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À Lussac en Haute-Vienne

Oubliés de nos campagnes

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Chapô
Un horizon dégagé, un environnement verdoyant, des loyers peu chers… Entre Poitiers et Limoges, la campagne haut-viennoise offre un cadre de vie enviable qui attire nombre de retraités et familles. Mais certains ménages se retrouvent rapidement pris au piège, isolés dans des endroits désertés par les médecins, les commerces et les services, où l’offre de transports publics est inexistante.
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C’est l’histoire d’un retour aux sources. Corinne Mauduit avait quitté Lussac-les-Églises en 1964 - « J'avais 18 ans ». Elle est revenue y vivre en 2001, à l’âge de 55 ans, jeune retraitée d’un poste de secrétaire chez Thomson CSF (devenue Thales en 2000) à Paris. « Je voulais me rapprocher de ma mère, j’ai acheté une maison à côté de chez elle pour m’y installer. » 

Après 37 ans, le village situé dans la campagne haut-viennoise, à équidistance de Limoges, Châteauroux et Poitiers, n’est plus celui de son enfance. Quand elle y a grandi, il y avait davantage d’habitants, « plus de jeunesse », plus de commerces, plus de travail aussi - « avec la mine de charbon », évoque la septuagénaire.

Au début des années 2000, elle retrouve un village qui « dort un peu ». La mine a fermé, comme nombre de services et commerces, la population a considérablement diminué et vieilli. Ces vingt dernières années, la commune a continué de s’enfoncer dans une légère léthargie. « Beaucoup d’habitants, des personnes âgées, ont disparu », raconte Corinne. Et à la longue liste des fermetures sont venues s’ajouter celles des deux merceries, des deux boucheries et des trois épiceries que comptait le centre-bourg, celles également d’un garage et d’une boulangerie. Le notaire non plus n’a pas été remplacé et les permanences hebdomadaires du Crédit agricole et du Crédit lyonnais ont cessé. Le dernier départ en date est celui du médecin qui a pris sa retraite en 2019.

« Tout est à Limoges »

Georges Rey, éleveurs de brebis et maire délégué du village de Saint-Barbant, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Lussac, a observé ces trente dernières années la désertion de la région par les habitants, les commerçants et les services publics. L’élu local y voit les effets à la fois du déclin de l’activité économique, du manque d’attractivité d’un territoire enclavé et d’une stratégie de rationalisation financière des administrations.

« Avant, le tribunal était à Bellac, à 20 km d’ici, le cadastre aussi. Les impôts étaient à Mézière-sur-Issoire, à 10 km… Désormais, dès que vous voulez avoir une administration, tout est à Limoges, à 70 km », explique l’agriculteur. De même, poursuit-il, « le chef-lieu de canton a longtemps été Mézière, aujourd’hui c’est Bellac. Et le conseil régional s’est déplacé de Limoges à Bordeaux. Les décideurs politiques aussi sont loin, ce n’est pas anodin. » Faisant écho à ses propos, une affiche scotchée sur la porte de la salle municipale invite les Saint-Barbanteaux à venir rencontrer leur députée dans sa permanence au 45 rue Cruvheilhier… à Limoges. 
 

Au Dorat.
Au Dorat.


Cet éloignement et cette « nécessité d’aller beaucoup plus loin pour faire les courses, voir un médecin, pour trouver du travail, pour tout » dissuade beaucoup de familles de venir s’installer ici, regrette Corinne Mauduit, à Lussac. « Et ensuite tout suit : s’il n’y a pas de population plus jeune, comment recréer du dynamisme économique et social ? Et s’il n’y pas de dynamisme, comment ouvrir des commerces ? Comment créer des emplois ? Comment attirer un médecin ? »

Évidemment, le tableau n’est pas monochrome. Lussac compte encore aujourd’hui une poste, une pharmacie, un cabinet d’infirmières, un marchand de journaux, un garage, une caserne de pompiers, un restaurant et un bar à bière ouvert dans l’ancienne gendarmerie par un jeune couple belge, deux coiffeurs, une supérette, une boulangerie et surtout une école où deux classes accueillent les enfants des environs. Pour certaines démarches administratives, un espace France Services a été récemment inauguré. « C’est un épicentre ici, précise Corinne. Les gens viennent de 15 km à la ronde car dans les autres communes ils n’ont plus rien. » 
 

Malgré ce qu’on pense, ça vit encore.


