Mobilité : abolir les distances
En 2014, le Secours Catholique a rencontré près d’un million et demi de personnes dans ses accueils. Le regard de l'association s’est plus particulièrement porté sur les difficultés d’accès à la mobilité que beaucoup de ces personnes rencontrent. Le constat est sans appel : la mobilité est un préalable indispensable à l’accès à l’emploi, à la formation, aux soins mais également à une vie sociale et familiale active. Pour favoriser la mobilité des plus précaires, les équipes du Secours Catholique tentent d'apporter des solutions.
La fracture mobilité
Comment avoir une vie sociale quand on n’a ni véhicule ni transports en commun ? Bon nombre de personnes rencontrées au Secours Catholique s’épuisent à chercher des moyens de se déplacer. L’étude sur la mobilité de notre Rapport statistique annuel mesure l’impact de cette perte d’autonomie sur les plus fragiles.
La France compte entre 6 et 8 millions de précaires de la mobilité et jusqu’à 20 % des adultes en âge de travailler ont du mal à se déplacer. La mobilité est un thème émergent. Depuis quelques années, la presse s’y intéresse. Le problème réunit à son chevet des acteurs économiques, politiques et associatifs. En 2013 est créé le Laboratoire de la mobilité inclusive, “think tank” social auquel participe le Secours Catholique.
« La mobilité n’est pas une thématique comme le logement, l’isolement ou l’emploi. C’est une problématique transversale qui a un impact sur chacune de ces thématiques », précise Guillaume Alméras, responsable de l’Emploi et de l’économie solidaire au Secours Catholique.
Alors pourquoi le Secours Catholique y a consacré la moitié de son rapport annuel ? « Dans les statistiques des dernières années, nous avions noté une augmentation des demandes d’aide à la mobilité (carburant, achat de véhicule, permis de conduire), explique Dominique Saint-Macary, auteur du rapport Statistiques paru début novembre. Nous voulions étudier le lien entre pauvreté et difficultés de mobilité. »
L'automobile, un luxe dans les zones reculées
Menée auprès de 4 355 personnes en France (outre-mer compris), proches du Secours Catholique (accueillis, bénévoles, salariés et leur entourage), cette étude révèle un net décrochage en termes de mobilité entre les “actifs précaires” (adultes de moins de 60 ans aidés par le Secours Catholique) et le reste de la population.
Les deux-tiers des actifs précaires interrogés sont sans emploi (chômeurs, RSA, sans-papiers). La moitié seulement ont le permis de conduire, 25 % de moins que les "actifs non précaires" et 20 % de moins que les personnes précaires de plus de 60 ans. Les générations précédentes, même précaires, étaient donc plus mobiles.
Symbole d’autonomie et de liberté, l’automobile devient un luxe. Achat, entretien, stationnement, contrôle technique, assurance, auxquels s’ajoute le coût élevé du permis de conduire (1 600 euros en moyenne), la rendent désormais inaccessible à tout un pan de la population.
En ville, s’il est assez fréquent de ne pas en avoir et de rouler en bus ou à vélo, il n’en est pas de même dans les zones reculées, urbaines ou rurales, où la voiture est obligatoire pour aller travailler, conduire les enfants à l’école, faire ses courses. Actuellement, 40 % des actifs précaires vivant en ville ou en périphérie possèdent une voiture.
Dans les zones isolées, seulement 44% des actifs précaires possèdent une voiture contre 78% des actifs non précaires.
Avec moins de 1 000 euros par mois, il est très difficile d’avoir une voiture, de l’assurer et de l’entretenir : l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) estime à 295 € le budget voiture. Or, la voiture est un complément du logement.
Les loyers peu chers des campagnes ont attiré un public pauvre où l’accès à l’emploi est compliqué, l’accès aux droits limité par la fermeture des services de proximité (médecin, banque, pôle emploi, etc.). Même observation dans l’étalement urbain qui amène les plus pauvres aux dernières extrémités des grandes villes.
Mobilité inversée
Ceux qui n’ont pas de voiture prennent les transports en commun quand ils existent près de chez eux (61 %), presque autant que les actifs non précaires (67 %). Ces derniers (40 %) utilisent plus le covoiturage que les premiers (25 %).
Plusieurs équipes rurales du Secours Catholique ont ainsi mis sur roues des services destinés à aller vers les personnes isolées : cuisines roulantes, épiceries solidaires, taxis à la demande, bibliothèques itinérantes. Mais la mobilité inversée, ce sont aussi des services tels qu’achats, livraisons ou télémédecine effectués via Internet. Autant de pistes pour rompre l’isolement.
Cette étude sur la mobilité tient compte des initiatives prises sur le terrain, depuis le taxi ou le minibus “à la demande” jusqu’aux garages solidaires, en passant par la location de mobylettes. Les auteurs du rapport souhaitent que l’État pense un nouveau schéma national pour la mobilité durable et que les conseils régionaux, qui seront à partir de 2017 chargés de l’organisation du transport ferroviaire (TER) et chefs de file de l’intermodalité et de la complémentarité entre les différents modes de transport, prennent en compte les besoins de tous et en particulier des plus précaires.
