Inondations : avec les sinistrés du Pas-de-Calais
Sept mobil-homes se sont ajoutés sur le parking du camping l’Hermitage à Helfaut (Pas-de-Calais). Un tricycle rose repose contre une table sur une terrasse de l’un d’entre eux. Cloé, 26 ans, vit là avec son conjoint et leurs deux enfants, Isobel et Cameron. Ils ont quitté leur maison de 80m2 à Blendecques dès la première inondation, le 11 novembre 2023. « Comment dormez-vous ? », interroge Pascaline, bénévole au Secours Catholique. « Mieux, explique la jeune femme, mais mes enfants ont mis du temps à retrouver leur rythme ». Cameron, 5 mois, gazouille à ses côtés. Cloé confie avoir eu du mal à l’allaiter, « la faute au stress ».
Lors de la première inondation, l’eau est montée à près d’un mètre quarante, ravageant le rez-de-chaussée. « On a sauvé les affaires des petits et les appareils électroménagers. Ma fille me demandait tout le temps si on avait perdu ses jouets », raconte la jeune femme. Literie, salon, cuisine, réserves de nourriture : tout a été noyé. « C’est dur de voir détruit tout ce pourquoi on a travaillé », explique la jeune femme.
Sans logement, Cloé et sa famille ont pu compter sur son frère à Dunkerque pour les accueillir pendant deux mois. « C’était sympa pour les fêtes mais c’était dur pour mon frère de se retrouver avec nous et les enfants. » Finalement, au mois de janvier, Cloé a trouvé ce mobil-home via les réseaux sociaux. La famille vit désormais dans un espace réduit de 40m2, peu adapté aux températures encore froides en ce mois de mars. Un radiateur à bain d’huile chauffe la pièce principale. Pascaline s’inquiète de l’état psychologique de la famille. « C’est surtout ma fille, ça la travaille beaucoup, mais on en discute et il y a une psychologue à l’école », rassure la mère de famille.
Leur relogement a un coût. La famille a été indemnisée uniquement pour les dégâts de la première inondation mais l’assurance paie le loyer dans le camping pour six mois : 630 euros mensuels, sans compter l’eau et l’électricité qui restent à la charge du couple. « Mon conjoint vérifie tous les jours l’état de la maison. Les murs sont presque secs », détaille Cloé. Les travaux ont été commandés mais n’ont pas encore commencé. Malgré tout, il leur est difficile de se projeter. « Pourra-t-on revenir chez nous avant l’été ? », s’interroge-t-elle. Les sinistrés devront quitter le camping au début de la saison touristique, fin avril.
Mon fils vérifie l’état de ma maison tous les jours et m’apporte le courrier, mes petits-enfants viennent aussi.
Dans le camping, d’autres relogés viennent de Blendecques car plus de 800 personnes sur 5 000 ont été touchées par les crues, à deux voire trois reprises dans ce village. C’est le cas de Jacqueline, 84 ans. L’eau est montée jusqu’à un mètre dans sa maison. Elle a rapidement été hébergée par ses proches, à tour de rôle, avant de s’installer ici il y a un mois. L’octogénaire, troisième d’une fratrie de onze, est bien entourée. « Mon fils vérifie l’état de ma maison tous les jours et m’apporte le courrier, mes petits-enfants viennent aussi », sourit Jacqueline.
Un soutien familial essentiel, qui rassure les bénévoles. « Avez-vous besoin d’une aide matérielle, d’électroménager ? », demande Pascaline. « Ma famille m’a fait don d’un salon et d’une cuisine, tout est stocké dans un garde-meubles mais j’aimerais bien une télé », précise Jacqueline. Pascaline inscrit sa demande dans le dossier de visite qui sera adressé à une commission des aides, spécialement créée par le Secours Catholique pour répondre aux besoins des sinistrés. En cas de réponse positive, Jacqueline recevra un bon lui permettant d’acheter une télévision dans un commerce partenaire.
