
C’est une auberge d’un genre un peu particulier dont la “clientèle” varie au gré des crises économiques, politiques et sécuritaires qui secouent l’Amérique latine, et au-delà. En cette matinée de printemps, la “Casa Fuente”, située au sud-ouest de Mexico, accueille une soixantaine de personnes, principalement originaires du Venezuela, de Colombie et du Honduras. « En 2022 et 2023, nous avions beaucoup d’Afghans et d’Haïtiens », se souvient Beatrice Fuentes, sociologue et travailleuse sociale, fondatrice du lieu.
Dans les couloirs de cette haute maison de deux étages aux murs de crépi bleu, on croise aussi quelques “voyageurs” inattendus, comme ce couple de jeunes Iraniens ou cette dame âgée en provenance d’Angola. La Casa Fuente fait partie de la quinzaine d’auberges de migrants que compte la capitale mexicaine. Des espaces de répit pour les candidats à l’immigration aux États-Unis, dans leur long et éprouvant parcours. L’accueil des femmes et des familles est le « cœur de métier » de l’association. « Leur premier besoin est un lieu sûr où elles puissent se sentir protégées et dormir en sécurité », rapporte Alexandra Sanchez, 23 ans, infirmière en service civil, qui est leur premier contact lorsque les arrivantes franchissent le seuil de la maison.

« Ici, j’ai retrouvé le sommeil », confie Djamila, 37 ans. La jeune femme est arrivée deux semaines auparavant avec ses enfants, âgés de 12, 9 et 5 ans. Elle dit avoir quitté le Salvador pour fuir un environnement violent et un mari qui les menaçait de mort. Assise à ses côtés, Jerica tenait un petit commerce en Équateur. Victime de racket, elle ne pouvait plus s’acquitter de la somme exorbitante exigée par les criminels. « Et si tu ne payes pas, ils te tuent. » Alors cette mère seule a décidé de partir avec ses trois enfants, dont un bébé de 7 mois.
Jungle du Darien
De la traversée de la jungle du Darien, réputée comme l’un des endroits les plus dangereux au monde, à un kidnapping dans le sud du Mexique, dont elle et ses enfants ont réchappé grâce à la rançon payée par sa famille, rien ne semble lui avoir été épargné. « Les personnes qui arrivent ici ont pour la plupart vécu de nombreux traumatismes, que ce soit dans leur pays ou durant le parcours migratoire, constate Beatrice. Au Mexique, il y a une normalisation de l’exploitation sexuelle des femmes en situation de migration. C’est souvent leur seule monnaie d’échange pour pouvoir poursuivre leur route. Elles ont honte et culpabilisent. Il faut du temps pour qu’elles arrivent à en parler. »
La souffrance des enfants est la plupart du temps invisibilisée.
Esther Huelta, du Service jésuite aux réfugiés (JRS), partenaire du Secours Catholique, propose aux résidentes de la Casa Fuente et de huit autres auberges à Mexico un accompagnement psychologique, collectif ou individuel. Un service dont, fait rare, peuvent aussi bénéficier les enfants. « La souffrance de ces derniers est la plupart du temps invisibilisée par les adultes, regrette la psychologue. Car on estime à tort qu’ils ne saisissent pas vraiment ce qu’il se passe, que les événements glissent sur eux. » À travers des activités créatives, Esther leur apprend à reconnaître leurs sentiments, comme la peur, l’angoisse, la tristesse, et la manière dont ceux-ci se manifestent physiquement.
Avec leurs parents, la psychologue travaille sur l’éducation positive. Un point d’attention important, selon Beatrice, pour apaiser les tensions au sein des familles et renforcer les liens intrafamiliaux. « La migration est une source de stress intense pour les adultes, qui peuvent devenir plus irritables, faire preuve de moins de patience et de compréhension envers leurs enfants, explique-t-elle. Alors que ces derniers subissent aussi la situation. »

La récente décision du président américain Donald Trump de supprimer la possibilité, ouverte en 2023 aux demandeurs d’asile, d’obtenir un visa depuis le Mexique, a fait l’effet d’un coup de massue sur les résidents de la Casa Fuente. « Pour nous qui cherchons toutes à offrir un meilleur avenir à nos enfants, l’espoir est tombé par terre. Nous pleurions tout le temps », raconte Jerica, qui a vu d’un coup ses démarches, entreprises avec l’aide de JRS pour obtenir le fameux visa, réduites à néant.
coûte que coûte
Jusqu’alors, « tous les résidents de notre auberge repartaient après avoir obtenu ce visa, et 80 % d’entre eux passaient légalement aux États-Unis », relate Béatrice. Malgré le « mur infranchissable » qui se dresse désormais devant elles, la plupart des personnes qui quittent la Casa poursuivent leur route, pour essayer de passer coûte que coûte. « Après tout ce qu’elles ont subi en venant, elles ne peuvent pas se résigner à faire demi-tour », observe Béatrice.
Fahrad et Nasrin, partis de Téhéran il y a deux mois, n’envisagent pas de franchir la frontière illégalement. Alors ils temporisent, préférant attendre que Washington assouplisse sa position. Jerica et Djamila, elles, sont prêtes à renoncer aux États-Unis. Elles ont lu sur les réseaux sociaux que le Canada allait ouvrir un visa pour les mères célibataires. Une information à vérifier, reconnaît Jerica, mais qui, ces derniers jours, leur a redonné des raisons d’espérer.