Prison : « On peut être un bon père, même en détention »
12h15. Les premières mamans arrivent avec leurs enfants à la “Mezzanine”, un lieu d’accueil pour les proches des personnes détenues, tenu par Caritas Alsace et situé à l’entrée de la maison d’arrêt de Strasbourg. Ces femmes connaissent bien cet espace où elles peuvent se rendre les mercredis et samedis, avant ou après leur visite au parloir. Ici l’ambiance est chaleureuse : on y trouve des canapés, de petites tables et chaises, du matériel de peinture ou encore des jeux de société. Des dessins d’enfants décorent les murs.
Anne, bénévole à Caritas Alsace, s’installe aux côtés de deux enfants âgés de 9 et 5 ans qui font des dessins pour leur papa détenu. La plus jeune esquisse un arbre, des oiseaux et une rivière. Cela fait trois ans que les deux petits viennent voir régulièrement leur père en prison. Prisca*, la maman, les regarde avec tendresse : « C’est important qu’ils aient ce temps avec leur papa sans moi, confie-t-elle. Eux aussi ont le droit de profiter normalement de leur papa, comme tout le monde. Parfois, ils se sentent punis d’avoir leur père en prison. Ça les aide de voir ici d’autres enfants comme eux, ils voient qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ça. » Anne acquiesce : « Ces enfants sont des victimes collatérales dont la société n’a pas conscience. Je suis ici pour les écouter et les soulager. »
Mes enfants ont besoin de leur papa pour grandir correctement, même s’il est dedans et eux dehors.
Le temps entre parents détenus et enfants prévu cet après-midi a été conçu dans l’intérêt de l’enfant : il s'agit de lui permettre de vivre un moment heureux avec son parent incarcéré. C’est pour cela que les bénévoles ont pris soin toute la matinée d’aménager la salle polyvalente à l’intérieur de la prison pour en faire une « salle des fêtes », selon Anne, avec jeux, déguisements, table de bricolage, tapis et buffet garni.
Car l’idée est que l’enfant a aussi besoin de ce parent-là dans sa construction identitaire. « On peut être un bon père, même en détention, explique Gaëlle Lhermitte, coordinatrice des activités prison à Caritas Alsace. Notre temps parents-enfants veille à humaniser la personne incarcérée, à ne pas la réduire à sa condition de détenu, et à mettre en valeur ses compétences humaines. » . Naima*, jeune maman qui s’apprête à laisser ses deux enfants de 7 et 3 ans pour la première fois, ne dit pas autre chose : « Mes enfants ont aussi besoin de leur papa pour grandir correctement, même s’il est dedans et eux dehors. Il peut être un grand criminel, il reste leur papa. »
13h15. Nouria Mansouri, responsable salariée de la “Mezzanine”, prend la parole. Cet après-midi-là, neuf détenus (huit hommes et une femme) ont demandé aux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation de pouvoir participer à ce temps avec leurs enfants âgés de 2 à 15 ans. Nouria rassure les mamans sur le fait que les bénévoles vont accompagner leurs enfants à l’intérieur de la prison, sans jamais rencontrer d’autres détenus. « Les couches et le goûter sont prévus mais vous pouvez nous laisser les doudous », précise-t-elle. C’est l’heure de dire au revoir aux mamans, parfois dans les pleurs.
Puis Nouria et six autres personnes de Caritas Alsace accompagnent les enfants à l’intérieur de la maison d’arrêt, après avoir préalablement fait contrôler toutes les cartes d’identité. La quinzaine d’enfants passent sous le portique de sécurité, franchissent plusieurs grilles avec le personnel pénitentiaire. Enfin, la petite troupe atteint la salle polyvalente.
arrêter le temps
Les retrouvailles avec les papas et la maman sont émaillées de rires et de sanglots. Très vite, chaque binôme ou trinôme s’installe autour des tables sous l’œil bienveillant des bénévoles. Ici, le mari de Prisca joue aux échecs avec son fils aîné, et témoigne que ce qui compte pour lui, c’est de constater « le bonheur de ses enfants de le voir ». Là, le compagnon de Naima confie les larmes aux yeux qu’il a « envie d’arrêter le temps », tout en regardant ses enfants se déguiser en Spiderman et en Reine des neiges avec l’aide d’Élisabeth, une bénévole.
