Visuel principal
À Mbobero, les mains nues face aux puissants

À Mbobero, les mains nues face aux puissants

Temps de lecture
10 minutes
Son : Joseph Zahinda, président du comité des victimes
Diaporama : le calvaire des habitants de Mbobero
Chapô
Cela fait cinq ans que les habitants de Mbobero, localité du Sud-Kivu en République démocratique du Congo, vivent un calvaire. Ils se sont vu arracher leurs terres par l’ancien président Joseph Kabila. Un conflit foncier qui frappe les plus démunis et entraîne de graves violations des droits de l’homme. “Tournons la page”, partenaire du Secours Catholique, s’engage.
Paragraphes de contenu
Texte

30 janvier 2016. Le Dr Charles Kachungunu est en train d’opérer un patient dans son hôpital de Mbobero lorsque l’électricité est coupée. « J’ai alors vu 200 militaires armés jusqu’aux dents venir casser les vitres de l’hôpital et chasser les malades. C’était comme s’ils attaquaient des rebelles », relate-t-il.

Le lendemain, les militaires reviennent avec des bulldozers et des tractopelles : ils détruisent l’hôpital et une cinquantaine de maisons. La raison ? Le président de l’époque, Joseph Kabila, déclare qu’il a acheté les terres de Mbobero et décide de tout raser avant de s’installer.

Les habitants doivent fuir et se faire héberger par des familles d’accueil. « Je ne saurais vivre ailleurs car mes ancêtres ont vécu ici, à Mbobero, jusqu’à leur mort », témoigne Baguma Kameme, porte-parole du comité des victimes de Mbobero.

Les habitants perdent non seulement leurs maisons, mais aussi leurs champs. « Ceux qui ne pouvaient plus cultiver ont dû mendier. Ces paysans n’avaient rien d’autre que leurs champs pour subsister », explique le Pr Arnold Nyaluma, avocat du collectif des avocats de “Tournons la page RDC” qui défend les victimes.

Et pour cause, les habitants de cette contrée du Sud-Kivu vivent avec moins de 2 euros par jour. Leur confisquer leur terre, c’est leur prendre la vie. « Nos champs nous ont été arrachés. Nous souffrons de la faim car nous n’avons plus accès à nos cultures. Nos maris ont perdu leur travail », se lamente Jeanne*, habitante de Mbobero.

Texte
Le mur de Kabila empêche certaines familles d'accéder à leur champ, leur seul moyen de subsistance.
Le mur de Kabila empêche certaines familles d'accéder à leur champ, leur seul moyen de subsistance.
Texte

Violences

En février 2018, Kabila fait encore parler de lui à Mbobero. Cette fois, plus de 250 maisons de paysans sont détruites et une clôture est érigée, empêchant les habitants de vivre dans le village paisiblement. « Ils ont construit un mur en pierre qui englobe la moitié du village. Je vis à l’intérieur de cet enclos. Tout est fait pour nous pousser à bout et nous obliger à partir. Nous sommes maltraités comme des animaux », s’insurge Baguma Kameme, du comité des victimes de Mbobero.

Joseph Zahinda, président du comité, s’interroge : « Le président dit qu’il a acheté nos terres, mais n’importe quel acheteur se pose la question : pourquoi tous ces gens vivent-ils ici et comment y sont-ils arrivés ? Vous pouvez négocier, mais pas confisquer les terrains comme cela a été fait. »

Les militaires nous plongent dans l'insécurité.
Mbaswa Bitaha, un habitant


De fait, depuis cinq ans, c’est la violence qui prévaut à Mbobero. Pour mieux dépouiller ces milliers de paysans, Kabila a fait venir des militaires de la Garde républicaine, qui sont restés sur place. Des viols ont été rapportés. Un enfant est mort asphyxié par du gaz lacrymogène lors de la deuxième vague de démolitions. Quatre personnes ont été tuées par balles. « Les militaires nous plongent dans l’insécurité », observe Mbaswa Bitaha, l’un des propriétaires spoliés.

 En décembre 2020, un jeune leader communautaire, Patrick Irenge, a été tué à bout portant par un militaire commis à la garde de la concession revendiquée. La population s’est alors rassemblée pour son enterrement et a tenu un sit-in en signe de protestation. Les militaires de Kabila ont répondu par des tirs à balles réelles.

Image
Son : Joseph Zahinda, président du comité des victimes
Titre du son
Joseph Zahinda, président du comité des victimes
Sous titre
Nous combattons comme David contre Goliath
Fichier son
Texte

C’est pour dénoncer cette situation que Tournons la page RDC, soutenu par le Secours Catholique, s’est saisi de cette affaire et a apporté son soutien aux victimes. « Il faut que cette population soit rétablie dans ses droits. Nul n’a le droit de détourner la force militaire à son profit. Voir détruire sa maison est insupportable. Nous devons résister face aux puissants », affirme Jean-Chrysostome Kijana, de Tournons la page RDC et de l’ONG “Nouvelle dynamique de la société civile”, seule organisation congolaise accompagnant les victimes de Mbobero depuis 2016.

