Migrants : défendre la dignité
« Quand je vois un migrant, je klaxonne. C'est une manière de dire : "Tu es là, je suis là, je te vois."» Ces quelques mots de Mariam Guerey, animatrice du Secours Catholique à Calais, résument assez bien l'action du Secours Catholique-Caritas France auprès des personnes migrantes en France et dans le monde : rappeler que ces personnes sont avant tout dans une situation de grande vulnérabilité et doivent à ce titre être protégées, défendre leur dignité, leur garantir des conditions de vie décentes et les aider à faire valoir leurs droits.
Être là auprès des migrants
L’Europe est confrontée à une situation inédite avec l’arrivée significative de réfugiés. La France s’est de son côté engagée à accueillir 30 000 demandeurs d’asile. Mais il ne faut pas pour autant oublier les autres migrants déjà présents sur le territoire, les déboutés, les exilés en transit, et toutes les autres personnes en situation précaire.
Le Secours Catholique s’engage pour tous, quelles que soient leur confession, leur nationalité ou leur origine. L’accueil de l’autre est au cœur des valeurs de l’association. « Nos équipes et nos bénévoles vont sur le terrain à la rencontre des exilés. Ils apportent aide, conseils et solidarités concrètes », explique Laurent Giovannoni, responsable du département Étrangers au Secours Catholique.
L’idée est d’offrir aux migrants un accompagnement humain et chaleureux pour aider à leurs premiers pas en France, que ce soit par un soutien dans les démarches administratives, l’offre de cours de français ou la mise en place de parrainages. Il s’agit aussi de permettre des moments de convivialité, de rencontre et de partage.
Le Secours Catholique se montre par ailleurs très attentif à la coordination locale et départementale de tous les acteurs (groupes paroissiaux, associations, opérateurs, pouvoirs publics), de telle sorte que les actions d’hospitalité (offres de logements vacants ou autres) soient développées en fonction des besoins des personnes. Ces actions ne doivent pas se substituer au dispositif coordonné par les pouvoirs publics, mais venir en complément.
Urgence à Calais
Pour certains migrants, Calais est une ultime étape avant l’Angleterre. Pour d’autres, une impasse. La « nouvelle jungle », tolérée depuis début avril par les autorités, accueille aujourd’hui près de 6 000 exilés.
La situation d’urgence humanitaire demeure. Des abris doivent notamment être construits pour prévenir l’hiver, et les conditions d’hygiène doivent à tout prix être renforcées.
Vincent de Coninck, chargé de mission "Migrants" au Secours Catholique Pas-de-Calais, et Pierre Gobled, chargé de mission au département urgences France Dom-Tom, présents sur place, nous expliquent comment s’organise progressivement le bidonville. D’un côté, les associations continuent leur mission de médiation pour faciliter la cohabitation des personnes sur place ; de l’autre, les réfugiés font preuve d’une entraide déterminante.
Lire, parler, écrire, une forme d’intégration
À Persan-Beaumont, 70 à 100 personnes participent aux cours d’alphabétisation et de français langue étrangère que propose le Secours Catholique. Pour Jean-Luc Mouly, président du Secours Catholique du Val-d’Oise, ces cours sont bien plus que des leçons de grammaire et d’orthographe.
« Ne pas maîtriser une langue, ne pas savoir écrire, ne pas pouvoir lire est un réel handicap pour toutes les relations sociales et les démarches administratives. C’est pourquoi beaucoup de nos équipes locales ont mis en place des cours d’alphabétisation ou des cours de français langue étrangère (FLE). Certaines proposent des rencontres à deux ou trois personnes pour un suivi rapproché, d’autres donnent de vrais cours avec plusieurs dizaines de personnes.
L’alphabétisation, c’est découvrir une culture, c’est être là face aux questions sur les démarches, c’est mieux connaître les gens que nous recevons. Ceux qui frappent à notre porte veulent mieux comprendre notre société et y trouver leur place. Cette forme d’intégration par la langue est une de nos réponses et elle me paraît fondamentale. »
Malick : dépasser la précarité pour se mobiliser « contre la galère »
Bénévole au Secours Catholique, Malick Kamara, Sénégalais, a connu de longues années de galère en France avant d’être récemment régularisé. Depuis trois ans, il a décidé de donner une partie de son temps pour aider ceux qui, comme lui, affrontent une vie difficile.
