d’emploi. »

J'aimerais approfondir ce que j'ai appris.

M’Mahawa, 27 ans, vient de terminer son texte. Tandis qu’elle clique sur le bouton "Envoyer", elle esquisse un sourire. « J’étais anxieuse mais maintenant que je l’ai fait je suis contente », confie-t-elle. La jeune femme est originaire de Guinée Conakry. Victime de persécution, elle a entamé un périlleux parcours pour venir se réfugier en France. À son arrivée, elle savait à peine démarrer un ordinateur. « J’ai appris comment utiliser la souris, le clavier, envoyer des mails… tout cela me sera très utile pour trouver du travail, explique M’Mahawa, qui voudrait devenir caissière dans un supermarché. Et j’aimerais me procurer un ordinateur pour approfondir ce que j’ai appris. »

M’Mahawa participe à la formation depuis le premier cours. Elle espère que ses nouvelles compétences en informatique lui permettront de trouver un emploi et de s’intégrer. « Si on m’accepte, confie-t-elle, j’aimerais rester en France. »

« Beaucoup de participants n’ont pas les moyens de s’acheter un ordinateur, poursuit Jacques. Alors nous les incitons à venir ici. » De fait, la vaste salle de l’association fait office de cybercafé et tous les postes informatiques sont accessibles en libre-service.

« Vous nous avez fait de très beaux textes », complimente Jacques, après avoir lu quelques extraits dans lesquels les participants remercient chaleureusement le dévouement des bénévoles durant la formation. Pendant ce temps, Jean-Claude remet les attestations. 
 

Tous les participants ont réussi le test final et ont reçu leur attestation. 

« Je suis heureuse et je me sens super bien » se réjouit Dorcas, 25 ans, tout en regardant avec fierté son certificat. « Elle a fait beaucoup de progrès », note Jean-Claude. Arrivée en France il y a trois ans, cette Congolaise a pour projet de devenir contrôleuse dans les trains. « Je savais utiliser mon téléphone, mais cela ne suffit pas pour chercher du travail », indique-t-elle. Comme toutes les personnes qui font la démarche de se former aux outils numériques, Dorcas est lucide : « De nos jours, on ne peut plus se passer de l’ordinateur. »

 L'aide numérique à Aix-en-Provence

trois épisodes du Podcast Parcours

Crédits
Nom(s)
Dimitri Partouche
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Roberta Valerio
Fonction(s)
Photographe
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