Parmi ces « gens », apparaissent de nouveaux venus, dont beaucoup d’Anglais, de Hollandais et de Belges. Des retraités pour la plupart, mais aussi des « jeunes quinquagénaires », observe Corinne. « Mais la plupart repartent car ils ne trouvent pas de boulot. » À Saint-Barbant aussi, « les populations bougent. Malgré ce qu’on pense, ça vit encore », nuance Georges Rey. L’élu se réjouit d’avoir célébré six mariages depuis son élection en mai 2020, notamment des unions mixtes franco-anglaises, sans compter les Pacs.

La disparition de personnes âgées du village ou le départ d’habitants en Epadh ou pour « des endroits où il y a plus de services » est légèrement contrebalancé par l’arrivée de retraités mais aussi de jeunes couples avec enfants, « souvent dans le cadre d’un projet de création ou de reprise d’exploitation agricole ». Car la région attire malgré tout. « Nous sommes sur un territoire agréable à vivre », rappelle ce natif de la Haute-Garonne, installé ici depuis trente ans. Ce qui rend, selon lui, le manque de services, de commerces et d’activité économique d’autant plus regrettable. 

Mise au vert

« C’est beau, hein ? » Accoudé à son balcon, Cathy, 56 ans, nous fait profiter de la vue plongeante sur la campagne alentour : des prairies verdoyantes s’étendent en contrebas, parsemées d’arbres et bordées de bosquets. Cathy et quatre de ses enfants sont venus en septembre 2022 s’installer ici, à Jouac, un village d’un peu moins de 200 habitants, situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Lussac-les-Églises. Ils sont arrivés tout droit de Guingamp, dans le Morbihan, où ils habitaient une « maison insalubre » dans un quartier « craignos ». Les mauvaises relations avec la propriétaire de la maison qu’ils louaient, un environnement « de plus en plus anxiogène » et deux coups durs survenus en 2022 - un infarctus pour Cathy et la détection d’un cancer chez sa fille Andrea, âgée de 23 ans -, ont déclenché une envie de partir.

« Mon projet était de réunir mes enfants dans une grande colocation pour partager du temps ensemble et se serrer les coudes », explique la mère de famille. Dans ses recherches de maisons sur internet, Cathy ne cible pas de zone en particulier. « J’ai juste coché 5-6 chambres et visé un loyer entre 1000 et 1200 euros qu’on devait partager en quatre. Il fallait aussi trouver quelqu’un qui accepte de louer à une allocataire de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). » C’est donc un peu par hasard, qu’elle et ses enfants atterrissent au cœur de la campagne haut-viennoise. « Un coin tranquille, idéal pour changer d’air et se mettre au vert. »
 

s’il y a des bus, c’est jouable.


Initialement, la famille devait être véhiculée, grâce à la voiture de l’une des filles, âgée de 27 ans. Mais cette dernière s’est désistée au dernier moment, préférant rester en Bretagne. La présence d’arrêts de bus sur les photos de Google Map avait cependant rassuré Cathy. « Je me suis dit : "S’il y a des bus, c’est jouable". » En arrivant sur place, elle réalise que ces arrêts ne sont desservis que par les cars scolaires et qu’aucun service de transport collectif ne relie Jouac aux communes environnantes. Autre déconvenue, l’impossibilité de trouver un médecin traitant. « J’ai appelé tous les médecins du coin. Il n’y avait pas moyen. Ceux qui restent sont débordés, ils ne prennent pas de nouveaux patients », explique Cathy. Sa fille Andrea a, elle, trouvé au Dorat, à 27 km de Jouac, par l’intermédiaire de l’hôpital de Limoges où elle est suivie. « Ils ont fait valoir que j’étais un cas prioritaire », précise-t-elle. Finalement, à la demande du cardiologue limougeaud de Cathy, ce même médecin a exceptionnellement accepté au bout de quelques mois de la suivre également. 
 