Même si Jacqueline se dit reconnaissante de ce logement, il n’est pas bien adapté et elle craint de glisser dans la douche. « Je n’ai plus mon jardin, j’aimerais rentrer dans ma maison », ajoute-t-elle dans un sanglot.. Pascaline pose délicatement sa main sur son bras. Elle lui propose d’appeler un numéro pour recevoir la visite des équipes de l’Institut Saint-Vincent, un mouvement bénévole qui vient à la rencontre des personnes âgées, en partenariat avec l’Église catholique. Jacqueline acquiesce puis reprend sa place sur la chaise en face de la TV dont est équipé le mobil-home. « Ça m’a fait plaisir de vous voir », lance-t-elle. Elle retourne à l’observation des voitures qui passent sur la D210 en lisière de forêt.
Pour cette troisième semaine d’intervention, les équipes du Secours Catholique se concentrent sur les communes autour de Saint-Omer. « L’important, c’est de passer du temps avec les personnes, d’être à leur écoute. Nous ne sommes pas dans une logique quantitative d’un nombre de visites à effectuer », rappelle Olivier Charlier, salarié et responsable de l’encadrement des dix bénévoles de la semaine. Ces derniers agissent en binômes, et disposent d’un dossier avec une carte des rues à sillonner.
Serge et Elisabeth roulent en direction de Clairmarais. « Ici, c’était la mer, on ne voyait que de l’eau », indique Serge, pointant du doigt le paysage qui défile. Le territoire se trouve en partie sur le delta de l’Aa, une zone de marais où cohabitent cultures maraîchères et maisons aux toits à deux versants, typiques de l'Audomarois. Le long des canaux, les stigmates des inondations sont encore visibles. Des maisons aux rideaux baissés sont à l’abandon. Restent les sacs de sable distribués en catastrophe par la mairie et de nombreux meubles qui jonchent les jardins. Ici et là, des maisons et des voitures sont encore marquées d’une couleur jaunâtre, signe du passage dévastateur de l’eau.
on est des sacrifiésDe l’autre côté d’un watergang, fossé destiné à réguler l’eau des marais, un homme enlève des restes de béton, brisé par la puissance de l’eau. Hervé, ancien ouvrier de la cristallerie d’Arques, vit dans sa maison de maraîchers depuis 22 ans. En novembre dernier, il a vu l’eau monter de 40 cm. Alors il a investi, à ses frais, dans des batardeaux (barrières anti-inondation) et des pompes. Mais cela n’a pas suffi pour retenir l’inondation suivante. Dans le studio qui jouxte sa maison, des ventilateurs et un déshumidificateur fonctionnent en continu depuis un mois.
« En s’installant ici on savait que la zone était inondable mais on doit mieux se protéger ! », déplore le retraité. « Dans le marais, on est des sacrifiés », ajoute-t-il. Des placards gondolés, un radiateur et des fauteuils sèchent dans son jardin. Hervé les laisse en attendant la venue de l’expert pour estimer les pertes. Pourtant, ces deux crues historiques ne feront pas déménager le natif de Saint-Omer qui dit ne pas avoir besoin d’aide financière. Même si « le moral est bon », il garde le numéro d’urgence du Secours Catholique donné par Elisabeth. La ligne restera ouverte pendant un an.
En cas d’absence, les bénévoles laissent des avis de passage dans les boîtes aux lettres. La semaine précédente, plus de 300 de ces avis ont été déposés autour de Saint-Omer, donnant lieu à 7 « revisites ». Olivier en confie une à Arnaud et Elisabeth : « Vous allez à Blendecques pour une dame de 77 ans, c’est son fils qui a appelé ». Quand les deux bénévoles arrivent, Chantal et son fils, Didier, se trouvent dans le salon. La tapisserie arrachée dévoile les cloisons abîmées par 30 cm d’une eau qui a stagné plusieurs jours. Didier montre les photos sur son téléphone : le jardin de sa mère est un lac, le quartier est à moitié englouti. Il a racheté l’ensemble de la cuisine, qu’il a montée à l’étage lors de la seconde inondation.
