Vacances d'été : faire comme les autres
Une belle journée de juillet, sur la plage de Saint-Jacut, dans les Côtes-d’Armor. Quatre mamans et leurs huit enfants marchent pieds nus sur le sable mouillé, à marée basse, en direction de l’archipel des Ébihens.
« Je respire l’air pur de l’océan, je suis émerveillée de marcher dans la mer », déclare Justine, d’origine camerounaise, arrivée en France en 2015. « On fait comme Jésus », dit en riant Hélène, une Congolaise.
C’est la première fois que ces femmes âgées de 29 à 42 ans partent en vacances avec leurs enfants. « Ça fait un bien fou total, on déstresse, on oublie nos problèmes du quotidien comme celui des papiers », témoigne Justine qui attend toujours son rendez-vous à la préfecture. « Les vacances sont des découvertes et des souvenirs à raconter », observe, rayonnante, Marie-Noëlle, Camerounaise.
Depuis qu’elles sont arrivées en France, ces femmes (à l’exception de Marie-Noëlle) en attente de régulariser leur situation sont hébergées par le 115, qui très souvent installe les familles en hôtel plutôt qu’en centre d’hébergement d’urgence. Celles-ci n’ont alors pas le droit de quitter leur chambre pour la nuit, sauf exception, au risque de la perdre. « Cela fait longtemps que Mohamed, 5 ans, me demande quand on partira en vacances comme ses copains », raconte Sokhna, Sénégalaise.
accompagnées depuis trois ans
Ces quatre mamans sont accompagnées depuis trois ans par le Secours Catholique de Paris. Toutes mères célibataires – sauf Sokhna, dont le compagnon n’a pas pu venir cette semaine –, elles sont reçues dans le cadre de l’Apame (1) : au prétexte de recevoir un colis alimentaire tous les quinze jours, elles se rassemblent chaque samedi dans les locaux du Secours Catholique pour rire, échanger et apprendre à cuisiner dans les mêmes conditions que dans leurs hôtels (avec pour seul équipement un micro-onde ou une plaque électrique).
Elles sont accompagnées aussi par le Secours Catholique dans le cadre de leurs démarches pour les papiers, la domiciliation, l’école, le travail… « Partir en vacances cet été, elles le disent, c’est aussi une façon de faire comme les autres, comme tout le monde », explique Alice, bénévole au Secours Catholique, partie en vacances avec les mamans.
D’ailleurs elles ont participé à hauteur de 15 euros par personne, grâce au bénéfice retiré d’un repas africain qu’elles ont servi dans les locaux du Secours Catholique. Le reste du séjour a été financé par le Secours Catholique et par l’ANCV (2).
« Oh ! elle est bizarre la mer, elle est salée », s’étonne Émilie, 9 ans. C’est l’heure de la baignade. « Est-ce qu’il y a des crocodiles ? » s’inquiète Angelo, 3 ans. Sa maman, Justine, rit aux éclats : « Je suis ravie pour lui, confie-t-elle. Il a un grand sourire chaque matin au réveil. Il faut dire qu’il a de l’espace ici, alors qu’à l’hôtel il n’a même pas le droit de courir dans la cour. »
espace et liberté
De l’espace : le mot revient souvent chez ces familles qui vivent pour la plupart dans une chambre de 8 m². « Je préfère ma maison des vacances à ma maison de Paris », déclare Marieme, 3 ans. « C’est vrai que notre chambre à Saint-Jacut est immense, comparée à celle de l’hôtel à Paris. Ici, les enfants ont leur coin, ça leur fait du bien, renchérit Hélène, et puis on est ensemble, avec les copains, alors qu’à Paris on est seuls dans notre chambre d’hôtel. »
Après une période de trois à sept ans où elles ont connu entre trois et six hôtels différents, toutes ont désormais de quoi cuisiner, une douche et des WC dans leur chambre, à l’exception de Justine. Cette dernière n’a pas le droit de cuisiner autrement que dans un cuiseur qu’elle n’a pas les moyens d’acheter.
Alors elle et Angelo mangent froid, utilisent la douche et les toilettes sur le palier. Sokhna, elle, n’a pas le droit de recevoir de visites : « L’hôtel, ce n’est pas “chez nous” », observe-t-elle. Il n’y a pas la liberté car je ne paye pas de loyer. »
Retour à l’abbaye de Saint-Jacut, et au centre d’hébergement où sont logées les familles durant ces vacances. Les mamans ont du yoga à leur programme, pendant qu’Alice lit des histoires aux plus petits et que les plus grands jouent au badminton dans le jardin. « C’est un temps pour elles et elles en ont trop peu au quotidien », estime Alice.
un moment pour soi
« Le yoga m’a libérée, je me suis sentie légère…, confie Hélène. Je dois prendre un peu plus soin de moi pour que les enfants soient bien à leur tour. » Il faut dire que les soucis du quotidien ne les aident pas à se détendre. Toutes espèrent obtenir une autorisation de séjour pour pouvoir ensuite travailler et trouver un logement.
Sokhna, pour sa part, enchaîne déjà les CDD d’agent d’entretien : « Je suis contente de payer des impôts », dit-elle. Ce soir, le centre propose une soirée moules-frites. Daniela, 6 ans, en raffole ! Justine a préféré la soirée crêpes bretonnes. Elle conclut : « Cette semaine, je réalise ce que c’est de prendre un moment pour soi et de sortir de chez soi. Avant, je ne savais même pas ce que le mot “vacances” voulait dire. »
2. Agence nationale pour les chèques-vacances