Mamans seules : au Havre, le temps d'une pause
« Je vous écoute. » Sourire aux lèvres, les traits légèrement tirés par une matinée de travail, commencée à six heures, Maria attend patiemment nos questions.
En ce début d’après-midi du mois d’octobre, cette femme de 48 ans, agent d’entretien à temps plein, nous a rejoints au Havre des familles, une « maison » ouverte il y a un an, dans le centre-ville du Havre, par le Secours Catholique et les Apprentis d’Auteuil.
Le lieu est coanimé par une trentaine de parents, surtout des femmes, qui viennent seuls ou accompagnés de leurs enfants. Divorcée depuis dix ans, Maria a accepté de témoigner de sa vie de mère célibataire.
« Ce n’est jamais facile d’élever des enfants,dit-elle. Mais quand on est seule, on se retrouve à jouer un double rôle : être à la fois la figure de l’autorité et celle qui va consoler. Et ce n’est pas toujours évident de trouver un équilibre. »
Elle se définit comme quelqu’un de combatif, qui aime aller de l’avant, mais confie que « c’est dur de devoir tout décider seule, de n’avoir personne pour prendre le relais, personne à qui demander parfois : “Est-ce que j’ai tort ?”»
Cette réflexion est récente, précise-t-elle : « Quand ils étaient petits, je n’avais pas le temps d’y réfléchir, je gérais, j’avançais. » Les problèmes à régler étaient d’ordre pratique : repas, douche, solution de garde.
comme une claque
Mais, sans qu’elle les ait vraiment vus grandir, ses deux garçons, Timothé et Cuida, sont devenus de grands gaillards de 14 et 17 ans. « Leur entrée dans l’adolescence a été un peu comme une claque, se souvient-elle. Un enfant, quand on lui dit “viens manger”, “lave-toi les mains”, “on va se promener”, il vient, il obéit. Un ado… C’est différent. »
C’est alors qu’est apparue la question : «Vais-je réussir à les éduquer ? »
Que signifie éduquer un adolescent au quotidien ? Maria sourit à nouveau. « C’est se retrouver face à quelqu’un qui refuse de faire les choses, juste parce que vous le lui demandez. »
Elle évoque aussi ces « questions pertinentes » que lui posent ses fils, sur eux, sur la vie, sur le sens des choses – « par exemple : à quoi ça sert de se marier, de fonder une famille ? » –, et auxquelles il lui arrive d’avoir du mal à répondre.
Ces dernières années, Maria a pris conscience qu’elle avait besoin de souffler, de sortir de son quotidien étourdissant « enfants, maison, boulot ». Ce répit, elle le trouve aujourd’hui, presque chaque après-midi, au Havre des familles.
Timothé et Cuida l’ont déjà accompagnée. « Mais je viens ici avant tout pour moi, insiste-t-elle. Pour me détendre et partager un moment informel avec d’autres parents. »
Il arrive que la discussion porte sur les soucis qu’elle rencontre avec ses deux adolescents.
« Je parlais avec une autre maman du désordre de mon fils aîné. Elle m’a affirmé qu’ils passaient tous par-là, qu’il fallait le laisser dans son désordre. Ça m’a fait du bien. Avant ça me rendait malade, maintenant je ferme la porte. (Elle rit) De toute façon, c’est sa chambre. »
Pouvoir échanger avec d’autres adultes sur leur expérience de parent, sans injonction ni jugement, c’est aussi ce qu’apprécie Cindie, 32 ans, qui élève seule Pierre, son fils de 4 ans et demi.
« On parle des problèmes mais pas seulement. On a aussi l’opportunité de montrer ce que nos enfants font de bien. C’est intéressant pour les autres et c’est valorisant pour nous », considère-t-elle.
Cela lui a fait plaisir, par exemple, de pouvoir présenter aux autres parents et enfants la méthode de lecture précoce qu’elle applique avec son fils.
câlin
Porteuse d’un handicap, « très isolée », selon ses propres mots, ce que Cindie vient avant tout chercher au Havre des familles, c’est « du lien social : se reposer, boire un café, discuter ». Elle dit avoir trouvé « une famille » auprès d’Aurélie, la responsable salariée de la maison, et des autres mamans. « C’est un vrai soutien au quotidien. »
Pierre arrive en courant, lui fait un câlin, et repart tout aussi rapidement jouer avec les autres enfants. En le regardant s’éloigner, elle glisse : « Vous voyez, pendant que nous sommes en train de parler, je sais qu’il est en sécurité. Ici, je peux souffler. »
À lui aussi, venir au Havre des familles lui fait « énormément de bien », assure-t-elle. « J’ai fait le choix, cette année, de le mettre dans une école privée. Il y a un fort degré d’exigence, même à son âge. Il rentre, tous les soirs, crevé et énervé. Et à la maison, je n’arrive pas à jouer avec lui à autre chose qu’à des jeux éducatifs, sinon j’ai l’impression d’une perte de temps… Finalement, il n’y a qu’ici qu’il peut jouer vraiment, sans pression ni enjeu… Comme un enfant. »
Lire notre dossier : « Famille : entourer les parents seuls »