À Lourdes, 10 ans de « Diaconia » : « Dieu est à tout le monde »
Sous le tilleul, une table dressée pour accueillir les dix convives du jour autour d’une collation. Un à un ils arrivent et saluent « Princesse » qui ronronne allongée sur la pelouse au soleil. Germaine accepte volontiers un café pour « faire chauffer le moteur », Jacky se réjouit : « en ville on voit que du béton, tandis qu’ici on voit la nature ». Certains allument une cigarette, d’autres s’asseyent sur un banc et profitent de la vue.
La maison bordée de fleurs sauvages est perdue dans la campagne lyonnaise. C’est ici que se retrouvent régulièrement les membres du groupe de Lyon du réseau Saint Laurent, qui organise des réunions de chrétiens « avec et à partir » de personnes vivant des situations de pauvreté et d’exclusion.
Le groupe de Lyon réunit des membres du Secours Catholique, du SAPPEL et de la Pierre d’angle, trois fraternités ou communautés d’Église qui rassemblent des personnes qui vivent des situations de pauvreté et ceux qui veulent s’engager auprès d’elles.
Aujourd’hui, l’objectif est de préparer les 10 ans de « Diaconia », réflexion initiée en 2013 par le pape Benoît XVI pour remettre le service de la charité (diakonia) au cœur de la vie chrétienne. 1200 pèlerins sont attendus à Lourdes du 6 au 11 août pour fêter les 10 ans de la démarche.
Tanguy est l’un des animateurs présents, salarié du Secours Catholique, il rappelle les fondamentaux du Réseau Saint Laurent : « toujours se retrouver autour de la parole de Dieu avec des moyens pédagogiques adaptés, dont le premier est de prendre du temps. Il s’agit de faire émerger et recueillir la parole sans parler ou penser à la place des personnes les plus pauvres. »
La journée commence donc par un temps de prière, de louange et de partage d’intentions. La prise de parole se fait encore timide mais les langues se délient ensuite bien vite en petits groupes autour de la question : « si les 10 ans de « Diaconia » étaient un élément de la nature, qu’est ce que ce serait ? »
L’exercice du « portrait chinois » permet de mettre des mots parfois plus facilement sur les pensées. Pensées ô combien essentielles à faire émerger, insiste Pascale, accompagnatrice issue de le Pierre d’Angle, qui rappelle à quel point la parole des plus pauvres est « indispensable à la société et à l’Église. Si elle manque, le puzzle est incomplet ».
Germaine conçoit ainsi ce rassemblement comme celui « d'abeilles qui se réunissent pour produire le miel, sucré et savoureux, aux nombreuses vertus pour la santé », tandis que Maryline voit plutôt « Diaconia » comme « une cascade, car l’eau avance et nous aussi ». Maryline, qui côtoie le SAPPEL depuis ses huit ans, attrape machinalement la main de Françoise, animatrice assise à côté d’elle, et la lui embrasse affectueusement.
Une complicité inscrite dans le temps long et qui ne s’arrête pas à la fin des rencontres organisées. Régulièrement, Maryline propose à Tanguy de l’accompagner à la messe et il l’invite en retour dans sa paroisse. « Aller à la messe tout seul, ce n’est pas évident », admet-elle. En situation de grande précarité et d’exclusion, les participants du jour se sentent-ils intégrés à l’Église ?
« Quand on est dans la misère parfois on est regardés des pieds à la tête » décrit Jacky. « C’est difficile parce que l’église, c’est la maison du Seigneur ». Or comme il le dira plus tard lors d’un autre exercice organisé par les animateurs : « La maison de Dieu est à tout le monde. Dieu est à tout le monde. »
Delphine, elle, voit l’église comme « un lieu de repos », Pascal comme « un lieu de réconfort » dans lequel « il suffit que la porte soit ouverte et voilà tu peux entrer, tu peux prier ». Mais il l’admet, il aurait de nombreuses choses à dire à l’Église et ne sait pas à qui s’adresser. Particulièrement heurté par la crise des abus sexuels et spirituels qui gangrènent l’institution ces dernières années, il rêve d’une Église dans laquelle son opinion compterait davantage. « C’est pas parce qu’on est pauvres qu’on a rien à dire. On est accueillis parce qu’on est là mais si on est pas là tant pis, ils s’en foutent quoi ».
Pascale, animatrice qui s’est engagée à vie au sein de la communauté du SAPPEL, abonde : « L’Église ne prend pas la mesure de la richesse qu’ils représentent. On veut bien leur faire une petite place, mais un strapontin plutôt. Alors qu’ils auraient le droit à un fauteuil d’orchestre comme tout le monde ! »
Surtout quand ils le désirent ardemment. Faysel s’est fait baptisé et confirmé cette année. Son appel ? « Donner du Christ. Être à Jésus, être à l’Église, être moi aussi un petit ouvrier qui travaille pour l’Église ». Difficile d’ignorer un tel enthousiasme.
Tous les organisateurs s’accordent à dire que si « Diaconia » 2013 a permis quelques progrès, il reste toujours beaucoup à faire. « Diaconia fait tâche d’huile », résume Françoise, « il y a des étincelles, des petites gouttes mais on est encore loin de la flaque d’huile ».
Après un déjeuner festif au cours duquel Maryline a pu souffler ses 51 bougies, entourée de rires et d’affection, le groupe a réfléchi à la meilleure manière d’accueillir les autres pèlerins à Lourdes lors du rassemblement estival.
« On peut être tous ensemble pour prier et se sentir terriblement seul », lâche Delphine qui suggère l’idée de s’accueillir les uns les autres en proposant à chacun de saluer son voisin. Pascal quant à lui insiste pour ne pas oublier ceux qui ne pourront être présents et l’idée émerge d’un moment de recueillement qui leur soit dédié.
La journée s’achève ainsi sur la perspective d’un pèlerinage placé sous le signe de l’attention aux autres, comme un écho à l’exercice du portrait chinois fait quelques heures plus tôt au cours duquel Delphine imaginait « Diaconia » comme « l’eau, qui donne la force ».
Plus d'infos sur les 10 ans de Diaconia à Lourdes en août 2023