À l’épicerie La Marguerite, la solidarité s’épanouit
Située dans l’une des rues étroites flanquées de jolies façades médiévales qui composent le cœur de Riom, à 15 km de Clermont-Ferrand, la coquette devanture de La Marguerite attire l’œil et le chaland. L’épicerie, ouverte par le Secours Catholique en janvier 2021, compte déjà plus de 350 adhérents. Un tiers sont des personnes rencontrant des difficultés financières et bénéficiant de tarifs préférentiels calculés en fonction de leurs ressources. Les autres sont des adhérents "solidaires", qui paient 100 % du prix des produits.
L’une des premières clientes de la matinée, Annabelle, est une habituée. Elle fait chanter le carillon à vent accroché au-dessus de la porte deux fois par semaine. Ce jour-là, elle est accompagnée d’un de ses fils qui l’aide à porter ses sacs de courses bien garnis. « Ici, ils sont vraiment humains ! », commente-t-elle spontanément.
La mère de famille, qui s’occupe seule de ses cinq enfants, a emménagé dans le département il y a quelques mois. Elle traverse une période très compliquée sur le plan financier. « Jusqu’à présent, je n’avais pas eu besoin d’aide, confie-t-elle. Mais là, je paie un gros loyer dans le privé. C’est difficile. »
Accompagnée par le Secours Catholique, Annabelle bénéficie de tarifs calculés selon son reste à vivre. En plus des produits secs à quelques centimes d'euros de la Banque alimentaire qui occupent un rayonnage spécifique du magasin, elle a ainsi accès, comme n’importe quel autre adhérent de l’épicerie, à des produits variés et de qualité.
À commencer par des fruits et légumes frais, des viandes et fromages – dont le fameux St Nectaire – issus de productions locales. « Je fais toutes mes courses ici. Je trouve de tout, explique Annabelle. Et puis c’est gai, on ne se sent pas reclus, on vient avec plaisir. Quand on a un coup au moral, on ressort avec le sourire. »
« Dans les colis de l’aide alimentaire, on ne choisit pas », souligne pour sa part Patricia, sept enfants, dont trois encore à charge et qui est allocataire des minimas sociaux. « Alors qu’ici, je peux choisir ce que j’achète en fonction de ce que j’ai déjà dans mes placards. Et puis on passe à la caisse ! Symboliquement, c’est important ! », ajoute la mère de famille. Elle apprécie aussi l’emplacement central du magasin : « Les épiceries du coin sont inabordables quand on est aux minimas comme moi ! »
« Passez une bonne journée et à la prochaine ! », lance Beya, préposée à la caisse. Elle et son mari, avec leurs deux enfants, bénéficient comme Annabelle et Patricia d’un tarif préférentiel. Dans son cas, elle paie moitié prix la plupart des références. « On a des produits de premier choix. On peut aussi faire plaisir à notre famille, c’est important », souligne Beya. Le couple s’est embarqué dans l’aventure de l’épicerie dès le début, à l’automne 2020, en participant aux travaux d’aménagement du local.
Avant, je n’essayais pas de comprendre d’où venaient les produits. Aujourd’hui, ça a changé !
Aujourd’hui, Beya s’implique pleinement dans le fonctionnement du magasin, aux côtés de la trentaine de bénévoles, en précarité ou non, séduits par le projet. Elle encaisse, guide les clients dans leurs achats, joue les interprètes pour les familles qui maîtrisent mal le français, elle-même étant d’origine algérienne.
En retour, elle apprend beaucoup. « Avant, je n’essayais pas de comprendre d’où venaient les produits, combien le Secours Catholique les payait, etc., se souvient Beya. Aujourd’hui, ça a changé. C’est un truc nouveau dans ma vie ! »
« Ce que j’aime, à La Marguerite, c’est que la participation des personnes permet de leur redonner de la dignité. Elles n’ont pas juste l’impression de prendre », souligne Chantal, tout en étiquetant des produits à dates courtes ou à l’emballage altéré. Ils composent le rayon anti-gaspillage de la boutique et sont issus de la "ramasse" hebdomadaire effectuée auprès de l’enseigne Leclerc, partenaire de l’épicerie.
Après avoir enchaîné les contrats précaires, Chantal est au chômage, avec un projet de reconversion professionnelle. Elle a trouvé dans l’épicerie le moyen de « rebondir, de sortir des "mauvaises habitudes" qui font qu’il est difficile de se lever le matin quand on n’a aucune raison de le faire ».
sans stigmatisation, sans mise à l'écart
Pour Jean-Luc, grand gars de 53 ans qui s’affaire dans l’arrière-boutique, s’investir dans l’épicerie est également synonyme de remobilisation. « J’habite à cent mètres d’ici. Après le deuxième confinement, je me suis dit qu’il fallait vraiment que je sorte de chez moi, au lieu de me morfondre tout seul », raconte-t-il.