Cathy et sa fille Andrea.
Cathy et sa fille, Andrea.


Un an après leur installation, Cathy et ses enfants ont fortement déchanté. L’absence de moyens de mobilité rend tout compliqué. « Le maire du village, sympa, nous a proposé de nous emmener faire des courses si on avait besoin. On l’a sollicité une fois, mais on ne veut pas abuser. » Depuis quatre mois, Cathy fait parfois appel à la plateforme Mobilité solidaire (MSO), un service de chauffeurs bénévoles lancé en 2022 par le Secours Catholique en partenariat avec des mairies et des structures et associations locales. « Ça nous permet, pour 15 euros, d’aller faire des courses mensuelles au Leclerc de La Souterraine, à 25 km d’ici. » Une initiative bienvenue, juge-t-elle. « Mais ça a quand même un coût, ça se prévoit à l’avance et il faut qu’un bénévole soit disponible. Et puis c’est gênant de dépendre autant des gens. »

Alors la gestion au quotidien oscille beaucoup entre système D et solutions onéreuses. Il est arrivé plusieurs fois à Andrea ou à ses frères de se rendre à pied au Carrefour express de Saint-Sulpice-les Feuilles, à 11 km, ou au magasin Spar de Lussac, à 10 km. « Une fois, mon fils aîné, Adrien, âgé de 33 ans et qui a des problèmes cardiaques, a fini aux urgences. Il avait fait deux aller-retour à Saint-Sulpice dans la semaine », raconte Cathy. Autre option : le taxi. « Ça nous arrive parfois, notamment la semaine dernière pour aller chercher les injections mensuelles de ma fille à la pharmacie qui ne livre pas. À chaque fois c’est 40 euros ! » Il y a enfin la possibilité de se faire livrer. Mais l’offre est réduite et là encore souvent chère.

Ce problème de mobilité a des conséquences multiples. « Mon traitement pour le coeur produit des effets secondaires, il faudrait, par exemple que j’aille faire des échographie du foie à Limoges. Mais 200 euros de taxi non remboursés je ne peux pas me le permettre, donc je ne le fais pas », explique Cathy. L’accès à l’alimentation aussi s’en trouve impacté. « Au Spar ou au Carrefour express, le choix de produits frais est très limité et ça coûte trop cher. Leader Price ne livre que des produits secs… Du coup on se nourrit beaucoup de pâtes et de conserves, très peu de fruits et légumes frais, décrit Cathy. Ce qui est problématique vu nos états de santé. »

Voisinage

Le manque de transports publics, couplé à la disparition croissante de services et commerces à proximité, aggrave des situations de précarité et d’exclusion. « C’est un vrai problème dans un territoire où une part importante de la population est pauvre et souvent âgées », souligne Georges Rey. 

« Avoir des relations sociales, c’est primordial. Je m’en rends compte maintenant que je ne vois plus personne », confie Monique Thiriat, âgées 72 ans et installée depuis 35 ans dans la maison de crépis bleu qui fait face à la mairie de Saint-Barbant, à l’entrée du village. Après avoir vécu la fermeture du restaurant - « qui était excellent et pas cher, il y avait beaucoup de monde le midi » -, puis de l’épicerie - « un lieu de rencontre » -, et ainsi la désertion progressive du bourg, Monique a vu, ces dernières années, son voisinage se réduire à peau de chagrin. « Certains sont morts, d’autres ont déménagé à Saint-Sulpice pour se rapprocher des services car ils commençaient à peiner avec la voiture vu le coût du carburant. »
 

A Saint-Brabant.
Devant chez Monique Thiriat, à Saint-Barbant.