L’assurance a en partie indemnisé Chantal pour des travaux estimés à 13 000 euros. Ils devraient débuter la semaine prochaine. Pendant que son fils détaille la situation, la septuagénaire reste silencieuse. « Elle a toujours été solitaire », justifie son fils. Arnaud et Elisabeth suggèrent un accompagnement psychologique, sans insister. « Je pense qu’elle a besoin d’un réconfort moral, même si ses enfants sont présents », analyse Elisabeth en sortant. La bénévole lilloise l’inscrit sur le dossier de visite.
Quand il pleut, j’ai peurLe duo finit de quadriller un autre secteur de Blendecques. Ici, l’Aa se divise en deux canaux : la Haute-Meldyck et la Basse-Meldyck. Le niveau de l’eau a baissé mais le débit de la rivière reste puissant. « Quand il pleut fort, j’ai peur, c’est un traumatisme. Je sors et je vérifie si l’eau monte », confie Sylviane, sur le pas de la porte. La sexagénaire héberge sa fille, son gendre et son petit-fils depuis plus d’un mois. Erwan, 5 ans, lui donne « du baume au cœur » mais vivre à trois générations sous un même toit n’est pas facile. « J’aimerais retrouver mon intimité », explique Sylviane. Elle patiente également depuis janvier pour recevoir l’indemnisation de l’assurance, son salon en chêne et sa cuisine ont été détruits par 20 cm d’eau. Elle aussi glisse le numéro du Secours Catholique dans sa poche.
Futur incertain
Après le traumatisme des inondations, le poids des démarches administratives pèse sur le moral des habitants. Le 12 mars, la préfecture a mis en place une cellule d’écoute pour répondre aux difficultés rencontrés par des sinistrés avec leur compagnie d'assurances et face aux conséquences des inondations (psychologiques, expropriation, etc.). Dans les rues de Blendecques, les panneaux « À vendre » se multiplient. « Qui voudra encore habiter ici ? », s’interroge un couple résidant juste derrière l’Aa.
Sensée protéger le quartier, la digue n’a pas tenu pendant les crues et n’a été renforcée que le 18 janvier. Mais l’inondation est aussi venue du sol. « Les pluies ont entraîné une saturation et un débordement des nappes phréatiques, certaines maisons sont construites à côté », affirme le couple qui parle d’un « carnage ». Certains voisins ont déjà quitté les lieux. D’autres espèrent l’expropriation et voir leur maison rachetée par l’État grâce au fonds Barnier.
Avenant et jovial, Arnaud n’hésite pas à interpeller les passants pour s’assurer que tous sont au courant de la présence du Secours Catholique. L’accueil est chaleureux même si beaucoup refusent poliment l’aide proposée. « Je me sens utile ! », s’exclame Arnaud. Venu de Canet-en-Roussillon, il a entamé sa deuxième semaine auprès des sinistrés du Pas-de-Calais. « L’humeur change, la semaine dernière c’était plus choquant. J’ai rencontré un couple de sexagénaire qui a eu un mètre soixante-dix d’eau dans la maison… , témoigne le bénévole. La dame mesure un mètre cinquante ! Ils n’ont plus que trois chaises, une table et une bouilloire pour boire leur chicorée ».
De retour à Saint-Omer, les encadrants font un compte-rendu quotidien avec les cinq binômes. « Leur bien-être est essentiel, on les questionne d’abord sur cela », explique Jacques Clauzon, responsable bénévole du poste de commandement opérationnel. Ensuite, chaque dossier est décortiqué. Aujourd’hui, deux seront transmis à la commission d’aides. « Du beau boulot ! », félicite Olivier Charlier. En trois semaines, les équipes des bénévoles ont visité plus de 250 foyers. Au total, 313 villages ont été reconnus en état de catastrophe naturelle dans le Pas-de-Calais pour les deux crues et leurs conséquences. Les équipes Urgences resteront à Saint-Omer jusqu’à la fin avril.
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