Au départ, Jean-Luc, au RSA, est venu s’inscrire pour faire ses courses. « Je ne m’estime pas pauvre. Je ne me sentais pas d’aller chercher un colis alimentaire, par orgueil sans doute, témoigne-t-il. Ici, tu achètes selon tes moyens, sans stigmatisation, sans mise à l’écart. On se sent aidé mais pas assisté, d’autant plus qu’on peut se rendre utile ».
Car Jean-Luc vient tous les jours participer à la vie de l’épicerie : il réceptionne les livraisons, assure les mises en rayon, organise le travail des autres bénévoles. « Je rencontre des gens qui m’apportent tellement, qui me font grandir spirituellement, qui changent ma vie ! Je me sens utile, écouté, regardé. Je me sens exister ! »
Le carillon chante à nouveau. Nicolas, 56 ans, vient faire quelques emplettes : une botte de carottes bio, des filtres à café, des conserves… Lui aussi vit seul, dans un petit logement du centre-ville sans cuisinière, avec le RSA pour seule ressource. Ses petits boulots d’appoint ont disparu avec le Covid. « Ici il n’y a pas tout, mais ça dépanne bien. »
Il assure passer à la boutique plusieurs fois par semaine. Parfois, simplement pour chasser l’ennui, rencontrer des gens. Il compte lui aussi s’investir bénévolement, en participant à la poursuite de l’aménagement des locaux par exemple.
Une femme pousse à son tour la porte de La Marguerite, les bras chargés d’une commande d’œufs frais. À l’instar des légumes, de la viande, des produits laitiers ou encore du miel, ils n’ont pas parcouru un long voyage.
« Tous ces produits viennent d’un rayon de moins de 50 km », précise Isabelle, bénévole et coordinatrice du magasin, en duo au “back-office”, comme elle dit, avec Fantine, la vingtaine, en service civique. « Et on ne négocie pas le prix d’achat avec les producteurs : l’idée est de leur permettre de vivre dignement de leur travail. »
champignons japonais
Parmi les légumes qui garnissent l’étal central de la boutique, des shiitake, des champignons d’origine asiatique. Eux sont produits… au bout de la rue ! « En fin d’année 2020, j’étais en grande difficulté financière », raconte Tristan, le producteur de champignons, qui vient témoigner de sa belle histoire avec l’épicerie.
Alors travailleur dans le BTP, Tristan est obligé, pour joindre les deux bouts, d’aller chercher des colis à l’ancien point d’aide alimentaire du Secours Catholique. « Là-bas, j’ai parlé aux bénévoles de mon projet de reconversion. Ils m’ont dit : "On peut vous aider." Le Secours Catholique a financé ma première palette de substrat de shiitake bio. Et maintenant, c’est moi qui livre La Marguerite ! »
Pour se fournir, l’épicerie a également noué des partenariats. Avec Biocoop par exemple. L’enseigne fait notamment don de légumes bio et de produits en vrac (pâtes, riz, sucre, légumineuses…). Ou avec des boulangeries, qui donnent leurs invendus de la veille.
Dans l’arrière-boutique, Linda, 25 ans, chignon décoiffé et sarouel coloré, confectionne une boîte à idées. « J’ai adhéré à l’association il y a deux jours, mais j’ai déjà le coup de foudre ! », s’enthousiasme la jeune femme, tout juste arrivée d’Alsace.
La veille, cette fleuriste de métier a participé à un atelier jardinage en compagnie de Jean-Luc. Ces séances de jardinage sont organisées dans des parcelles mises à disposition par des particuliers ou des associations amies. « On a repiqué dans le jardin de Chantal des plantes aromatiques récupérées chez Leclerc et qui étaient en “PLS” [position latérale de sécurité] ! On espère bien les sauver ! », raconte-t-elle.
L’épicerie La Marguerite est un prétexte pour créer du lien et de la mixité.
Cuisine, couture, randonnée, atelier informatique, confiance en soi… D’autres activités sont appelées à se développer autour de l’épicerie. Elles seront organisées par les adhérents eux-mêmes. « La Marguerite est un prétexte pour créer du lien et de la mixité, souligne Isabelle, et pour connaître les gens et les accompagner de façon personnalisée dans leurs différentes problématiques. »
Pour continuer à s’épanouir, l’épicerie mise aussi sur des conventions avec les communes, dans l’objectif que ces dernières participent financièrement au panier de leurs administrés en situation de précarité, à hauteur de 15 € par mois.
« Pour quelques dizaines de milliers d’euros que cela leur coûte, c’est du pouvoir d’achat dégagé pour plusieurs centaines de personnes. C’est énorme ! explique René Robert, animateur du Secours Catholique dans le Puy-de-Dôme. Il faut les convaincre, c’est notre bataille ! »