C’est toute une vie sociale faite de visites impromptues et de petits services rendus qui a disparu. « J’achetais le fioul de chauffage avec eux pour mutualiser le coût de livraison. » Elle pouvait aussi profiter d’un trajet en voiture ou parfois de choses plus insignifiantes mais qui aujourd’hui lui manque cruellement. Une fois par mois, Monique se rend au Carrefour Market de Bellac pour faire des courses. Incapable de prendre le volant, depuis une fracture du bras survenue il y a 6 ans et dont elle s’est mal remise, elle doit demander à son aide-ménagère de l’emmener. « Ça me revient à deux heures de service, 45 euros, plus le coût du carburant. » Faute de pouvoir conduire, elle a dû également renoncer aux balades dans la campagne qu’elle affectionnait. Désormais assignée à résidence, où elle s’occupe en lisant et en regardant la télévision, Monique se sent isolée. « C’est gênant d’habiter un endroit où il n’y a rien », dit-elle.
 

les galères ont pris le pas sur tout le reste.


À Jouac, Cathy s’est résolue à repartir. Elle a fait des demandes de logement sociaux à Limoges, en Bretagne et dans le Nord d’où elle est originaire. Tant pis pour la magnifique vue depuis le balcon. « Aujourd’hui, on ne fait même plus attention, les galères ont pris le pas sur tout le reste », se désole la mère de famille.

Au Dorat, à 26 km de Jouac, Robin Coustou aurait pu prendre la même décision. Arrivé en septembre 2021, attiré par les loyers moins chers et une opportunité de travail dans la commune voisine de Bellac (à un arrêt de train), ce jeune homme de 29 ans, originaire de l’Essonne, a connu un gros passage à vide. Ayant quitté au bout d’un an son poste de surveillant de collège, suite à une réduction des effectifs, il s’est trouvé confronté à l’immense difficulté de trouver un emploi dans la région lorsqu’on n’est pas véhiculé. « Au Dorat, je n’ai pas repéré d’offres. À Bellac, j’ai candidaté à des postes dans le bâtiment et l’industrie, mais visiblement mon profil ne correspond pas. Il y avait des opportunités dans d’autres communes mais qui ne sont pas accessibles en train. Sans bus, comment m’y rendre ? »

calme et horizon dégagé

Après plusieurs mois de chômage, avec sa femme Aminatou enceinte, la situation est devenue critique. « Pour s’en sortir, on a notamment rogné sur notre alimentation, en quantité et en qualité, précise Robin. Surtout qu’ici, il n’y a qu’un Intermarché avec peu de choix et où c’est cher. » Mi-septembre, un gros coup de pouce de son père a contribué à débloquer la situation. « Suite à la naissance de notre fille, il nous a offert une voiture. Ça a ouvert des portes pour le boulot », se réjouit le jeune homme. Il vient d’adhérer à une association d’insertion par l’activité, et doit bientôt débuter un stage à l’usine Aréolis de Bellac. De son côté, Aminatou vient de signer un CDI d’aide à domicile, au Dorat.

Le jeune couple s’imagine bien rester vivre ici. « Plus le temps passe, plus j’apprécie, confie Aminata. Je trouve que c’est un bon cadre pour éduquer nos enfants. » Robin approuve. « Pour avoir vécu en banlieue parisienne, je goûte ici au calme et à l’horizon dégagé. C’est apaisant, assure-t-il. Et puis au Dorat, poursuit le jeune homme, « il y a quand même des médecins, des commerces de proximité qui induisent du lien social. Ça vit bien plus que là où j’ai grandi dans l’Essonne où, à part un grand centre commercial, il n’y avait rien. »

Crédits
Nom(s)
Benjamin Sèze.
Fonction(s)
Journaliste.
Nom(s)
Sébastien Le Clézio.
Fonction(s)
Photographe.
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