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Élie entouré de ses enfants

Rénovation énergétique : Élie, Marc et Évelyne témoignent

Thématique(s)
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15 minutes
Nièvre
Élie « se bat pour ses enfants »
Marc « ne savait pas qu’il pouvait avoir autant d’aides »
Évelyne « n’a pas d’autre choix que d’être patiente »
Chapô
Dans la Nièvre, la précarité énergétique frappe plus durement qu’ailleurs. On estime qu’un habitant sur quatre est concerné (14% de la population au niveau national), principalement en raison d’un parc de logements ancien (60% des logements ont été construits avant 1975). Face à ce fléau aux conséquences sanitaires et sociales, le Secours Catholique expérimente l’accompagnement de propriétaires modestes dans la rénovation de leur habitation énergivore. Nous avons rencontré trois ménages concernés pour comprendre les difficultés rencontrées, et l’importance pour eux de pouvoir bénéficier d’aides à la rénovation et d’un accompagnement humain.
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Élie « se bat pour ses enfants »

précarité énergétique niève
Élie et ses trois enfants autour de leur poêle neuf.

« J’ai acheté cette maison au moment de ma séparation. Je ne me suis pas préoccupé de son état. Je cherchais juste un toit pour pouvoir accueillir mes enfants ». Assis sur le canapé, dans le salon de son pavillon de Cercy-la-Tour, bourgade de 1800 habitants à quelques kilomètres du parc naturel du Morvan, Élie, 53 ans, se confie. Autour de lui, ses trois enfants - Armel, 7 ans, Louna, 4 ans et Anastasia, 2 ans - sautillent et babillent, dans l’agitation joyeuse caractérisant les mercredis. Dans un angle de la pièce, la flamme d’un poêle à bois neuf réchauffe un peu plus encore l’atmosphère de cette matinée douce d’octobre.

Dans la maison d’Élie, il n’a pas toujours fait aussi bon. « La situation était très compliquée, se souvient le père de famille, qui ne peut retenir ses larmes à l’évocation de sa séparation. Je me suis retrouvé à assumer seul la prise en charge financière de nos enfants la journée par une nourrice et à devoir quitter notre appartement. » Dans l’urgence de se reloger, Élie obtient le prêt d’une banque et fait l’acquisition pour 80 000 euros de cette maison de 70m2 habitables, avec un jardin. Élie a un toit, mais sa situation demeure très précaire. « J’étais à découvert en permanence, malgré mon salaire d’accompagnant éducatif et social diplômé d’État. Je ne comptais pas mes heures, mais je n’arrivais pas à faire face aux dépenses du quotidien. Je n’avais plus de voiture - j’en louais une pour aller travailler - et mon frigo était vide. Pour Noël, je n’ai même pas pu offrir de cadeaux à mes enfants… », souffle-t-il.

J’ai reçu une facture de régularisation d’environ 1400 euros, c’était trop.
Acculé, Élie se tourne vers les services sociaux, qui l’orientent à leur tour vers le Secours Catholique de Décize, la ville voisine. Auprès de l’association, le père de famille bénéficie d’un premier coup de pouce : des bons alimentaires, « pour pouvoir partager quelques repas avec (s)es enfants », et d’autres pour payer son carburant et continuer à aller travailler. Aux bénévoles, Élie confie sa difficulté à honorer ses factures d’électricité : à l’épreuve des températures hivernales, sa maison s’avère mal isolée. « J’avais déjà des mensualités à une centaine d’euros que je n’arrivais pas à payer, puis j’ai reçu une facture de régularisation d’environ 1400 euros, c’était trop ». En situation d’impayés, Élie subit une réduction de puissance par son fournisseur. « Il faisait trop froid : pendant plusieurs mois, je n’ai plus pu accueillir mes enfants. »

précarité
Élie et David, animateur au Secours Catholique et qui l'a accompagné sur son dossier de rénovation.

Depuis 2022, le Secours Catholique de la Nièvre expérimente l’accompagnement de propriétaires modestes afin qu’ils puissent accéder aux aides à la rénovation énergétique de leur logement et aller au bout du chantier. La situation d’Élie est identifiée comme entrant dans ce cadre. « Il suffisait de lui donner un coup de pouce pour qu’il active ses droits et puisse faire faire des travaux », indique David Juillet, animateur salarié de l’association, en charge de la thématique précarité énergétique. C’est lui qui a épaulé Élie dans ses démarches.

Prêt remboursable

« Sans le Secours Catholique, j’aurais continué à souffrir, estime Élie. L’association m’a orienté vers les bons interlocuteurs, qui ont alors pris le relais. Les démarches administratives ont pris du temps, mais ensuite les travaux sont allés vite. » En un mois, le remplacement des menuiseries, l’isolation des combles, et la pose d’un poêle à pellets sont menés à bien par un opérateur agréé France Rénov’. « Savoir que le Secours Catholique était à mes côtés était rassurant, je pouvais partager avec David toutes les questions que je me posais. » Coût des travaux : 16 000 euros, dont un peu moins de 15 000 couverts par les aides publiques, auxquelles devrait s’ajouter la prime CEE (Certificats d'économie d'énergie) à hauteur de 1000 euros. Au bout du bout, le reste à charge pour Élie devrait s’élever à un peu plus de 200 euros, qu’il financera lui-même ou via un prêt remboursable contracté auprès du Secours Catholique.

