Précarité énergétique : quand la rénovation change la vie
Reportage dans l'Oise
« Wahou, c’est chouette ! » s’exclame Clarisse devant les premières flammes qui grandissent au fond du poêle à granulés tout juste installé dans la grande pièce à vivre de sa maison des Ageux, près de Pont-Sainte-Maxence, dans l’Oise. « Je n’en reviens pas comme ça chauffe vite ! Il va falloir qu’on s’habitue à cette nouvelle température ! » Aux côtés de la jeune femme de 33 ans, ses deux plus jeunes enfants - Daniel, 3 ans, et Madison, qui marche encore à quatre pattes - sont eux aussi captivés par le spectacle.
Bénévole au Secours Catholique de l’Oise, Christian assiste également au point d’orgue d’un chantier de rénovation intensif qu’il a suivi de près. « Depuis le démarrage des travaux, je passe une fois par semaine, explique le retraité. Tout s’est bien goupillé, c’est du bon travail. Il y a eu un petit moment de découragement, au début, mais ça n’a pas duré… N’est-ce pas, Clarisse ? »
Le temps de la question, la mère de famille a disparu. Ce jeudi après-midi de janvier, l’agitation est générale, de l’installateur du poêle qui fait les premiers réglages aux ouvriers qui terminent le remplacement des fenêtres et des gouttières, en passant par les enfants, dont il faut surveiller les jeux au milieu des outils.
La première fois que Christian et Clarisse se sont rencontrés, c’était lors du diagnostic thermique effectué avec l'association picarde Réseau Éco-Habitat, dont le Secours Catholique est partenaire. « Je voyais votre visage se décomposer au fur et à mesure de la visite de la maison ! », se souvient Clarisse. Elle en sourit aujourd’hui, mais pas à l’époque.
Et pour cause : la maison de 110 mètres carrés de plain-pied, dont son compagnon Stéphane et elle ont hérité et qu’ils occupent depuis huit ans, est en mauvais état : très mal isolée (murs, combles, toiture), humide, elle est chauffée par de petits radiateurs électriques et une cheminée, dont l’insert est défectueux. La famille risque à tout moment l’incendie ou l’intoxication au monoxyde de carbone.
L’hiver, le thermomètre a bien du mal à grimper. « On jonglait avec les radiateurs et un poêle à pétrole, afin d’avoir une température acceptable. Bien souvent, on avait entre 12 à 14 degrés au réveil. Il est arrivé que cela ne dépasse pas 10 degrés dans la chambre de notre fils aîné. Difficile, dans ces conditions, de suivre à l’école. Forcément, il était fatigué ! » Clarisse insiste : « Entendre constamment ses enfants se plaindre qu’ils ont froid, c’est pesant. »
Pesantes également, pour le budget du ménage, les factures d’électricité. Elles atteignent régulièrement 250 euros par mois – jusqu’à 279 euros – quand les ressources du couple dépassent à peine 1000 euros. Une fois toutes les charges payées, il reste 400 euros pour faire vivre la famille. « On fait des sacrifices sur l’alimentaire, les vêtements, les sorties, explique Clarisse, adepte de la "seconde main" et du "fait maison". Seulement des sorties gratuites et pas loin, au parc, dans les brocantes… ».
Le couple se demande comment sortir de l'impasse. « Financièrement, c’était impossible de nous lancer dans des travaux, et côté paperasse, c’était galère », reconnaît Stéphane, le père de famille, qui a monté son activité de carrossier en autoentreprise, mais, faute d’activité suffisante, ne se dégage pas de salaire. « Pour nous, il y avait autant de chances de gagner au Loto que de pouvoir faire ces travaux ! », confirme Clarisse.
Néanmoins déterminée à trouver une issue, la jeune femme a constitué un premier dossier auprès de l’Agence national de l'habitat (Anah), via un organisme agréé. Mais la conclusion lui a fait l’effet d’un coup de massue : environ 30 000 euros resteraient à la charge du couple. « Avec ce plan de financement, on allait droit dans le mur ! ».
C’est finalement l’assistante sociale de Clarisse qui l’oriente vers Éco-Habitat. L'association constate tous les jours la méfiance des ménages et leur désorientation dans le maquis des aides à la rénovation (programme Habiter mieux de l'Anah, isolation des combles à 1 euro, écoprêts...).
« Les gens pensent que ce n’est pas possible de réaliser pour plus 30 000 euros de travaux ; ils n’y croient pas. Alors il faut leur démontrer le contraire. De l’argent il y a en, des dispositifs, aussi. Reste à mettre les personnes en confiance », explique Franck Billeau, son fondateur.
accompagnement de a à z
Pour guider les particuliers dans leur projet, l'association s’appuie sur le maillage bénévole du Secours Catholique dans la région et son savoir-faire dans l’accompagnement des situations de précarité. Christian et Maxime André, coordinateur du projet pour Réseau Éco-Habitat ont ainsi rassuré Clarisse. « Ils m'ont dit que cette fois le projet de rénovation irait jusqu’au bout, que d’autres aides que celles de l’Anah existaient et que j’allais être accompagnée de A à Z. », raconte-t-elle.
