“Permis de réussir” : conduire pour retrouver confiance
« Tu es prête ! C’est un sans-faute, bravo ! » s’exclame Odile, passagère et "marraine bénévole" d’Emmyrose, 21 ans, qui sort fièrement de la voiture garée sur un parking de Saint-Chamond, près de Saint-Étienne. « Je crois que c’est la meilleure heure de conduite que j’ai faite. Je me sens prête pour demain ! » approuve la jeune femme. Demain, elle passe son permis.
Elle comme Odile ont connu un peu par hasard l’initiative “Permis de réussir” proposée par la mission locale du Gier Pilat et l’antenne du Secours Catholique de Saint-Chamond.
Voilà deux ans qu’Emmyrose a arrêté les heures de conduite à cause d’une relation difficile avec un des moniteurs d’auto-école de la ville. À 21 ans, la jeune femme se retrouve dans l’obligation d’avoir son permis pour décrocher une alternance dans le cadre d’un CAP en communication.
« Même si mon CV intéresse des entreprises, on me répète au téléphone : “Comment être sûr que vous arriverez à l’heure, ou que vous arriverez tout court, si vous n’avez pas le permis ? ”. C’est comme le Bac, quelle autonomie je peux avoir dans ma vie si je n’ai pas mon permis ? » s’inquiète-t-elle.
Emmyrose fait partie des six jeunes suivis au sein du dispositif lancé en février 2019. Ils sont encadrés par des bénévoles rebaptisés “parrains” et “marraines” de conduite.
Odile est devenue marraine en mai 2019 : « Je me considère comme un parent qui serait en conduite accompagnée avec son enfant : pas de double pédale, juste un rétro supplémentaire pour la visibilité ! » Stressant au début, mais cela fait partie du jeu.
Pascale Scalliet est la première à se féliciter chaque jour de l‘investissement des bénévoles. C’est elle, animatrice du Secours Catholique à la délégation de la Loire, qui a donné vie au « Permis de réussir ».
Le point de départ en est une rencontre en 2016 avec la précédente directrice de la mission locale : « Nous nous sommes rendu compte que nous étions toutes les deux préoccupées par la problématique de la mobilité des jeunes en zone périphérique. On ne peut pas dire qu’on est en zone rurale ici, mais la vallée du Giers fait partie de ces territoires économiquement marginalisés ».
Pour les 35 000 habitants de Saint-Chamond, la grande ville la plus proche est Saint-Étienne, puis Vienne, puis Lyon à une heure de route en voiture.
Déjà investie sur des projets de transports solidaires, l’animatrice décide donc d’aller plus loin pour accompagner des jeunes. Elle trouve l’inspiration à Quimper, où la mission locale mène depuis onze ans un dispositif de conduite supervisée. Des bénévoles supervisent des séances de conduite de jeunes qui ont déjà été formés 20 heures en auto-école, afin de les accompagner jusqu’au permis, sur le modèle de la conduite accompagnée.
« Ici, le permis, c'est le sésame pour l'emploi. »
Après un aller-retour inspirant en Bretagne en 2016, Pascale Scalliet mène un grand travail pour trouver des partenaires aux alentours : « La sécurité routière départementale a tout de suite cru en notre projet, se souvient-elle. On a ensuite diagnostiqué les besoins auprès de différentes structures, ici dans la vallée du Giers, pour voir si un tel dispositif leur semblait être une réponse à la problématique de mobilité des jeunes. »
Car pour elle, ces derniers sont pris dans un cercle vicieux : « Les jeunes ont besoin du permis pour trouver du travail. Mais les seuls boulots qu’ils peuvent avoir - souvent pour payer leur permis - sont précaires, et ne leur permettent pas de planifier des leçons de conduite régulières. Souvent, la formule auto-école n’est pas adaptée. Or ici, le permis, c’est le sésame pour l’emploi. »
Selon les chiffres de la sécurité routière départementale, il faut en moyenne 36 heures de conduite pour avoir son permis de conduire. Pour un montant moyen de 1650 euros. « Je me suis complètement ruinée dans ce permis : j’ai dépensé 2000 euros et... je ne l’ai toujours pas ! » lance Tatiana dans un grand éclat de rire, qui révèle cependant un véritable combat…
Il y a trois ans, Tatiana part en crise de panique pour la deuxième fois lors de son second passage de permis : « Ça s’est très très mal passé, raconte-t-elle. J’ai beaucoup paniqué au point même que ma santé en a pris un coup pendant les mois qui ont suivi. Après cet épisode traumatisant, j’ai posé les clés et je n’ai plus touché de voiture pendant trois ans… »
Aujourd’hui la jeune femme veut partir dans une école d’art au Québec. Pour la financer, il lui faut un travail, donc une voiture, car elle habite un petit village à dix minutes de Saint-Chamond. « Je ne peux plus imposer à ma famille de payer mon permis. Nous sommes cinq adultes à la maison, mes deux petits frères essaient de travailler, mes parents ont des problèmes de santé, c’est à moi de prendre le relais maintenant”.
repli social et manque de confiance en soi
André est le "parrain" de Tatiana. Enseignant à la retraite, il n’a pas hésité en voyant l’appel à bénévolat du "Permis de réussir" dans le journal local. Il voulait « continuer à se rendre utile auprès de la jeunesse ». Depuis plusieurs mois, il aide la jeune femme à reposer les mains sur le volant.
Mais surtout… à reprendre confiance en elle : « Ces jeunes filles, car ce sont principalement des filles qui ont recours au dispositif, font face à de grandes difficultés sociales ; elles vivent dans un cocon fermé, parfois elles sont livrées à elles-mêmes, il n’y a pas de discussion ni d’échanges dans la famille. On remarque un immense manque de confiance en soi » Ces jeunes font également peu de sorties.
« L’autre fois, en conduisant dans la campagne environnante, une jeune découvrait le paysage, elle trouvait ça magnifique » sourit André à ce souvenir. Et ces jeunes femmes ne tarissent pas d’éloges sur les quatre bénévoles encadrant.
« Les parrains sont hyper rassurants ! De savoir qu’ils prennent du temps pour nous, plusieurs fois par semaine car ils sont à la retraite, ça suffit à se dire qu’on peut avoir confiance en nous, qu’ils croient en nous. On me considère quoi ! s’exclame joyeusement Tatiana.
Neuf mois après le lancement du dispositif, le pari semble réussi. « J’espère que l’action va essaimer », avance Pascale Scalliet. Mais du travail reste à faire : entretenir une relation cordiale avec les auto-écoles, faire connaître l’initiative aux jeunes, recruter des bénévoles et démarcher des partenaires financiers pour, notamment acheter une deuxième voiture…
« L’objectif est clair, poursuit Pascale Scalliet, c’est l’obtention du permis. On accompagne à cela. Mais même si certains candidats le ratent, je me dis qu’'elles seront sorties de leur isolement social, forts des échanges nourris dans la voiture ».
Pour Safia, croisée alors qu’elle revient d’une heure de conduite, le permis : « ça va changer ma vie ! Mais surtout je pourrai aider ma mère qui galère tous les jours dans les bus ». Le lendemain, c’est jour de fête à la mission locale : Emmyrose a eu son permis.