En janvier dernier, Malick Kamara a connu une « grande joie ». Après douze ans en France, il a enfin obtenu le sésame, celui qui délivre des tourments de la clandestinité.
À 47 ans, ce Sénégalais a connu des années sombres, entre petits jobs au noir, centres d’hébergement et foyers. Arrivé en France avec un visa de courte durée, son espoir se résumait alors simplement : trouver ici une vie meilleure.
Malick est né en 1967 à Bakel, ville située à l’est du Sénégal. Élevé par des grands-parents cultivateurs, le petit garçon partage son temps entre l’école et les travaux domestiques. « J’en ai labouré, de la terre ! » se souvient-il. Ses parents, il les voit très peu : ils vivent à Dakar, où son père est infirmier. Celui-ci décédera avant que Malick ne revienne dans la capitale pour faire son service militaire.
À Dakar, le jeune homme fait sa place tant bien que mal. Quand il obtient un CDD de gardien au port, il saisit cette occasion pour demander un visa de courte durée pour la France – sans preuve d’un travail au Sénégal, il n’a aucune chance de l’obtenir.
« Je savais que ma situation serait toujours précaire au Sénégal. Avec ce visa, je n’avais que le prix du billet d’avion à débourser. » Bien moins cher que les 6 000 euros que réclament les passeurs aux candidats au départ, dont certains, engloutis par la mer dans leurs bateaux de fortune, ne posent jamais le pied sur la terre promise.
« Tu as ta place ici »
Malick atterrit en région parisienne. Joie d’être en France… et début d’une longue série de déconvenues. Il enchaîne les petits boulots au noir dans la restauration, la plupart du temps comme commis ou plongeur. Il comprend vite que ses employeurs successifs n’ont aucune intention de demander sa régularisation, bien qu’ils puissent le faire au moyen de la procédure dite “d’introduction d’un travailleur étranger en France”.
Il y a deux ans, Malick pousse la porte du Secours Catholique : il ne veut pas être aidé, mais s’y engager comme bénévole. « J’avais beaucoup de temps libre que je voulais mettre à profit. L’assistante sociale du Refuge (un foyer à Pantin dans lequel il était alors hébergé, Ndlr) m’a mis en contact avec le Secours Catholique. J’y ai passé un entretien avec Claude (l’ancien délégué de Seine-Saint-Denis). Il m’a dit : "Tu as ta place ici." Si j’avais ma place, alors il fallait que je la garde ! »
« Dès le lendemain, Malick était à son poste », précise en souriant Marcela, l’animatrice solidarité du département. Avec son naturel désarmant, Malick se fait apprécier tant des salariés et des bénévoles que des personnes accueillies. « Nous n’avons pas présenté Malick comme une personne en situation de précarité, commente Marcela, il est directement arrivé par la case bénévolat. »
Accueilli parmi les chrétiens
Très vite, la confiance s’installe et le nouveau bénévole participe à un voyage d’été à Nantes en tant qu’accompagnateur : il s’occupe notamment des enfants pour permettre aux parents fatigués de prendre du temps pour eux, loin des préoccupations du quotidien.
Une autre fois, c’est en Normandie qu’il arrive pour le temps d’un week-end fraternel. « On avait besoin de quelqu’un de solide qui soit capable d’être le tuteur d’un gars de la rue », explique Marcela. Malick remplit sa mission avec enthousiasme.
C’est avec une émotion particulière qu’il se remémore sa semaine Diaconia à Lourdes. Lui, musulman non pratiquant, accueilli parmi des chrétiens, simplement, chaleureusement... Il n’en revient pas. « Je partageais ma chambre avec quelqu’un qui, tous les soirs, allumait une bougie pour que ma situation s’améliore », raconte-t-il, encore surpris.
« Malick fait partie de ces personnes qui enrichissent énormément la délégation, souligne Marcela. Il nous démontre que ce n’est pas parce qu’on est en galère qu’on ne peut pas se rendre utile : il y a une grande différence entre précarité matérielle et précarité psychologique. »
Samba
Solide, Malick tait ses difficultés, cache ses souffrances. Ceux qui le connaissent bien savent pourtant que sa blessure secrète s’appelle Samba. Un fils de 12 ans qu’il n’a jamais vu. Samba est né au Sénégal quelques mois seulement après le départ de Malick.
