À Mbobero, les mains nues face aux puissants
30 janvier 2016. Le Dr Charles Kachungunu est en train d’opérer un patient dans son hôpital de Mbobero lorsque l’électricité est coupée. « J’ai alors vu 200 militaires armés jusqu’aux dents venir casser les vitres de l’hôpital et chasser les malades. C’était comme s’ils attaquaient des rebelles », relate-t-il.
Le lendemain, les militaires reviennent avec des bulldozers et des tractopelles : ils détruisent l’hôpital et une cinquantaine de maisons. La raison ? Le président de l’époque, Joseph Kabila, déclare qu’il a acheté les terres de Mbobero et décide de tout raser avant de s’installer.
Les habitants doivent fuir et se faire héberger par des familles d’accueil. « Je ne saurais vivre ailleurs car mes ancêtres ont vécu ici, à Mbobero, jusqu’à leur mort », témoigne Baguma Kameme, porte-parole du comité des victimes de Mbobero.
Les habitants perdent non seulement leurs maisons, mais aussi leurs champs. « Ceux qui ne pouvaient plus cultiver ont dû mendier. Ces paysans n’avaient rien d’autre que leurs champs pour subsister », explique le Pr Arnold Nyaluma, avocat du collectif des avocats de “Tournons la page RDC” qui défend les victimes.
Et pour cause, les habitants de cette contrée du Sud-Kivu vivent avec moins de 2 euros par jour. Leur confisquer leur terre, c’est leur prendre la vie. « Nos champs nous ont été arrachés. Nous souffrons de la faim car nous n’avons plus accès à nos cultures. Nos maris ont perdu leur travail », se lamente Jeanne*, habitante de Mbobero.
Violences
En février 2018, Kabila fait encore parler de lui à Mbobero. Cette fois, plus de 250 maisons de paysans sont détruites et une clôture est érigée, empêchant les habitants de vivre dans le village paisiblement. « Ils ont construit un mur en pierre qui englobe la moitié du village. Je vis à l’intérieur de cet enclos. Tout est fait pour nous pousser à bout et nous obliger à partir. Nous sommes maltraités comme des animaux », s’insurge Baguma Kameme, du comité des victimes de Mbobero.
Joseph Zahinda, président du comité, s’interroge : « Le président dit qu’il a acheté nos terres, mais n’importe quel acheteur se pose la question : pourquoi tous ces gens vivent-ils ici et comment y sont-ils arrivés ? Vous pouvez négocier, mais pas confisquer les terrains comme cela a été fait. »
De fait, depuis cinq ans, c’est la violence qui prévaut à Mbobero. Pour mieux dépouiller ces milliers de paysans, Kabila a fait venir des militaires de la Garde républicaine, qui sont restés sur place. Des viols ont été rapportés. Un enfant est mort asphyxié par du gaz lacrymogène lors de la deuxième vague de démolitions. Quatre personnes ont été tuées par balles. « Les militaires nous plongent dans l’insécurité », observe Mbaswa Bitaha, l’un des propriétaires spoliés.
En décembre 2020, un jeune leader communautaire, Patrick Irenge, a été tué à bout portant par un militaire commis à la garde de la concession revendiquée. La population s’est alors rassemblée pour son enterrement et a tenu un sit-in en signe de protestation. Les militaires de Kabila ont répondu par des tirs à balles réelles.
C’est pour dénoncer cette situation que Tournons la page RDC, soutenu par le Secours Catholique, s’est saisi de cette affaire et a apporté son soutien aux victimes. « Il faut que cette population soit rétablie dans ses droits. Nul n’a le droit de détourner la force militaire à son profit. Voir détruire sa maison est insupportable. Nous devons résister face aux puissants », affirme Jean-Chrysostome Kijana, de Tournons la page RDC et de l’ONG “Nouvelle dynamique de la société civile”, seule organisation congolaise accompagnant les victimes de Mbobero depuis 2016.
« Il est profondément injuste que les puissants puissent arracher leur terre et leurs maisons aux plus faibles. C’est la vie qu’on leur arrache », déclare sœur Ursule Vitalie*, missionnaire qui se bat aux côtés des victimes. Face à ce conflit foncier, les membres de Tournons la page mais aussi le Dr Kachungunu se sont vu menacer de mort plus d’une fois et ont dû s’exiler.
« Les armes de Kabila sont l’intimidation, la corruption et les assassinats », dénonce Jean-Chrysostome Kijana. En juin 2020, soutenues par Tournons la page, quelque 3 500 personnes ont déposé plainte contre Joseph Kabila pour destruction, pillage et crime contre l’humanité. La justice militaire a de son côté décidé de juger le militaire assassin de Patrick Irenge.
Mbobero est un symbole de mauvaise gouvernance, d’autoritarisme et d’impunité.
Mais l’avocat Arnold Nyaluma redoute une justice du côté des puissants. Tournons la page, de son côté, entend bien porter l’affaire devant la communauté internationale, notamment devant les Nations unies et l’Union européenne. « Mbobero est un symbole de mauvaise gouvernance, d’autoritarisme et d’impunité », note Laurent Duarte, coordinateur international de Tournons la page.
« C’est parce que nous voulons tourner la page des injustices, la page où le puissant se sert de son pouvoir pour piétiner les démunis, que nous sommes aux côtés des victimes de Mbobero », conclut Jean-Chrysostome Kijana. Reste à savoir si ces voix seront entendues.
Dernièrement, ce ne sont plus les militaires de la Garde républicaine qui gardent Mbobero mais la police. Les habitants y voient un signe d'apaisement, même si leur calvaire continue. Toujours en exil, le Dr Charles Kachungunu ne souhaite qu’une chose : « Que la population soit rétablie dans ses droits et que l’hôpital soit reconstruit pour elle. »
* prénom d'emprunt
TLP récompensé
Tournons la page est une coalition d’acteurs de la société civile qui promeuvent la bonne gouvernance et l’alternance démocratique en Afrique. Cette coalition est actuellement coordonnée par le Secours Catholique et en cours d'autonomisation. Elle s’est vu récompenser en 2020 par le mouvement Africans Rising et a été élu “mouvement africain de l’année”. Pour en savoir plus : https://tournonslapage.org/fr