En cette mi-octobre, Élie s’apprête à passer son premier hiver avec un poêle performant et une meilleure isolation. Il va pouvoir accueillir ses enfants sur ses jours de repos, comme ce mercredi, sans craindre qu’ils prennent froid. Dans le jardin agrémenté d’un potager qui fait son bonheur, le père de famille a installé trampoline, toboggan, piscine à boudin, et a construit plusieurs cabanes. Même si toutes ses difficultés ne sont pas encore derrière lui, il a plus souvent le sourire. « C’est pour mes enfants que je me bats ».

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Marc « ne savait pas qu’il pouvait avoir autant d’aides »

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Marc a acheté sa maison il y a deux ans, mais n'avait pas les moyens de mener les travaux de rénovation.

Le soleil brille quand nous arrivons chez Marc, à Garchizy, dans l'agglomération de Nevers. L’homme avenant de 63 ans, artisan à la retraite, nous montre la façade de son pavillon : l’isolation par l’extérieur a été réalisée la semaine précédente. « Vingt centimètres d’épais ! », se félicite-t-il, ramassant puis frottant entre ses doigts le matériau utilisé - de la laine de bois - qui jonche encore le sol. « Avant, le matin, il y avait plein de condensation sur mes fenêtres. Depuis trois jours, plus rien ! » Outre l’isolation par l’extérieur, celle des combles est prévue, ainsi que le changement des menuiseries, la pose d’une ventilation mécanique contrôlée (VMC), d’un poêle à bois et une remise aux normes de l’électricité. Un chantier à hauteur de 50 000 euros.

J’ai mis du scotch autour des fenêtres pour que l’air passe un peu moins.

« J’ai acheté cette maison il y a deux ans, retrace Marc. Avant ça, j'habitais une petite maison de 40 m2 avec un très très grand terrain. C’était devenu trop lourd à entretenir. J’ai sauté sur l’opportunité d’acheter 28 000 euros ce pavillon de 60 m2. C’était une très vieille dame qui vivait là jusqu’à son décès. Je savais qu’il y avait des travaux à faire, donc je n’ai pas été surpris. » 

Marc reçoit les clés de la maison au mois d’août. Il la vide, et aère jour et nuit pour l’assécher, profitant de la canicule. « Mais l’hiver a été glacial, se souvient le retraité. Il y avait des grille-pains en guise de radiateurs, je me suis méfié, je ne les ai pas allumés. On m’a prêté un poêle à bois, mon fils m’a donné du bois pour me dépanner, et j’ai mis du scotch autour des fenêtres pour que l’air passe un peu moins. »

« Pas trop paperasse »

Bénévole au Secours Catholique, Marc est bien placé pour être repéré par l’association comme pouvant bénéficier d’un accompagnement à la rénovation. « J’ai travaillé dans la plâtrerie-peinture, puis dans la pose de fenêtres PVC. Mais je ne suis pas trop paperasse, ça ne m’intéresse pas, admet l’ancien artisan. Je savais qu’il y avait des primes de l’État, mais c’est tout. » Pour ce gros chantier, le reste à charge devrait s’élever à environ 1000 euros, que Marc pourra assumer avec ses économies. « Je n’avais pas les sous pour les travaux, et je ne savais pas que je pouvais avoir autant d’aides. Heureusement que le Secours Catholique m’a tout expliqué. » 

Désormais libéré des contraintes d’entretien de son ancien terrain, et revenu dans le quartier où il est né, Marc « se sent bien ». Quant aux bénéfices des travaux entrepris, il commente : « Le chauffage - et l’argent - partaient par les fenêtres, alors c’est pas un mal   »

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Évelyne « n’a pas d’autre choix que d’être patiente »

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Évelyne habite la maison dans laquelle ses parents et grands-parents ont vécu avant elle.