Le diagnostic fouillé prévoit une enveloppe de travaux s’élevant à un peu plus de 40 000 euros. Après sollicitation de tous les dispositifs auxquels le couple peut prétendre – dont une subvention du Secours Catholique – le reste à charge se monte finalement à 6 000 euros, qu'il est en capacité de rembourser sur cinq ans, via des prêts CAF.
« Il existe beaucoup d’aides, mais elles sont morcelées, distribuées par une diversité d’acteurs (organismes privés, associations, collectivités…), insiste Franck Billeau. Ce mille feuille fait que ces aides sont très difficilement captables par les gens en précarité qui ont besoin que 90 % de leur chantier de rénovation soit pris en charge. »
Un chantier qui est devenu réalité, à la mi-décembre, pour Clarisse et Stéphane, avec l’arrivée des ouvriers. Un vrai jour de fête, se souvient Clarisse, faisant défiler les photos sur son téléphone.
Réfection complète de la toiture, changement des fenêtres, isolation des plafonds, rénovation de la salle-de-bain… Au bout de quelques semaines, le changement était déjà perceptible.
« On utilisait trois fois moins de bidons pour le poêle à pétrole », témoigne Clarisse. « C’est incroyable ! On n’est plus congelés en se levant ! », renchérit Stéphane. Avec l’arrivée du poêle à granulés, les factures énergétiques du couple devraient s’alléger de moitié. « On devrait en avoir pour 500 euros de granulés à l’année », précise Clarisse.
rester en lien
Seul point d’amertume dans cette aventure, des réactions de téléspectateurs à la diffusion sur une chaine d’information d’un reportage sur leur situation. Clarisse n’a pas apprécié qu’on lui fasse la leçon. « Certains ont critiqué le fait que nous coupions le chauffage en journée pour ne le remettre que le soir, sous prétexte que ce n’était ni économique ni écologique. Ça m’a agacée ! Comment ne pas couper le chauffage quand on vit dans une maison passoire ? »
Bientôt, le chantier définitivement achevé, Christian n’aura plus de raison de s’arrêter rendre visite à la famille des Ageux. Pourtant, confie le bénévole, une pointe d'émotion dans la voix, « nous allons rester en lien, car si on devait ne plus se voir, ça me ferait quelque chose ». Clarisse confirme : « On est devenus des amis ! ». De la froideur d’un habitat mal isolé à la chaleur d’une amitié, il n’y a qu’un pas.
CHÈQUE ÉNERGIE ET RÉNOVATION DES "PASSOIRES" THERMIQUES : LE COMPTE N'Y EST PAS !
« Le chèque énergie a été généralisé en 2018, après deux ans d’une expérimentation qui a hélas montré que 20% des ménages ne l’utilisaient pas, de même que l’attestation couplée à renvoyer et qui permet aux foyers en difficulté de ne pas être coupés l’hiver en cas d’impayé.
Au vu de ce non-recours élevé, le Secours Catholique a demandé aux pouvoirs publics que les causes puissent en être approfondies. Un rapport met en lumière, entre autres, que le courrier accompagnant le chèque énergie n’est pas lu intégralement (et pour cause, il fait 7 pages !) et qu’il peut par ailleurs être confondu avec un prospectus et jeté à la poubelle… Quant à l’attestation, elle s’avère absconse. Un nouveau courrier a été préparé pour accompagner l'envoi du chèque au printemps 2019, mais il ne tient que très peu compte de ces remarques.
Quant à son montant, revu à la hausse à 200 euros (en moyenne) et étendu à 5, 6 millions de ménages (contre 3,6 millions jusque-là), il reste largement insuffisant. Nous plaidons pour qu’il atteigne au moins 600 euros. La facture moyenne de chauffage des ménages en situation de précarité énergétique s’élève à 1300 euros par an environ. De la même façon que les personnes à faibles revenus perçoivent des APL qui couvrent 30 à 40% du montant de leur loyer, il faudrait une aide au chauffage dans les mêmes proportions.
Le plan de rénovation des passoires thermiques, lui, n’est pas à la hauteur, sur une trajectoire très éloignée des objectifs fixés par la loi de transition énergétique de 2015*. L’effort d’organisation pour les atteindre n’est pas fait ! Pour les propriétaires occupants pauvres, qui habitent des logements anciens, souvent en milieu rural, les aides publiques existent, mais elles sont peu utilisées. Entrer dans ces dispositifs représente un risque pour ces ménages, et un accompagnement social est nécessaire. Mais il a un coût, et, aujourd’hui, ce coût n’est pas prévu.
Le problème est encore plus criant pour les locataires (le parc locatif constitue une grande partie des 7,5 millions de passoires thermiques recensées) car les bailleurs ne veulent pas dépenser de l’argent pour une rénovation dont ils ne vont pas percevoir immédiatement les bénéfices. Il faut donc les inciter, puis les contraindre à entreprendre ces travaux, en leur disant : vous avez dix ans, ensuite, il y aura des amendes !
Le plan de rénovation doit donc être complété, car en l’état, il ne change rien ou presque pour les plus pauvres. »
* 500 000 logements par an à partir de 2017, dont au moins la moitié à destination des occupants aux revenus modestes – soit 120 000 dans le parc social et 130 000 dans le parc privé.