Thomas*, lui, applique un tatouage éphémère figurant une licorne sur le bras de sa fille Lila, 5 ans, tandis que cette dernière fait de même sur le bras de son père avec un tatouage de papillon : « Lors de ce temps, je peux m’occuper de ma fille normalement, pour de vrai, témoigne Thomas. Et je suis seul avec elle, pas comme au parloir où elle est toujours accompagnée d’un adulte. »
La comparaison avec le parloir, limité à 45 minutes, est souvent faite . Nino*, 5 ans, affirme qu’il n’aime pas le parloir, même s’il lui permet de voir son papa deux fois par semaine : « C’est petit et mes parents parlent tout le temps entre eux », râle-t-il. « À l’inverse ici, on a 2h30 de temps pour jouer et c’est notre petit plaisir à tous les deux », renchérit son papa Éric*.
Celui-ci arbore fièrement le T-shirt que Nino vient de lui offrir, après l’avoir confectionné à la “Mezzanine” ces dernières semaines et agrémenté d’un dessin de sa main représentant le footballeur Mbappé, son idole. Les parents détenus ont eux aussi confectionné des cadeaux – des cadres photos et des boules à confettis – pour leurs enfants lors d’un temps de préparation en amont avec Caritas Alsace. « Ça les aide à se représenter ce moment et à être plus serein », explique Gaëlle Lhermitte.
Les bénévoles de Caritas Alsace passent d’une table à l’autre et tiennent le buffet de jus et de gâteaux faits maison. « Nous nous tenons en retrait mais nous restons disponibles si besoin, décrit Nouria Mansouri, éducatrice de jeunes enfants de métier. Nous veillons à ce que ça se passe au mieux et avons un rôle d'accompagnement et de soutien des enfants et des parents ».
Dans un coin de la salle, des bénévoles proposent aux parents et aux enfants de les prendre en photo. À la fin, chacun pourra repartir avec sa photo Polaroïd en souvenir. Charles*, 13 ans, qui est en train de câliner sa maman Garance*, sait déjà qu’il va afficher le cliché sur sa table de chevet. Ce moment est précieux aussi pour le contact physique. Garance, qui doit sortir de prison d’ici deux mois, témoigne : « Ici je suis considérée dans mon rôle de maman. Ça me fait tenir de savoir que Charles m’attend dehors. Il est mon moteur : il me parle de la suite pour avancer. »
Le maintien des liens familiaux est un droit
Car au-delà de recharger les batteries, ce temps parents-enfants sert aussi à préparer l’après. C’est ce que pense le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui soutient financièrement le projet. « Le maintien des liens familiaux est un droit et il est, d’un point de vue sociologique, un marqueur de prévention de la récidive, affirme Martin De Fontaine, directeur du SPIP à la maison d’arrêt de Strasbourg. Ce vrai temps d’échange aide à retrouver une place dans la société et des liens sociaux positifs hors délinquance » . « Si on veut aider ces personnes à ne pas récidiver, l’amour qu’elles portent à leurs enfants peut les sauver », renchérit Véronique bénévole.
16h15. Il est déjà l’heure de se dire au revoir. Nino se met à pleurer, Lila mime un cœur avec ses doigts, tandis que d’autres enfants font au revoir de la main. Pendant que les enfants repartent avec les bénévoles de Caritas Alsace vers le chemin de la sortie, les personnes détenues se rendent dans une autre salle de la prison avec Nouria Mansouri, pour débriefer avant de retourner en cellule.
Tous témoignent de la difficile séparation à la fin de cet après-midi. « C’est comme si on me les arrachait comme lors de mon arrestation », souffle un papa. C’est donc une joie mais aussi une déchirure, résume Nouria. « Mais ce joyeux bazar de cris d’enfants fait aussi du bien », reprend Garance, « ça nous change des bruits de la détention comme les clés ou les grilles ». En retournant dans sa cellule, la maman va prendre le soin d’accrocher la nouvelle photo prise avec son fils au-dessus de son lit. Pour s’endormir avec lui. En attendant la sortie.
*Les prénoms des personnes détenues et de leurs proches ont été modifiés
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