« Il est profondément injuste que les puissants puissent arracher leur terre et leurs maisons aux plus faibles. C’est la vie qu’on leur arrache », déclare sœur Ursule Vitalie*, missionnaire qui se bat aux côtés des victimes. Face à ce conflit foncier, les membres de Tournons la page mais aussi le Dr Kachungunu se sont vu menacer de mort plus d’une fois et ont dû s’exiler.

« Les armes de Kabila sont l’intimidation, la corruption et les assassinats », dénonce Jean-Chrysostome Kijana. En juin 2020, soutenues par Tournons la page, quelque 3 500 personnes ont déposé plainte contre Joseph Kabila pour destruction, pillage et crime contre l’humanité. La justice militaire a de son côté décidé de juger le militaire assassin de Patrick Irenge.

Mbobero est un symbole de mauvaise gouvernance, d’autoritarisme et d’impunité.
Laurent Duarte, coordinateur international de Tournons la page


Mais l’avocat Arnold Nyaluma redoute une justice du côté des puissants. Tournons la page, de son côté, entend bien porter l’affaire devant la communauté internationale, notamment devant les Nations unies et l’Union européenne. « Mbobero est un symbole de mauvaise gouvernance, d’autoritarisme et d’impunité », note Laurent Duarte, coordinateur international de Tournons la page.

« C’est parce que nous voulons tourner la page des injustices, la page où le puissant se sert de son pouvoir pour piétiner les démunis, que nous sommes aux côtés des victimes de Mbobero », conclut Jean-Chrysostome Kijana. Reste à savoir si ces voix seront entendues.

Dernièrement, ce ne sont plus les militaires de la Garde républicaine qui gardent Mbobero mais la police. Les habitants y voient un signe d'apaisement, même si leur calvaire continue. Toujours en exil, le Dr Charles Kachungunu ne souhaite qu’une chose : « Que la population soit rétablie dans ses droits et que l’hôpital soit reconstruit pour elle. »