« IL FAUT SORTIR DU DILEMME VOITURE-TRANSPORTS EN COMMUN »
Interview de Marc Fontanès, sociologue des organisations et fondateur de l’entreprise sociale Auxilia.
Mobilité et liberté sont-ils synonymes ?
Dans l’esprit de beaucoup de gens, oui. La voiture est le symbole caricatural d’un espace de liberté extraordinaire. On pense toujours mobilité, liberté, flexibilité. Or la réalité est tout autre. Il y a peu de cas où la mobilité est “choisie”. Elle est souvent “contrainte” par la distance entre son lieu de vie et son lieu de travail, par exemple.
Pour faire face à la mobilité contrainte, il faut avoir des moyens financiers (achat d’un véhicule, ndrl) d’une part et cognitifs d’autre part (compétences de conduite, ndlr).
Qui subit l’absence de mobilité aujourd’hui ?
En 2013, 20 % de la population en âge de travailler était confrontée à des problèmes de mobilité, ce qui représente environ 7 millions de personnes. En gros, tous les demandeurs d’emploi, bénéficiaires du RSA, travailleurs précaires ou pauvres. Auxquels on peut ajouter les seniors qui arrêtent de conduire et les personnes atteintes de handicap : physique, sensoriel, psychologique ou psychique, sans oublier le handicap ponctuel. Cette mobilité fragile, contrainte, inclusive, concerne environ 30 % de la population.
Comment améliorer la mobilité de ces personnes ?
En prenant mieux en compte leurs demandes, en construisant des offres et des services en conséquence. Il faut sortir de la dichotomie voiture-transports en commun. Il y a d’autres solutions : voiture partagée, taxis à la demande, vélo, etc. On n’est pas toujours obligé de se déplacer. Si la mobilité est un droit, elle n’est pas non plus une obligation.
Grâce à Internet ?
Pas uniquement. Une multitude d’applications sont en train de se développer rapidement. Début octobre se tenait le Congrès mondial des transports intelligents à Bordeaux, où le numérique était au service de la mobilité. Une petite start-up proposait d’agréger l’ensemble des possibilités de mobilité de tout un territoire : vous êtes ici et vous voulez aller là, plusieurs offres concurrentes sont proposées (selon le temps, le parcours, le prix, l’impact environnemental) et vous choisissez. C’est une solution intelligente.
L’État serait-il incapable de résoudre ces problèmes ?
L’État intervient plutôt par le biais des politiques sociales et de solidarité. Prenons l’exemple de l’accès à l’emploi. Des moyens financiers sont à la disposition de Pôle emploi ou des services qui s’occupent du RSA : ils ont une aide financière à disposition qui s’appelle “l’aide pour le retour à l’emploi”, qui représente plusieurs millions d’euros chaque année.
C’est l’action sociale qui gère ces budgets, pas les services en charge des transports et de la mobilité. Cela pose des questions de transversalité et de bonne utilisation de ces moyens. Un professionnel de l’action sociale ne connaît pas forcément grand-chose à la mobilité.
Que conseilleriez-vous pour améliorer la mobilité ?
De créer une nouvelle instance de gouvernance. Une délégation interministérielle à l’échelle nationale, par exemple. Au plan local, il faudrait considérer la réalité de la vie quotidienne, c’est-à-dire les bassins de vie, les bassins d’emploi. Mettre autour de la table les acteurs concernés, en priorité ceux de l’économie sociale et solidaire qui ont des solutions et qui connaissent les problématiques de territoires.
Ensuite, il existe de nombreuses aides pour l’insertion, l’accès à l’emploi, les seniors, la perte d’autonomie. Or ces aides sont éparses et leurs critères compliqués pour y accéder. D’où un nombre important de non-recours. Il faut simplifier l’accès à ces aides.
Enfin, il y a la question de l’apprentissage. Quels que soient les publics, on rencontre une problématique d’apprentissage de la mobilité. Être mobile, ce n’est pas inné, cela s’apprend. Il faut donc apprendre la mobilité aux personnes qui en ont besoin.
Les vélomoteurs du Berry
Valérie Ballereau est animatrice au Secours Catholique dans le Berry. Pour favoriser l’emploi, son équipe a misé sur plus de mobilité. Elle raconte.
Nous travaillons avec des structures d’insertion qui font appel à nous lorsqu’une personne se trouve dans l’impossibilité de se déplacer pour se rendre à son travail. Nous avons actuellement 11 vélomoteurs et 11 personnes en bénéficient
Un bénvole référent reçoit les candidats à ce service, vérifie que le vélomoteur est bien emprunté pour des raisons professionnelles et s’assure que la participation demandée est versée. Cette participation est de 5 euros par semaine ou de 20 euros par mois.
Les bénéficiaires du service ont à leur charge l’entretien et le carburant nécessaires au vélomoteur. Mais la révision, l’assurance et les grosses réparations restent à la charge du Secours Catholique. Grâce à ce service, plusieurs bénéficiaires ont décroché un CDI et pu s’acheter une voiture personnelle.