Israël / Palestine : faire vivre l'espoir
Ouvrir des brèches
En Israël comme en Palestine, les partenaires du Secours Catholique voient les sociétés se scléroser sous l’impact d’un contexte politique délétère. Face à cette situation, ils travaillent à ouvrir des espaces de liberté et d’initiative.
Échec des négociations de paix, poursuite de la colonisation, blocus de Gaza, divisions entre Palestiniens, montée de l’extrême-droite israélienne… Au Proche-Orient, le contexte politique de ces dernières années pèse sur les populations. Les partenaires israéliens du Secours Catholique décrivent ainsi une société de plus en plus crispée.
« Il y a vraiment eu un changement depuis 2009, l’opération “Plomb durci” menée contre Gaza et la parution du rapport Goldstone [rendu aux Nations unies en 2009 par le juge sud-africain Richard Goldstone dénonçant, à partir d’informations fournies par des organisations israéliennes, des crimes de guerre commis par l’armée israélienne à Gaza.] », considère Dana Moss, chargée de plaidoyer pour Physicians for Human Rights, une ONG israélienne qui défend l’égalité devant l’accès aux soins.
peur et xénophobie
C’est depuis ce moment, explique la jeune femme, que le gouvernement de Benyamin Netanyahou a commencé à accuser les organisations israéliennes de défense des droits humains d’être contre Israël. Ce discours sur les « traîtres de l’intérieur » s’est traduit par des mesures visant à décrédibiliser ou censurer ces ONG en les obligeant, par exemple, à préciser leurs financements venant de l’étranger, ou leur interdisant d’intervenir dans les écoles.
Il a aussi trouvé un écho important dans l’opinion. « C’est de plus en plus dur, confie Dana Moss. Quand je prends un taxi ou que je vais chez le coiffeur, je n’ose plus dire ce que je fais. » La guerre contre Gaza en 2014 et les violences qui ont secoué Jérusalem à l’automne 2015 ont encore exacerbé le ressentiment envers les Palestiniens.
Sarit Larry, codirectrice de l’association Mahapach-Taghir (“Changer les règles du jeu”, en hébreu et en arabe), regrette un climat de peur et de xénophobie croissant qui « affecte les programmes éducatifs, les règles de droit, la culture et les médias. Il redéfinit les limites de ce qui est acceptable et juste ».
conserver des espaces de pensée critique
Becca Strober, de l’association Sadaka-Reut (“Amitié”, en arabe et en hébreu), le confirme et donne comme exemple le regard porté par les Israéliens sur la colonisation : « Aujourd’hui, il est presque positif. Cela aurait été inimaginable il y a dix ans. » Pour Sarit Larry, le danger est réel de voir l’espace démocratique se rétrécir, les violences se multiplier, et peu à peu la possibilité d’une société partagée et égale disparaître.
C’est dans ce contexte que Mahapach-Taghir et Sadaka-Reut agissent dans les communautés juive et palestinienne d’Israël, auprès des femmes et des jeunes. Elles travaillent avec eux sur les questions d’identité, de discrimination et d’oppression, et leur apprennent à s’organiser pour défendre leurs droits.
L’enjeu est double, selon Becca Strober : « Conserver des espaces de pensée critique et d’expression alternative de plus en plus rares et maintenir des ponts entre les communautés. »
À Gaza et en Cisjordanie, si les réalités sont diverses, le même sentiment d’une société figée prédomine. Nos interlocuteurs pointent du doigt les pesanteurs causées par l’occupation israélienne : les restrictions de circulation, les tensions avec l’armée, la morosité économique et la difficulté à trouver du travail, l’injustice des colonies.
Ils fustigent aussi l’inconséquence des dirigeants palestiniens, Hamas comme Fatah, accusés d’être plus intéressés par le pouvoir que par la souffrance de leur peuple. Souvent, au gré des discussions, des jeunes et des femmes confient leur impression d’être prisonniers d’un double carcan : celui de l’occupation, mais aussi celui d’une société patriarcale pavée de tabous et d’interdits.
« Les deux sont plus ou moins liés, estime Halah Abdelhade, 25 ans. Je ne dis pas que les Palestiniens ne sont pas conservateurs, mais si notre société a tant de mal à évoluer, c’est aussi à cause des contraintes de l’occupation qui favorisent l’immobilisme. »
un futur meilleur
Cette sclérose est dangereuse, préviennent les partenaires du Secours Catholique. « Si on ne croit plus en la politique, si les notions de démocratie et de citoyenneté n’ont plus de sens, le risque, c’est la perte de responsabilité collective et la recherche d’un salut individuel », considère May Hadweh, de l’association Tam (Femmes, médias et développement), à Beit Jala, qui met en garde contre « la décomposition de la société palestinienne ».
Mahmoud Alhalimi, de l’organisation NECC (Conseil des Églises du Proche-Orient), à Gaza, insiste sur l’attention particulière à porter aux 15-25 ans, « qui sont à un croisement de leur vie et qui, sans perspectives d’avenir, peuvent facilement basculer dans la délinquance, l’action violente ou la dépression ».
