Rwanda: panser les blessures des femmes
Pour atteindre la paroisse de Nyakabuyé près de Cyangugu, dans l'ouest du Rwanda, le “Pays aux mille collines”, il faut emprunter une route accidentée. Dans la salle paroissiale, Consolée Uwamariya, chargée de projet à la CDJP de Cyangugu, accueille Esther, 20 ans, pour un entretien individuel. « J’étais étudiante. Un garçon m’a proposé de m’aider à payer mon matériel scolaire. Il a profité de moi et m’a forcée à coucher avec lui », raconte la jeune fille, le regard dans le vague. « Je suis tombée enceinte et mes parents adoptifs – mes vrais parents sont morts au Congo – m’ont chassée de la maison en me disant que je ne valais rien. »
Consolée écoute, puis elle reçoit Jeanne, 51 ans, une voisine d’Esther. « Quand j’ai compris ce qui arrivait à Esther, relate Jeanne, je l’ai recueillie car elle était dépassée. Mais mon accompagnement ne suffisait pas. La CDJP nous a aidées à ce qu’elle retrouve dignité et estime. » Consolée explique : « Nous faisons en sorte que ces jeunes filles violentées et tombées enceintes soient acceptées par leurs familles ou leurs proches, et aient une vie stable et harmonieuse. »
Comme Esther, de nombreuses jeunes filles tombées enceintes à la suite de rapports contraints – physiquement ou psychiquement – se retrouvent abandonnées par leur famille et plongées dans la pauvreté. « Les violences aggravent la précarité des jeunes filles car elles doivent alors arrêter leurs études à cause de leur grossesse et ne sont pas prises en charge par leurs parents. Notre mission est donc d’apaiser les tensions », explique encore Jean-Baptiste Ruzigamanzi, coordinateur de la CDJP Gikongoro, une ville située dans le sud-ouest du Rwanda.
La Commission partenaire du Secours Catholique apporte à ces jeunes filles une assistance psychologique, médicale et juridique. Elle les écoute, en séances individuelles ou collectives, tente de renouer le dialogue avec leurs parents et rencontre les pères présumés afin qu’ils reconnaissent leur enfant.
Vivre en paix
Ce jour du mois de juin, dans la paroisse Cyanika de Gikongoro, Claudine Mukamitali, psychologue, accueille cinq jeunes filles, toutes mères isolées. « Aidez-moi à approcher ma famille ! » s’écrie Viviane, 22 ans, tenant à bout de bras son bébé d’un an. Alice, 26 ans, le regard confiant, l'encourage par son témoignage : « Moi aussi, comme toi, je pleurais tout le temps après avoir été violée par un homme, puis rejetée par ma famille. Mais la CDJP nous a appris à vivre en paix. Ma mère est revenue vers moi et m’a demandé pardon. »
« La thérapie de groupe permet de détecter les signes de traumatisme et de faire émerger les émotions. À terme, l’accompagnement aboutit à l’acceptation de soi », précise Claudine.
Retour à Cyangugu, cette fois dans la paroisse de Mutusa. C’est dimanche, et à la fin de la messe Consolée Uwamariya prend la parole : « Nous voulons une société où règne la justice et la paix. Les violences sont néfastes dans les familles. Il n’y a pas que les violences physiques ou sexuelles. Il y a aussi les violences psychologiques, quand vous méprisez ou dévalorisez vos femmes et vos filles. Les violences sont punies au Rwanda car des lois existent. »
Outre la médiation, la sensibilisation est au cœur du programme des CDJP. Car même si des lois dites “pro-genre” – qui défendent les droits des femmes – existent au Rwanda, dans les faits, la violence est banalisée. « La violence trouve ses racines dans la culture de notre société patriarcale. Chez nous, l’homme gère son foyer comme il veut et cela engendre des violences », explique Placide Uwimana, coordinateur au niveau national du programme “Violences faites aux femmes”.
L’étude* menée par les CDJP révèle en effet que 61 % des femmes subissent des violences psychologiques et 33 % des violences physiques dans leur couple. C’est le cas de Régine, 55 ans : « Quand mon mari a appris que notre fille était enceinte suite à un viol, il a été furieux et m’a frappée, disant que c’était ma faute et que j’avais mal éduqué notre fille. Il nous a chassées toutes les deux. »
Réhabiliter les femmes
Pour résoudre les problèmes de violences domestiques et conjugales, les CDJP recourent aussi à des médiations individuelles et collectives. Ce dimanche-là, sous un bel arbre de la paroisse de Nyamasheke à Cyangugu, Consolée s’adresse à quatre couples : « Quelles sont les solutions pour résoudre les conflits dans vos foyers ? » Josépha, habillée d’une jolie jupe en pagne, prend la parole : « Pierre, mon mari, vendait tout notre bétail sans assumer ses responsabilités. Il dépensait l’argent en alcool et me frappait. Nous avons appris à engager le dialogue pour surmonter les difficultés. » « J’ai compris grâce à la CDJP qu’il existe des lois qui disent que la femme aussi a de la valeur, reconnaît Pierre, le mari, et qu’elle aide dans la gestion du bien familial. »
« Grâce à la médiation collective, les couples échangent sur leur expérience et cherchent eux-mêmes des solutions aux conflits », commente Placide Uwimana. À terme, les CDJP prévoient également d’aider les femmes et les jeunes filles à subvenir à leurs besoins sur le plan économique. « Cela permettra à la femme de rapporter elle aussi quelque chose à la maison et rééquilibrera le couple », conclut-il. Une manière de lutter contre la précarité des femmes et de remédier au mieux à leurs souffrances.