* prénom d'emprunt

Titre du diaporama
Image
Depuis 2016, les habitants de Mbobero ont dû fuir leurs habitations et leurs champs. Ils se sont vu arracher leurs terres par le président Joseph Kabila. Ce dernier a érigé un mur de pierres pour barrer l’accès à sa nouvelle propriété.
Description
Depuis 2016, les habitants de Mbobero ont dû fuir leurs habitations et leurs champs. Ils se sont vu arracher leurs terres par le président Joseph Kabila. Ce dernier a érigé un mur de pierres pour barrer l’accès à sa nouvelle propriété.
Image
Rue principale du village de Mbobero. Depuis cinq ans, ses habitants vivent un calvaire. 3 000 personnes sont concernées par l'accaparement de leurs terres et n’ont nulle part où aller. Elles sont le plus souvent logées par des proches.
Description
Rue principale du village de Mbobero. Depuis cinq ans, ses habitants vivent un calvaire. 3 000 personnes sont concernées par l'accaparement de leurs terres et n’ont nulle part où aller. Elles sont le plus souvent logées par des proches.
Image
Un enfant va chercher de l’eau à la fontaine. La population de cette région du Sud Kivu est très pauvre. « Les paysans n’ont rien d’autre que leurs champs pour leur survie. En raison de leur confiscation, ils n’ont plus rien et beaucoup sont réduits
Description
Un enfant va chercher de l’eau à la fontaine. La population de cette région du Sud Kivu est très pauvre. « Les paysans n’ont rien d’autre que leurs champs pour leur survie. En raison de leur confiscation, ils n’ont plus rien et beaucoup sont réduits à la mendicité », explique Professeur Arnold Nyaluma, du collectif d’avocats de Tournons la page RDC qui défend les victimes.
Image
Joseph Zahinda, président du comité des victimes, loge avec sa famille dans cette pièce qui lui a été prêtée par un voisin après la destruction de sa maison par les militaires de Kabila. « Nous sommes mal logés, dans la misère. Nous ne méritons plus
Description
Joseph Zahinda, président du comité des victimes, loge avec sa famille dans cette pièce qui lui a été prêtée par un voisin après la destruction de sa maison par les militaires de Kabila. « Nous sommes mal logés, dans la misère. Nous ne méritons plus de vivre comme ça », s’insurge Baguma Kamene, porte-parole du comité des victimes.
Image
Une des filles de Joseph Zahinda. La famille qui compte enfants et petits-enfants s’agrandit chaque année mais partage toujours cette pièce d’à peine 20 m².
Description
Une des filles de Joseph Zahinda. La famille qui compte enfants et petits-enfants s’agrandit chaque année mais partage toujours cette pièce d’à peine 20 m².
Image
Josiane et ses sept enfants dorment à même le sol dans cette pièce d’à peine 10 m². Son mari, désespéré, est parti. « Nous souffrons et nous voulons retrouver nos droits », confie Baguma Kamene, porte-parole du comité des victimes.
Description
Josiane et ses sept enfants dorment à même le sol dans cette pièce d’à peine 10 m². Son mari, désespéré, est parti. « Nous souffrons et nous voulons retrouver nos droits », confie Baguma Kamene, porte-parole du comité des victimes.
Image
Josiane nourrit ses sept enfants avec un fond de marmite de feuilles de manioc. « Nos enfants sont notre seule richesse », explique cette militante du comité des victimes.
Description
Josiane nourrit ses sept enfants avec un fond de marmite de feuilles de manioc. « Nos enfants sont notre seule richesse », explique cette militante du comité des victimes.
Image
Logées dans des familles d’accueil, les victimes des destructions dorment à même le sol, sur des bâches, entassées dans quelques mètres carrés.
Description
Logées dans des familles d’accueil, les victimes des destructions dorment à même le sol, sur des bâches, entassées dans quelques mètres carrés.
Image
Soutenu par Tournons la page RDC, un comité des victimes s’est formé dans le village de Mbobero. « Nous prenons le risque d’accompagner ces habitants qui n’ont plus rien, et vivent dans la souffrance et la misère totale. Nous luttons pour que la
Description
Soutenu par Tournons la page RDC, un comité des victimes s’est formé dans le village de Mbobero. « Nous prenons le risque d’accompagner ces habitants qui n’ont plus rien, et vivent dans la souffrance et la misère totale. Nous luttons pour que la population soit rétablie dans ses droits », explique Jean-Chrysostome Kijana, de TLP RDC.
Image
Le mur de pierres, protégeant le domaine que Kabila s'approprie, traverse une partie du village. Cette enceinte use la population. Les familles qui vivent à l’intérieur de la muraille n’ont pas le droit d’en sortir, faute de pouvoir y revenir. « Ils
Description
Le mur de pierres, protégeant le domaine que Kabila s'approprie, traverse une partie du village. Cette enceinte use la population. Les familles qui vivent à l’intérieur de la muraille n’ont pas le droit d’en sortir, faute de pouvoir y revenir. « Ils veulent nous mettre en difficulté et ne nous laissent pas tranquilles afin que nous quittions nos habitations », témoigne Baguma Kamene, porte-parole du comité des victimes, qui habite à l’intérieur de l’enclos.
Image
Le mur empêche aussi les écoliers de rejoindre leur école : Ils doivent désormais contourner la propriété de Joseph Kabila. Certains doivent effectuer 45 minutes de marche supplémentaires.
Description
Le mur empêche aussi les écoliers de rejoindre leur école : Ils doivent désormais contourner la propriété de Joseph Kabila. Certains doivent effectuer 45 minutes de marche supplémentaires.
Image
Certains enfants ne sont plus scolarisés, car les parents dont les champs ont été accaparés n’ont plus les moyens de payer leur scolarité. Les enfants se retrouvent à assumer de petits boulots, comme ceux-ci qui cassent des cailloux sur le bord de la
Description
Certains enfants ne sont plus scolarisés, car les parents dont les champs ont été accaparés n’ont plus les moyens de payer leur scolarité. Les enfants se retrouvent à assumer de petits boulots, comme ceux-ci qui cassent des cailloux sur le bord de la route pour fabriquer du gravier.
Image
Joseph Zahinda, le président du comité des victimes, devant la tombe du jeune leader communautaire Patrick Irenge tué en 2020 à bout portant par un militaire. La tombe, sur la droite, n’est pas marquée « pour ne pas faire peur aux enfants ». Elle est
Description
Joseph Zahinda, le président du comité des victimes, devant la tombe du jeune leader communautaire Patrick Irenge tué en 2020 à bout portant par un militaire. La tombe, sur la droite, n’est pas marquée « pour ne pas faire peur aux enfants ». Elle est au cœur de la parcelle de son père.
Texte

TLP récompensé

Tournons la page est une coalition d’acteurs de la société civile qui promeuvent la bonne gouvernance et l’alternance démocratique en Afrique. Cette coalition est actuellement coordonnée par le Secours Catholique et en cours d'autonomisation. Elle s’est vu récompenser en 2020 par le mouvement Africans Rising et a été élu “mouvement africain de l’année”. Pour en savoir plus : https://tournonslapage.org/fr

Crédits
Nom(s)
Cécile Leclerc-Laurent
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Guillaume Binet/MYOP
Fonction(s)
Photographe
Pour rester informé(e)
je m'abonne à la newsletter