Nous rencontrons Évelyne à Nevers, dans sa maison de centre-ville. Un bâti des années 30 sur deux niveaux, avec un jardin à l’arrière, une cheminée dans le séjour, des livres et des objets que l’on devine choisis avec soin, une cuisine pleine de bocaux et de plantes aromatiques. « Mes grands-parents puis mes parents ont vécu là, je m’y suis installée à mon tour comme dans un refuge, un “lieu racine” », confie la femme de 73 ans. Longtemps directrice de théâtres, Évelyne a subi un grave accident de la route qui l’a brutalement privée de sa vie professionnelle. « Les deux premiers hivers passés ici, j’ai pu me chauffer. Je percevais des indemnités liées à mon invalidité. Je pouvais honorer mes charges. Mais ensuite, ça s’est compliqué. J'ai été mise en retraite “forcée”. Et ça a été un choc de découvrir le niveau de ma pension… »

RESTE À CHARGE TROP ÉLEVÉ

Évelyne n’a alors plus les moyens de faire remplir sa chaudière à fioul. Elle allume un radiateur d’appoint dans sa chambre dix minutes avant de se coucher, fait occasionnellement un feu dans la cheminée du salon. « Le seul poste de dépenses fixes non mensualisé était le chauffage, donc c’était celui à sacrifier si je voulais manger et m’occuper de ma minette, qui est ma seule compagnie », justifie-t-elle. Les assistantes sociales qu’Évelyne sollicite à plusieurs reprises pour une aide à payer ses factures l’enjoignent, en tant que propriétaire, de vendre sa maison. « C’était difficile à entendre car inimaginable pour moi de quitter cet unique point d’ancrage », admet Évelyne.

Elle entreprend alors de premières démarches pour monter un dossier de demandes d’aides à la rénovation énergétique. Les devis qu’elle fait établir, comparés aux aides publiques potentielles, font apparaître un reste à charge beaucoup trop important. Évelyne en reste là. Mais au sortir du Covid, et après un nouvel hiver « moche, moche, moche », elle se tourne vers une amie qui lui parle du Secours Catholique, et de son nouveau programme d’accompagnement des propriétaires modestes.

La grosse difficulté, c’est la relation aux artisans. Ils sont tous débordés.

« Je suis autonome dans la recherche d’information, notamment sur Internet, explique Évelyne. Mais la grosse difficulté, c’est la relation aux artisans. Ils sont tous débordés, et beaucoup moins attentifs à la demande quand on est une femme seule, d’un certain âge, avec des convictions écologiques et qu’on leur parle aides de l’État. C’est là qu’intervient l’accompagnement du Secours Catholique. » Une bénévole, Mallaury - relayée depuis par David - fait l’interface avec l’opérateur de rénovation. « Quand on est en fragilité, reconnaît Évelyne, on n’est pas en état de tout entendre sans être touché ». À commencer par l'ampleur des montants en jeu.

Pour Évelyne, le chantier s'élèverait à près de 80 000 euros pour le volet énergétique, et à environ 28 000 euros pour celui de l'adaptation du logement à sa situation d’invalidité, afin qu’elle puisse se maintenir le plus longtemps possible chez elle. « Sur le volet énergétique, le reste à charge est évalué à 5000 euros, précise David, qui suit toujours son dossier. Cette somme pourrait être absorbée en partie par des fonds privés comme la fondation Leroy Merlin ou l’association Stop exclusion énergétique ». Côté maintien à domicile, le plan de financement demeure plus compliqué encore. « Les aides sont conséquentes - j’en suis la première stupéfaite - mais il y a un reste à charge qui bloque, déplore Évelyne. Dans mon cas, il faudrait qu’il soit égal à zéro. »

Quand on est seule, à un moment, on baisse les bras.

Autre obstacle : le temps que prend l’aboutissement d’un dossier. Au moment de solliciter les subventions, les devis établis par les artisans doivent dater de moins de trois mois. Au fur et à mesure des changements réglementaires, et des mois qui passent, il faut donc les faire réactualiser. « L’accompagnement par le Secours Catholique est une médiation précieuse non seulement pour (re)lancer la machine, témoigne Évelyne, mais aussi pour éviter le découragement, car quand on est seule, à un moment, on baisse les bras. Au-delà de l’aspect technique, c’est cet accompagnement humain qui manque dans le dispositif France Rénov’ de l’État ».

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« Ce bout de jardin m’a reconstruite après mon accident, et c’est aussi une part de mon alimentation et de ma santé », explique Evelyne.

Alors qu’elle a engagé les premières démarches il y a quatre ans, Évelyne ne perd pas espoir de pouvoir un jour faire faire les travaux. « Je n’ai pas d’autre choix que d’être patiente, malgré les baisses de moral, reprend-elle. Ce qui me motive, c’est la perspective de pouvoir vieillir dans cette maison. Je dois me projeter avec des solutions d’autonomie, car je n’ai pas envie d’aller dans un foyer pour personnes âgées. J’entends bien que ce serait une solution plus facile que de rester dans cette maison, mais je ne me vois pas la vivre ».

Évelyne nous accompagne dans son jardin, encore luxuriant sous le soleil d’automne. « Ça peut paraître idiot, mais ce bout de jardin m’a reconstruite après mon accident, et c’est aussi une part de mon alimentation et de ma santé. Avec mes livres, qui sont la mémoire de mon métier passé, c’est ce qui me soutient. Heureusement que j’ai cela. »

Lire aussi : Dans l'enfer des passoires thermiques

Crédits
Nom(s)
Clarisse Briot
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Xavier Schwebel
Fonction(s)
Photographe
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