Les partenaires du Secours Catholique travaillent justement à ouvrir des perspectives. Très actifs auprès des jeunes et des femmes, ils associent souvent dans leurs projets un volet économique d’accès au travail et un volet civique de défense des droits.
« Nous créons des espaces de liberté, de créativité, d’initiative. Les gens peuvent se projeter dans un futur meilleur », explique Jihad Tabo, de l’association de commerce équitable Adel, à Ramallah. « Ainsi, nous maintenons un espoir. »
« Les chrétiens ont un rôle à jouer »
Sami El-Yousef, directeur des Œuvres pontificales missionnaires pour Israël et la Palestine
Comment analysez-vous la situation politique actuelle en Israël et Palestine ?
Si je devais répondre à la question “Où est l’espoir d’une résolution politique du conflit israélo-palestinien ?”, je dirais que nous n’en avons jamais été aussi loin.
À la fois parce que les Palestiniens sont extrêmement divisés et qu’il n’y a pas de voix unies pour défendre leurs intérêts, et parce que le gouvernement israélien actuel est sans doute le plus extrémiste qu’Israël ait connu.
Les colons ont aujourd’hui la main sur l’agenda politique, et eux ne veulent pas d’une solution à deux États. Ils souhaitent un seul État, mais sans la présence palestinienne qu’ils considèrent comme un non-sens.
Cette situation politique a-t-elle un impact au quotidien ?
La séparation complète des communautés depuis quinze ans et la polarisation des positions empêchent les Israéliens et les Palestiniens d’imaginer un futur ensemble.
Le plus tragique, c’est l’impact chez les plus jeunes. Les enfants palestiniens et israéliens nés après la seconde intifada n’ont connu que le mur. Pour les jeunes Israéliens, toute personne vivant de l’autre côté du mur est un terroriste potentiel qui hait les Juifs et avec qui ils n’ont rien en commun.
Pour un jeune Palestinien, un Israélien est un soldat qui l’humilie aux check-points et qui vient arrêter ses voisins pendant la nuit, ou un colon qui lui vole ses terres et a la vie belle pendant que lui galère.
Où est l’humanité dans l’esprit de cette nouvelle génération ? Si tu ne peux pas voir l’autre comme un être humain, que risque-t-il de se passer dans le futur ? C’est le danger.
Dans ce contexte, vous dites que les chrétiens ont un rôle à jouer.
L’intérêt de la présence chrétienne est de préserver un équilibre, d’essayer d’apporter de la raison au sein des communautés.
Dans un contexte de forte polarisation, les institutions chrétiennes [nos écoles, nos universités, nos cliniques, nos hôpitaux, nos maisons de retraite fréquentés majoritairement par des non-chrétiens] font partie des rares lieux où l’on défend la coexistence, le respect mutuel, la dignité et l’importance de vivre ensemble.
Le défi pour nous est de pérenniser ces institutions pour qu’elles continuent à diffuser et soutenir ces valeurs.
Qu’est-ce qui menace cette pérennisation ?
L’émigration des Palestiniens chrétiens. À Bethléem, par exemple, en 1947, il y avait 85 % de chrétiens. Aujourd’hui, ils ne représentent plus qu’environ 18 % de la population.
Aujourd’hui, la présence des chrétiens, en Israël et Palestine réunies, n’excède pas 200 000 personnes. Nous parlons d’une présence minuscule qui continue de décline
Qui émigre ?
Ceux qui sont éduqués, qui font partie de la classe moyenne ou aisée, qui ont les moyens, qui ont des connexions, un frère, une sœur, un cousin qui l’a fait avant eux.
Pourquoi émigrent-ils ?
Ils partent, pour la plupart, à cause de l’occupation, pour retrouver une liberté, notamment de mouvement, pour se sentir libres.
Cette envie d’une vie meilleure est partagée par tous les jeunes Palestiniens, mais il est plus facile pour les chrétiens d’obtenir une autorisation de la part d’Israël pour sortir de Cisjordanie ou de Gaza.
Quel est le risque si la présence chrétienne ne perdure pas ?
Aujourd’hui, je continue à penser que la présence chrétienne empêche une lecture simpliste qui consiste à voir dans le conflit un affrontement religieux. Le jour où les chrétiens ne seront plus là, cela peut changer.
C’est ce que les extrémistes des deux côtés souhaitent. Notre défi est de transmettre aux jeunes chrétiens la valeur de notre présence ici.
Partenaire du Secours-Catholique, l'ONG Physicians for Human Rights – Israel (PHRI) agit pour l'accès aux soins des migrants en Israël et dans les territoires palestiniens occupés.
Dans sa "clinique ouverte", l'association accueille des « infiltrés », c'est-à-dire des personnes qui n'ont aucun statut en Isarël, et donc aucune couverture santé.
Ces migrants ont traversé clandestinement la frontière entre l'Egypte et Israël, via le Sinaï. Ils viennent en majorité d'Erythrée, mais aussi du Soudan et des Philippines.
Se présentent également des Israëliens et des Palestiniens.
Une quarantaine de médecins bénévoles sont engagés dans cette clinique pour prodiguer des soins à ces personnes qui n'ont nulle part où aller.