« J’ai longtemps espéré pouvoir le faire venir en France avec sa mère », confie-t-il. En fait, il entend ses premiers mots au téléphone, le voit grandir sur un écran d’ordinateur. Maintenant que son père a des papiers, le petit s’impatiente : « Quand est-ce que tu rentres ? »
Aujourd’hui, Malick a un rêve : travailler dur et mettre suffisamment d’argent de côté pour pouvoir ouvrir un restaurant au Sénégal, si possible dans la ville historique de Saint-Louis.
Migrants au Mexique : « Nous voulons les soustraire aux griffes des auteurs des exactions »
Le foyer d’accueil de migrants “72 de Tenosique”, au sud-est du Mexique (à 60 kilomètres du Guatemala), est né après le massacre en août 2010, à la frontière avec les États-Unis, de 72 personnes – dont 14 femmes – originaires d’Amérique centrale et du sud. Son directeur, le frère franciscain Fray Tomas Gonzalez, dénonce, au péril de sa vie, les exactions subies par ces étrangers indésirables.
Quels sont les objectifs de la Maison des migrants que vous dirigez ?
D’abord, l’aide humanitaire. C’est-à-dire assurer le gîte et le couvert à des personnes épuisées (elles sont Honduriennes, Guatémaltèques, Nicaraguayennes, Salvadoriennes…) et, devant supporter, en plus, une température étouffante (40°C en moyenne).
Ensuite, la défense des droits de l’homme, que les violations de ceux-ci s’appellent enlèvements, violences sexuelles ou encore corruption des autorités. À la frontière, elles obligent les migrants, même ceux ayant des papiers, à leur payer un “droit de passage”.
Enfin, nous menons un plaidoyer avec la société civile (travail effectué par les Maisons de migrants [1], membres de la pastorale catholique du même nom) auprès, notamment, des ministères et des élus au Mexique mais aussi aux États-Unis. L’objectif est que ces hommes et ces femmes qui choisissent d’émigrer, au lieu d’y être forcés, ne soient plus l’objet de violences.
Vous dénoncez les « menaces et intimidations » que vous subissez avec votre équipe depuis 2011. Comment se manifestent-elles ?
Sous forme de textos, d’appels téléphoniques ou de menaces physiques directes. Des membres du crime organisé, des “faucons”, comme on les appelle, – présents à la fois dans le narcotrafic et le trafic des êtres humains – s’infiltrent au foyer en se faisant passer pour des migrants. Ces informateurs n’hésitent pas à me faire peur : « Cette nuit, on va venir vous couper la tête ! » Ces intimidations ont pour origine la volonté de l’accueil de soustraire nos hôtes aux griffes de la police de l’État de Tabasco, de la police fédérale, de l’Institut national des migrations, des responsables du crime organisé…
Quelles initiatives prenez-vous face à l’impunité dont bénéficient les auteurs des exactions ?
Nous multiplions les actions de plaidoyer. Par exemple, le 30 octobre dernier, nous avons sans ambages dénoncé auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, à Washington, la corruption dont se rend coupable l’Institut national des migrations, la violence du crime organisé, celle de l’État fédéral.
Cette semaine, en France, nous alertons sous le même angle le Quai d’Orsay, l’Organisation internationale des migrations, la Commission consultative nationale des droits de l’homme, Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme…
Au Mexique, nous faisons pression aux côtés de la société civile (dont des Caritas diocésaines) sur les autorités, par exemple en soutenant la Caravane des mères : quarante mères de migrants (dix Guatémaltèques, dix Honduriennes, idem pour le Nicaragua et le Salvador) traversent le pays du 2 au 20 décembre. Au fil de leur périple, elles rencontrent des responsables politiques, des associations de droits de l’homme et des Maisons de migrants.
Quels résultats avez-vous obtenu ?
On a réussi à faire condamner et incarcérer un fonctionnaire de l’Institut des migrations de l’État de Tabasco pour « traite des êtres humains ». Surtout, la société civile a remporté une victoire très nette en obtenant le licenciement « pour faute » – de fait, pour corruption – de 1 000 fonctionnaires de l’Institut national des migrations !
[1] Le centre “72 de Tenosique” est l’un des onze foyers d’accueil de migrants appuyés par le Service jésuite aux migrants, partenaire local du Secours Catholique.
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